Après deux mois d’un fragile cessez-le-feu, l’armée israélienne a relancé, le 18 mars 2025, ses opérations militaires sur Gaza. Piégée dans une enclave soumise à un blocus total et à des bombardements intensifs, la population palestinienne est contrainte à des déplacements forcés, dans un territoire chaque jour plus réduit et dangereux. Bilan d’un mois de conflit et de survie, après de nouvelles menaces de destruction totale des autorités israéliennes.
« Série de raids israéliens sur toute la bande de Gaza. »
« La guerre a repris. »
Le 18 mars, à 01h24 du matin, ce sont par ces mots simples mais glaçants que le journaliste gazaoui Rami Abou Jamous informe la centaine de journalistes francophones qui le suivent sur WhatsApp de la fin officielle du cessez-le-feu entré en vigueur deux mois plus tôt, le 19 janvier 2025. La chaîne 14 israélienne annonce de son côté : « Les avions de l’armée de l’air mènent une vague d’attaques à grande échelle dans la bande de Gaza. »
La nuit sera terrible. Au petit matin, les Gazaoui·es comptent leurs morts : plus de 400 personnes tuées, dont 174 enfants et plus de 550 blessés.
Depuis, pas une journée, pas une nuit ne se passe sans que de nouveaux noms s’ajoutent à la liste des victimes civiles. Des familles entières disparaissent sous les bombardements et les décombres.
Une intention génocidaire décomplexée
Dès ce 18 mars, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, justifie la reprise des combats « suite au refus répété du Hamas de libérer [les] otages » et menace : « les portes de l’enfer s’ouvriront » sur Gaza si le Hamas ne les libère pas immédiatement
Le lendemain, dans une vidéo et un message sur X, il s’adresse aux « résidents de Gaza » : « Il s’agit du dernier avertissement. (…) Suivez le conseil du président américain : rendez les otages et éliminez le Hamas, et de nouvelles options s’offriront à vous – y compris la possibilité de voyager vers d’autres parties du monde pour ceux qui en font le choix. L’alternative est la destruction et la dévastation totale. »
Dans son adresse à la population palestinienne du 19 mars, le ministre de la Défense israélien a fait une référence directe à un message du président américain, adressé le 5 mars 2025 au « peuple de Gaza » via son réseau Truth Social :« (…) Un beau futur vous attend, mais pas si vous gardez les otages. Si vous le faites, vous êtes MORTS ! Prenez une décision intelligente. RELÂCHEZ LES OTAGES MAINTENANT, OU IL Y AURA UN ENFER À PAYER PLUS TARD. »
Rarement dans l’histoire on aura entendu un haut responsable étatique, chargé des opérations militaires, exprimer aussi ouvertement une intention de destruction d’une partie d’un groupe humain
constatent les juristes Julian Fernandez et Olivier de Frouville, dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde.
🟠 L’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 définit le génocide comme une série d’actes commis dans l’intention spécifique de « détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
En savoir plus : Qu'est-ce-qu'un génocide?
Depuis un mois, cette intention spécifique de destruction n’a cessé de se manifester dans les faits, sur le terrain.
Une nouvelle hécatombe
Au cours des dix premiers jours de la reprise des hostilités, chaque jour, en moyenne, environ 100 enfants ont été tués ou mutilés, selon un décompte de l’UNICEF.
En l’espace d’un mois, près de 1 700 Palestinien·nes ont été tué·es, dont 595 enfants.
*Source : ministère de la Santé de Gaza.
❗Ce chiffre n’est pas exhaustif : de nombreuses victimes restent sous les décombres ou dans les rues, inaccessibles aux secours en raison des conditions de sécurité.
🟠Le premier acte constitutif d’un génocide, l’article II (a) est exposé comme suit dans la Convention sur le génocide: « Tuer des membres du groupe. » Cela inclut le meurtre direct et les actions causant la mort. L’acte est considéré comme acte de génocide s’il est commis dans l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel.
Au moins quinze professionnels de santé et secouristes palestiniens, qui s’étaient rendus le 21 mars dans le sud de la bande de Gaza pour une opération de sauvetage, ont été tués par des tirs de l’armée israélienne. Leurs corps ont été retrouvés, après neuf jours de recherches, dans une fosse commune.
« Leurs ambulances ont été broyées et partiellement enterrées. Leurs corps se trouvaient à proximité, eux aussi enterrés en masse dans le sable. Nos collègues décédés portaient encore leurs gilets du Croissant-Rouge. Dans la vie, ces uniformes signalaient leur statut de travailleurs humanitaires ; ils auraient dû les protéger. Au lieu de cela, dans la mort, ces gilets rouges sont devenus leurs linceuls », témoigne Jagan Chapagain, secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR).
L’armée israélienne a d’abord démenti avoir attaqué les ambulances, affirmant avoir ouvert le feu sur « des véhicules suspects ». Une vidéo retrouvée sur le téléphone portable de l’un des secouristes montre pourtant que les ambulances et les camions de pompiers étaient clairement identifiables, gyrophares allumés, au moment où ils ont été pris pour cible par les forces israéliennes.
« Les attaques délibérées contre des médecins et des travailleurs humanitaires sont interdites par le droit international et constituent des crimes de guerre. [...] Ces homicides doivent faire l’objet d’une enquête indépendante et impartiale, et leurs auteurs doivent être amenés à rendre des comptes. » — Erika Guevara Rosas, directrice générale des recherches, du plaidoyer et des campagnes à Amnesty International.
Des Palestiniens tentent d'éteindre les flammes après une frappe aérienne israélienne sur des tentes abritant des personnes déplacées, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 16 avril 2025. © Stringer / REUTERS
La presse : une cible de choix
Mohamed Mansour, Hossam Shabat, Mohammed Saleh El Bardawil, Islam Nasezddine… la liste des journalistes tués depuis le 18 mars s’est aussi allongée.
Dans l’un des incidents les plus choquants, le 7 avril 2025, l’armée israélienne a ciblé un groupe de journalistes qui dormait sous une tente, près de l’hôpital Nasser à Khan Younès. L’armée assure avoir visé « un terroriste se faisant passer pour un journaliste ». Bilan : le journaliste Helmi Al-Fakaawi de Palestine Today est brûlé vif, neuf de ses collègues sont blessés. L’un d’entre eux, Ahmed Mansour, grièvement brûlé, ne survivra pas à ses blessures.
👉 Lire le témoignage de Rami Abou Jamous sur Orient XXI : « Je voudrais vous parler du journaliste Ahmed Mansour »
Lire aussi l'appel des journalistes français en soutien de leurs collègues palestiniens
Plus aucun sanctuaire
🚩 Le siège du CICR à Rafah a été la cible d’une frappe aérienne.
🚩 Plusieurs écoles abritant des personnes déplacées ont été bombardées.
🚩 Deux hôpitaux encore partiellement opérationnels – l’hôpital Al-Ahli, dans la ville de Gaza, et l’hôpital de campagne koweïtien, dans le sud de Gaza – ont été partiellement détruits par des frappes israéliennes.
🚩 Entre le 18 et le 30 mars, 26 tentes de cuisine communautaire (des « tekiyya »), qui distribuent des repas aux personnes déplacées, et plus de 37 centres de distribution humanitaire ont été bombardés, selon un décompte de l’agence Anadolu.
🟠 « Soumettre intentionnellement le groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » est un acte constitutif du crime de génocide. L'article II(c) de la Convention sur le génocide fait référence à des méthodes de destruction qui n’entraînent pas la mort immédiate de membres du groupe, mais qui, au bout du compte, peuvent entraîner, au fil du temps, leur destruction physique ou biologique.
Gaza, menacée par la famine
🔴 Plus rien ne rentre dans Gaza depuis le 2 mars 2025. Tout est bloqué : l’aide humanitaire, les médicaments, le carburant et même la nourriture, en violation flagrante du droit international. C’est le plus long blocus total qu'ait jamais connu Gaza.
Le 27 mars 2025, la Cour suprême israélienne rejette la requête de cinq ONG israéliennes visant à contraindre le gouvernement israélien à autoriser l’entrée et la distribution de l’aide humanitaire à Gaza où « la situation humanitaire est catastrophique ». Le pire est à venir :
🔺Le 1er avril, le Programme alimentaire mondial (PAM) annonce la fermeture des boulangeries de la ville de Gaza et du nord de la bande de Gaza en raison de l’épuisement des stocks de farine et du diesel.
🔺À Gaza, les stocks livrés pendant le cessez-le-feu sont sur le point d’être totalement épuisés, alerte le directeur adjoint des opérations de l’UNRWA à Gaza, le 15 avril 2025.
🚨 Plus de 2,1 millions de personnes sont piégées, bombardées et sont maintenant menacées par la famine.

