Si le nombre global d’exécutions reste à la hausse en 2024, notre rapport annuel sur la peine de mort fait état d’avancées concrètes vers l’abolition pour laquelle nous nous battons depuis plus de 50 ans. Le pouvoir de la mobilisation a fait bouger les lignes.
Un monde libéré de la peine capitale ? C’est possible, on s'en rapproche. En 2024, malgré une augmentation notable du nombre d’exécutions (au moins 1 518 personnes exécutées, soit une hausse de près de 32 % en un an), seuls 15 pays ont procédé à des exécutions. C’est le chiffre le plus bas jamais enregistré pour la deuxième année consécutive. Les États qui maintiennent la peine de mort ne sont plus qu’une minorité isolée.
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Les faits marquants de 2024 en faveur de l’abolition
1️⃣ Le Zimbabwe renonce à la peine de mort
A la toute fin de l’année 2024, le Zimbabwe, a promulgué une loi abolissant la peine capitale pour les crimes de droits communs. Le pays doit encore supprimer une clause lui permettant d’appliquer la peine de mort pendant les périodes d’état d’urgence pour rejoindre les rangs des États qui ont totalement renoncé à la peine de mort.

À ce jour, 113 pays ont aboli totalement la peine capitale et 145 l’ont fait en droit ou dans la pratique. Depuis 2007, ce sont 23 États de plus qui ont fait le choix d’abolir la peine capitale pour tous les crimes.
2️⃣Un vote historique à l’ONU
Le 17 décembre 2024, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté la 10e résolution pour un moratoire sur l’application de la peine de mort. Sur l’ensemble des 193 États membres des Nations Unies, plus des deux tiers de l’assemblée ont voté en faveur de cette résolution. Leur nombre est ainsi passé de 104 en 2007 à 130 cette année. Pour la première fois, Antigua-et-Barbuda, le Kenya, le Maroc et la Zambie ont voté en faveur de l’appel au moratoire.

Ce vote est un tournant majeur pour les pays du monde entier. Il illustre un basculement progressif des États membres de l’ONU vers un rejet du recours à la peine de mort comme châtiment légal.
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Lorsque des personnes donnent la priorité à la mobilisation pour l’abolition de la peine de mort, cela fonctionne vraiment. En dépit de la minorité de dirigeant·e·s déterminés à instrumentaliser la peine capitale, le vent est en train de tourner. Ce n’est qu’une question de temps avant que le monde soit libéré de l’ombre des potences.
Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International
3️⃣ Des signes positifs dans toutes les régions du monde
Aucune exécution n’a eu lieu au Bangladesh, pour la première fois depuis 2018
Les réformes relatives à l’application de la peine capitale en Malaisie ont permis de réduire de plus de 1 000 le nombre de personnes risquant une exécution.
Seuls cinq pays ont effectué des exécutions (Afghanistan, Chine, Corée du Nord, Singapour, Vietnam) au lieu de six en 2023.
Seul un pays continue de recourir à la peine capitale, la Biélorussie, avec une condamnation à mort en 2024
La Russie et le Tadjikistan continuent d’observer des moratoires sur les exécutions
Pour la 16e année consécutive, les États-Unis étaient le seul pays de la région à appliquer la peine de mort
Aux États-Unis, le Président sortant Joe Biden a commué 93% des peines fédérales d'exécutions existantes.
24 pays africains ont totalement aboli la peine capitale, dont quatre – le Tchad, la République centrafricaine, la Sierra Leone et la Zambie – depuis 2020.
Les exécutions enregistrées ont baissé de 11% et les condamnations à mort ont baissé de 10% par rapport à 2023
Le Zimbabwe et la Zambie ont pris des mesures positives en faveur de l’abolition de la peine de mort
Au moins 773 nouvelles peines capitales ont été proclamées, soit une baisse de 19% par rapport à 2023, année durant laquelle 950 peines avait été proclamées.
Le pouvoir de la mobilisation
Donner priorité à la lutte pour l’abolition de la peine de mort, c’est assurer des avancées concrètes. Depuis près de 50 ans, nous nous battons pour libérer le monde de la peine capitale. Notre combat a permis à deux cas emblématiques de sortir des couloirs de la mort en 2024.
Hakamada Iwao, près d’un demi-siècle dans le couloir de la mort au Japon

