Les 27 États membres de l’Union européenne discutent depuis plus de quatre ans d’un nouveau pacte sur l’asile et la migration. Divisés sur le sujet depuis 2015, les eurodéputés se sont définitivement mis d’accord sur le pacte en le votant en avril 2024. Or, derrière la présentation d’un pacte « historique », se cache surtout de nouvelles atteintes aux droits des personnes exilées.
Que contient concrètement le pacte européen sur la migration et l'asile ? Pourquoi est-il présenté comme « historique » ? Quelles sont les mesures les plus problématiques ? Quels changements le pacte va-t-il amener au niveau de la politique migratoire nationale ? On fait le point en quatre questions.
1. Que contient ce Pacte ?
Le Pacte européen sur la migration et l’asile, conçu comme « un système commun de gestion des migrations à l’échelle de l’Union », est composé de dix textes législatifs comprenant neuf règlements et une directive. Quelle différence entre les deux ?
Un règlement européen s'applique directement dans le droit national, là où une directive laisse plus de marge de manœuvre aux États membres de l'UE dans la manière de l'appliquer. Avec le pacte européen, ce sont donc neuf textes qui vont donc entrer directement dans les pratiques nationales.
Concrètement, l’adoption de ce pacte souhaite influer sur trois éléments :
Une gestion accélérée des arrivées aux frontières
Un renforcement de la coopération avec les pays d’origine et de transit des personnes migrantes
Un nouveau mécanisme de solidarité plus flexible entre les États membres
Voté le 10 avril 2024 par le Parlement européen et adopté formellement le 14 mai 2024 par le Conseil de l’Union européenne, le pacte doit officiellement entrer en vigueur en juillet 2026.
2. Pourquoi est-il présenté comme « historique » par l’Union européenne ?
Dans ses présentations officielles, le pacte est présenté comme étant « historique », d’abord pour son nombre de réformes, puisqu’il compte dix textes. Mais aussi parce que c’est la première fois que les 27 États membres de l'UE se mettent d’accord sur un texte depuis ce qu’ils ont nommé "la crise migratoire" de 2015, notamment à la suite de la guerre en Syrie.
Plusieurs études démontrent que les populations des pays européens (tous pays confondus sauf l’Estonie) surestiment largement le nombre de personnes étrangères dans leur pays. Ce qui peut notamment s’expliquer par les biais crées par l'utilisation de certains mots dans le champ médiatique et politique. En 2015, l’arrivée de demandeurs d’asile Syriens en Europe a posé dans le débat public le terme de « crise migratoire », supposant une «invasion»
« Il y a bien eu un pic d’arrivée de personnes fuyant la guerre en Syrie au sein de l’UE, mais par exemple, en France, il n’y a jamais eu de reflet de ce pic d’arrivée. » explique Tania Racho, chercheuse en droit européen, juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile et consultante pour l’association Désinfox-Migrations. Elle explique que « l'utilisation du terme "crise", indique l'idée de proposer des mesures exceptionnelles. Et si on répond à une crise migratoire, les mesures exceptionnelles sont faites pour arrêter le flux migratoire. Si c'était une crise de l'accueil, on s'intéresserait à l'hébergement. » Tania Racho défend que « pour le milieu de la recherche, il n'y a pas de crise migratoire. Les débats de l’Union européenne sur les questions de migration se fondent donc sur des idées qui ne sont pas validées par le milieu de la recherche.»
Selon la commission, le pacte s’attaque aux « causes profondes de la migration irrégulière ». L’ensemble du pacte répond à une ambition de distinction entre la migration régulière et irrégulière, une approche néfaste. Il est présenté comme proposant un « système de migration plus juste et plus solide qui fasse une différence concrète sur le terrain. » Nous ne sommes pas en accord avec les lignes avancées par la présentation du pacte et avons déjà analysé certaines de ses mesures les plus critiques.
3. Quelles sont les mesures les plus problématiques ?
🔴Mesure 1 : Généraliser la détention
Le Pacte prévoit la création de nouvelles zones d’attentes dans les pays européens ou pays tiers. Il permet jusqu’à six mois de maintien en détention des personnes dans des installations frontalières, extérieures de l’UE, le temps que les procédures se déroulent.
Conséquences : Par cette mesure, le pacte risque de mener à la généralisation de la détention aux frontières, y compris pour les familles avec enfants.
➡️ En Grèce, l'île de Samos, un camp aux allures de prison
En 2024, nous avons publié une enquête sur le centre de détention de l'île de Samos, financé par l’Union européenne (UE) où sont enfermées arbitrairement des personnes qui demandent l’asile en Grèce. Complexe sous haute surveillance, fil barbelé en clôture, surpopulation... notre rapport a révélé un véritable « cauchemar dystopique ».
L’exemple du centre de Samos illustre nos préoccupations quant à l’accès à l’asile et le risque de violations des droits humains de ces personnes en Europe.
➡️ En France, la zone d'attente de Roissy
Pour donner un exemple concret d’une zone d’attente en France, prenons celle de Roissy. Cette zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI), l’Anafé, association de référence sur le sujet et dont nous sommes membre observateur, l’a souvent dénoncé, notamment quant au non-respect des conditions sanitaires du lieu qui sont déplorables voire dangereuses : aucune désinfection des locaux pendant le Covid, pas de savon en libre-service, infection de punaises de lits entraînant une grande fatigue nerveuse… on ne peut que s’inquiéter que ce lieu soit cité en exemple dans la présentation faite par le France de la façon dont elle mettrait en œuvre le Pacte européen.