Une foule affamée se presse à un point de distribution d'aide alimentaire dans la ville de Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza, le 16 avril 2025. © Mahmoud Issa / AFP
Gaza, une No go zone pour ses habitants
Dès le lendemain de la reprise de l’offensive, un premier ordre « d’évacuation » d’une zone au nord et au sud est diffusé par l'armée israélienne.

Ordre d'évacuation émis par l'armée israélienne le 19 mars 2025. Les habitants de la zone frontalière entre Gaza et le territoire israélien sont sommés de se déplacer vers l'intérieur de la bande de Gaza.
Au fil des jours et des semaines, les ordres « d’évacuation » vont se multiplier. Entre le 18 mars et le 14 avril, 20 ordres de déplacements forcés sont émis. Le 7 avril, l'ordre de déplacement est assorti de menaces : « Nous frapperons avec une force extrême toute zone d’où des roquettes seront tirées » et rejette la responsabilité des souffrances subies par les civil·es sur le Hamas.

Le 31 mars, des milliers de personnes sont sommés de quitter la ville de Rafah, à l’extrême sud de la bande de Gaza, près de la frontière égyptienne. La ville de Rafah devient « une zone d’opération militaire fermée ». Le 12 avril, l’armée israélienne annonce avoir entièrement pris le contrôle de la ville et du « corridor de Mourag », qui coupe la Bande de Gaza d’est en ouest.

Des Palestiniens transportent leurs biens à leur arrivée dans la ville de Gaza pour fuir les quartiers est de la ville suite à l'ordre d'évacuation donné par Israël le 11 avril 2025. © Bashar Taleb / AFP
Ne pas rester sans agir
Les États doivent œuvrer ensemble pour exiger la reprise immédiate d’un cessez-le-feu durable, la fin du génocide perpétré par les autorités israéliennes contre la population palestinienne de Gaza ainsi que le démantèlement de son système d’apartheid et d’occupation illégale du territoire palestinien.
Le monde ne peut pas rester sans agir et permettre à Israël de continuer à causer des pertes humaines et des souffrances d’une ampleur aussi ahurissante aux Palestinien·ne·s de Gaza. Nous exhortons tous les États à respecter leur obligation de prévenir et de sanctionner les génocides, et de veiller au respect du droit international humanitaire, en faisant pression sur les autorités israéliennes afin qu’elles mettent fin à leurs attaques et favorisent l’entrée de l’aide humanitaire sans condition ni entrave.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Soutenir les populations civiles
Exigez avec nous la justice pour toutes les victimes et la protection sans condition des populations civiles.