Il y a 10 ans à Abidjan en Côte d’Ivoire, s’est déroulé une des pires catastrophes environnementales : le déversement de plus de 540 000 litres de déchets toxiques par l’entreprise Trafigura.
Dix années se sont écoulées depuis cette catastrophe environnementale qui est l'une des pires que le monde ait connues depuis le début du 21e siècle, et Trafigura de même que les gouvernements ont abandonné les victimes. L’entreprise a cherché à redorer son image, affirmant qu'elle est une « entreprise transparente et responsable ». Ce géant du négoce, qui a engrangé 1,1 milliard de dollars de bénéfice en 2015, ne doit pas être autorisé à se laver les mains de cette catastrophe. Trafigura n'a jamais réellement été amenée à rendre des comptes pour son rôle dans ce déversement. Si des déchets toxiques étaient déversés dans le centre de Londres, le responsable aurait très justement à payer le prix fort. Mais dans cette affaire, les dirigeants de Trafigura dans un bureau à Londres ont autorisé le déversement de déchets toxiques, sans que soient prises les précautions nécessaires, dans la plus grande capitale de l'Afrique de l'Ouest.
L'opacité de Trafigura entretient les craintes à Abidjan
En 2012, dans un rapport que nous avions publié avec Greenpeace, nous montrions que le refus de Trafigura de révéler le contenu des déchets toxiques entravé la décontamination des sites et empêché les victimes de recevoir des soins médicaux adéquats. Quand nous avions écrit à Trafigura en juin dernier pour lui demander de dévoiler enfin la composition des déchets, l'entreprise nous a répondu :
« Nous n'avons rien d'autre à ajouter par rapport à ce que nous avons déjà dit [à Amnesty International en août 2012] et nous ne voyons aucun intérêt à poursuivre cette discussion ».
L’entreprise a ensuite affirmé qu'elle avait déjà révélé le contenu des déchets lors de la procédure devant la justice britannique. Or, en réalité ces révélations étaient basées sur des tests réalisés par un organisme gouvernemental à Amsterdam six semaines avant le déversement des déchets. Elle a également continué de minimiser les conséquences de ces déchets toxiques, affirmant que les « déversements [déchets] pourraient au pire avoir causé une série de symptômes de courte durée évocateurs d'une grippe et un état d'anxiété ». Mais les éléments sur lesquels se fonde cette déclaration sont confidentiels aux termes d'une transaction judiciaire devant la justice britannique en 2009. Le rapport que nous avions publié démontrait que les victimes ont souffert de toute une série de graves troubles de santé, notamment de difficultés respiratoires, de fortes douleurs abdominales et de troubles digestifs correspondant aux effets d'une exposition aux produits chimiques présumés présents dans ces déchets.
Sur 38 habitants d'Abidjan avec lesquels nous nous sommes entretenu, 35 ont déclaré continuer de souffrir de problèmes de santé.
Le gouvernement de la Côte d’Ivoire n'a pas mis en place une surveillance des victimes permettant de vérifier si elles présentent des troubles de santé à long terme.
Trafigura cherche à redorer son image
Trafigura cherche à redorer son image en se présentant comme le numéro un des entreprises responsables dans le secteur du négoce de marchandises. Trafigura a été la première entreprise de négoce de marchandises à rejoindre l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives en 2014, une initiative qui selon son dirigeant reflète son « engagement en faveur de la transparence et du respect de l'obligation de rendre des comptes ». Elle a récemment tenu à Genève un forum multipartite sur la promotion du commerce responsable. Cette entreprise fait preuve d'hypocrisie en affichant une transparence de façade alors que les victimes de la catastrophe de 2006 continuent de craindre pour leur santé à cause de son opacité. Si Trafigura était réellement une entreprise transparente et responsable, elle rendrait publiques toutes les informations concernant les déchets toxiques déversés à Abidjan et leurs effets possibles sur les personnes qui vivent dans ce secteur. Si l’entreprise n’a rien à caher, pourquoi continue-t-elle d'entraver la prise en charge médicale des habitants d'Abidjan ?
Les gouvernements donnent carte blanche aux entreprises irresponsables
Aucun gouvernement n’a mené une enquête exhaustive sur le rôle joué par Trafigura dans ce déversement, poussant ainsi les victimes mener des actions judiciaires, toujours en cours, devant des juridictions civiles en Côte d’Ivoire et aux Pays-Bas. En août 2015, le gouvernement britannique s'est abstenu d'enquêter sur le rôle joué par Trafigura dans le déversement des déchets toxiques. Des éléments que nous avions dévoilé prouvaient que des employés de Trafigura au Royaume-Uni avaient organisé intentionnellement le déversement à Abidjan. Les autorités britanniques nous ont confié qu'elles ne disposaient pas de la force de frappe juridique ni des ressources et des connaissances nécessaires pour affronter ce géant. Il est nécessaire que le Royaume-Uni adopte une nouvelle loi réprimant pénalement les entreprises basées au Royaume-Uni qui commettent à l'étranger de graves atteintes aux droits humains, à moins qu'il ne démontre qu'il dispose de mécanismes permettant d'empêcher de tels actes. Tant que des entreprises véreuses seront libres de tirer parti de législations faibles dans les pays industrialisés ou de gouvernements faibles dans des pays fragiles et touchés par un conflit, il y a tout lieu de croire que d'autres scandales tels que celui qui s'est produit à Abidjan en 2006 seront à déplorer.