Concrètement, le texte européen prévoit d'agrandir ces zones d’attente pour qu’elles aient une plus grande capacité de détention des personnes. En France, il y a actuellement 300 places dans les zones d’attentes, le pacte place cet objectif à 2000.
Je ne suis pas en état d’arrestation, mais je ne peux pas sortir d’ici.
Témoignage d'une personne dans la zone d'attente de Roissy
Dans le podcast « Enfermé.es nulle part », soutenu par l’Anafé, c’est une immersion aux frontières, en zone d’attente qui est proposée avec des témoignages de personnes qui subissent l’inconcevable. Le pacte européen sur l’asile et la migration viendrait renforcer ces espaces.
🔴Mesure 2 : Traiter les demandes d’asile directement aux frontières
Le Pacte prévoit de généraliser l’examen de fond de la demande d’asile aux frontières, alors que jusqu’à présent, il était uniquement possible de traiter de la “recevabilité” des demandes d’asile.
Conséquences : Par cette mesure, le pacte restreint la possibilité de déposer une demande d’asile dans le pays de destination. Certains demandeurs d'asile n'accéderont même pas au territoire de l'État membre, toute la procédure se fera à la frontière. Il risque d’y avoir un déni du droit d’asile aux frontières et moins de garanties pour les personnes demandeuses d’asile.
Pourtant, dans de nombreuses situations, nous rappelons que l'accès et l’examen de la demande d’asile doivent être pleinement gérés par les États membres et non simplement aux frontières, avec des garanties de protection des droits et de prise en compte des vulnérabilités, notamment pour les mineurs non accompagnés.
🔴Mesure 3 : Possibilité d’expulser vers des pays tiers
Le Pacte introduit pour la première fois la possibilité d’expulser les ressortissants de pays tiers vers un autre pays que leur pays d’origine ou leur pays de transit. Or, cela signifie qu’ils seraient transférés vers des pays dans lesquels ils n’ont jamais été et avec lesquels ils n'auraient aucun lien.
Conséquences : Par cette mesure, le pacte va permettre de renvoyer les demandeurs d’asile dans des « pays tiers sûr ». Le risque : faire reposer encore plus la « relocalisation » des personnes arrivées aux frontières sur des pays non membres de l’UE, potentiellement auteurs de violations des droits humains. Une application élargie du concept pourrait priver de nombreuses personnes de protection dans l’UE, en permettant leur relocalisation sans examen de leur demande d’asile.
Lire aussi : Les 6 étapes pour faire une demande d'asile en France
Le concept de pays tiers sûr, auquel Amnesty International est fermement opposée, ne doit jamais priver les demandeurs d’asile d’un examen individuel et adéquat de leur cas.
Les différences entre « pays tiers sûr » et « pays d’origine sûr »
« Un pays d’origine sûr » désigne le pays d’origine du demandeur d’asile où il peut y être démontré que « il n’y est jamais recouru à la persécution (…) ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne. »
Nous avons déjà documenté des renvois illégaux de personnes exilées opérés par la France vers des pays à haut risque. Ce faisant, la France viole l’un des piliers du droit d’asile : le principe de non-refoulement.
Un « pays tiers sûr » désigne le pays tiers dans lequel le demandeur d’asile a transité. Les États membres peuvent appliquer ce concept « si les autorités compétentes ont acquis la certitude » que les demandeurs n’ont à craindre pour aucun des motifs de la Convention de Genève dans ce pays tiers et notamment que le principe de non-refoulement y est respecté conformément à la Convention de Genève de 1951. Si ce « pays tiers » est considéré comme sûr par le pays européen d’accueil, le demandeur n’aura pas accès au statut de réfugié.
4. Quelles différences entre le Pacte européen et la loi asile et immigration en France ?
En 30 ans de lois sur l’immigration France, celle sur l'asile et l'immigration votée en janvier 2024, restera cella qui aura historiquement dégradé les droits des personnes exilées en France. Bien que le Conseil constitutionnel ait largement censuré certaines mesures, la loi portée par l’ancien ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, marque un net virage du durcissement des politiques migratoires en France.
Lire aussi : Loi asile et immigration : le recul historique de la France
Et le Pacte européen dans tout cela, va-t-il encore plus durcir les mesures portées au niveau national ? Dans les faits, le pacte entérine une régression globale du droit d'asile en Europe, que l'on dénonce depuis des années. Les logiques de durcissement sont donc similaires.
La différence majeure entre les deux, c'est que la loi asile et immigration portée par Gérald Darmanin ciblait beaucoup le sujet du droit au séjour, ce qui n’est pas le sujet central du Pacte. La loi asile et immigration permettait de faciliter les expulsions, même pour les personnes ayant un lien fort avec la France. Le Pacte, quant à lui, vise à renforcer le concept de pays tiers sûr et tend donc à permettre le renvoi des personnes vers des pays tiers avec lesquels elles n'ont pas de lien.
L’essentiel des mesures les plus problématique du Pacte se jouant aux frontières extérieures de l'Union européenne, la France n'est donc pas la plus directement concernée. Mais une mobilisation est nécessaire pour tendre à une mise en œuvre la plus protectrice possible des droits au niveau national.
Chaque pays européen est actuellement en train de discuter du Pacte pour qu’il puisse l’appliquer, à partir de juillet 2026.
Avec ce pacte européen sur l’asile et la migration, c’est le droit d’asile qui se retrouve fragilisé : quelles garanties pour l'examen de fond si les demandes sont traitées aux frontières ? Comment s’assurer que les individualités et vulnérabilités des personnes seront bien prises en compte ? Le droit d’asile est un droit fondamental qui se doit d’être protégé. Nous y œuvrerons.