Majoritairement opposés au texte, les sénateurs ont décidé de le dénaturer en le transformant en simple recommandation de « reporting » extra-financier, qui consiste, à posteriori, à demander aux entreprises de rendre compte de leurs activités.
Le Sénat a examiné en deuxième lecture la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre en matière de respect des droits humains.
S'ils n'ont pas supprimé purement et simplement les trois articles comme ils l’ont fait en première lecture, les sénateurs, opposés au texte, ont majoritairement voté pour des amendements qui le vident totalement de sa substance. Au gouvernement de prendre désormais ses responsabilités pour soutenir et faire adopter rapidement une loi qui doit permettre la protection des droits humains.
De futurs Rana Plaza ne pourront être évités
Alors que la proposition de loi initiale avait l’ambition de contraindre les grands groupes présents en France à publier et mettre en œuvre un plan de vigilance de manière effective, le Sénat a affaibli la portée de ce texte en réduisant l’obligation imposée.
Dans la version initiale de la loi, l’entreprise devait établir un plan pour éviter les violations de droits humains sur l’ensemble de sa chaine de valeur. La nouvelle version votée par le Sénat instaure une obligation de rendre compte à posteriori des activités de l’entreprise multinationale et seulement des sociétés qu’elle contrôle, dans un sens beaucoup plus restreint. Les mesures imposées pour faire respecter les droits humains dans ce texte sont celles de la loi « applicable localement ». Or, l’innovation de ce texte résidait dans la protection des victimes qui, justement, ne peuvent que trop rarement obtenir justice dans leurs pays, faute de loi suffisamment forte ou de justice efficace.
Avec un tel texte, les drames tels que ceux du Rana Plaza au Bangladesh ne pourront être ni évités ni réparés.
Le parcours de combattant d'une loi restectueuse des droits humains
Cible des pressions du secteur privé, cette proposition de loi suit un véritable parcours du combattant depuis près de trois ans. Officiellement soutenue par le gouvernement qui l’a inscrite pour examen au Sénat, elle serait totalement inutile si elle était votée en l’état. Nos organisations appellent désormais le gouvernement à sauvegarder l’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
L’exécutif doit tout mettre en œuvre, comme il en a la prérogative, pour que le processus aboutisse, rédaction du décret inclus, avant la fin de l’année 2016. Faute de quoi, les promesses faites en la matière lors de la campagne présidentielle de 2012 resteront lettre morte, alors que cette demande est soutenue par une grande majorité des Français.
Il revient maintenant au Premier ministre de convoquer une commission mixte paritaire (CMP). Si la CMP n'aboutit pas à un accord, le texte devra, à la demande du gouvernement, retourner à l'Assemblée nationale, puis de nouveau au Sénat. Ce sera alors de nouveau au gouvernement de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, sans quoi, la navette parlementaire pourrait continuer indéfiniment.
La France ne doit plus reculer sur cette question alors que les pays européens avancent, à l'instar de la Suisse où 120 000 citoyens ont demandé le 10 octobre dernier à la Chancellerie fédérale d’adopter une législation sur le devoir de vigilance des multinationales.
Le Forum citoyen pour la RSE a d’ailleurs réalisé un document présentant les principales initiatives de régulation en Europe sur le devoir de vigilance des entreprises.