Portrait de Iwao Hakamada, 28 août 2018. © Kazuhiro NOGI, AFP
En 1968, Hakamada Iwao est condamné par le tribunal de district de Shizuoka, au Japon pour le meurtre de son patron et de la famille de ce dernier, principalement sur la base d'une « confession » forcée obtenue par la torture ou d'autres mauvais traitements.
En mars 2014, après l'apparition de nouvelles preuves ADN mettant en doute la fiabilité de sa condamnation, le tribunal de district de Shizuoka accorde un nouveau procès à M. Hakamada. Il est alors libéré de prison.
Le procès ne débutera que 10 ans plus tard, en octobre 2023. Il est acquitté l’année d’après par la Haute Cour de justice.
Hideko Hakamada, la sœur de Iwao Hakamada, a mené une campagne sans relâche pour sa libération. Dans ce témoignage, âgée de 92 ans, elle célèbre l’annonce de la libération tant attendue de son frère.
Je craignais que mon frère ne sourît plus en prison. Alors, je lui souriais à chaque fois que je lui rendais visite, pour qu’il n’oublie pas de sourire. Quand je souris, Iwao sourit aussi. C'est ce que j'ai essayé de faire.
Tout le monde savait qu'il était dans le couloir de la mort, donc il n'y avait aucun intérêt à le cacher. Je gardais un peu de distance avec les gens, je ne participais pas aux rassemblements sociaux. Je pense que c’est comme ça que j’ai pu faire autant de choses pour Iwao.
J'avais la quarantaine, j'avais un travail. Je rentrais du travail le soir, et lorsque j'étais seule chez moi, mes yeux s'ouvraient soudainement au milieu de la nuit. Tout ce à quoi je pensais alors, c'était Iwao. Je n'arrivais pas à dormir. Je devais aller travailler le matin, alors je buvais du whisky pour m'endormir. Je buvais trop. Je buvais tous les jours. Puis je me suis rendu compte que je ne pourrais pas aider Iwao si je continuais comme ça, alors j'ai arrêté de boire complètement.
J'étais tellement concentrée sur Iwao que je ne me souciais de rien d'autre. Je lui rendais souvent visite. Je sentais que je devais aider mon frère qui souffrait. Je me battais pour lui parce que je pensais qu’il était normal qu’il soit acquitté, puisqu'il était innocent.
En novembre 1980, lorsque l'appel d'Iwao a été rejeté et que sa condamnation à mort a été confirmée, tout le monde était là, les avocats, nos soutiens et les journalistes. À ce moment-là, tout le monde semblait être mon ennemi.
Mais plus tard, j'ai été soutenue par la Fédération japonaise des barreaux (JFBA) et ce genre de sentiment a fini par disparaître. Je suis aussi énormément redevable à Amnesty International. Nous avons fait une tournée de conférences à travers le Japon ensemble pour appeler le monde à réagir. Il y avait des gens qui n'avaient jamais entendu parler de l'affaire Hakamada.
Iwao était dans le couloir de la mort et nous ne savions pas ce que les lendemains nous réserveraient. Mais je crois que parler aux gens a fait une différence.
Avant, j'acceptais la peine de mort sans trop y réfléchir. Mais après ce qui est arrivé à Iwao, je me suis opposée à la peine de mort. C’est un crime qu’un être humain tue un autre être humain, quoi que dise le gouvernement.
Certains diront que des personnes méritent la peine de mort, mais les criminels n’en restent pas moins des êtres humains. Certains peuvent être réhabilités, d'autres non, mais ils restent des êtres humains. Je crois que nous devons prendre soin des êtres humains.
Je pense qu'il est important que tout le monde s'exprime contre la peine de mort, que cela ait ou non un impact, plutôt que de rester silencieux parce que vous pensez que personne n'écoutera. Ne vous restez pas silencieux. Vous devez toujours exprimer votre opposition. Nous avons besoin d'un monde où la peine de mort n'existe plus. Et je crois qu’un jour la peine de mort sera finalement abolie.
Nous nous battons depuis 58 ans. Nous avons reçu du soutien non seulement de tout le Japon, mais aussi de l'étranger. Je tiens à exprimer ma gratitude à tous pour leur soutien. Ce n’est pas grâce à mon travail acharné qu'Iwao a été sauvé. Cela n'a été possible que grâce à ce soutien.
Quand le juge a déclaré que l'accusé était non coupable au tribunal, sa voix m'a semblée divine. J'étais tellement émue et heureuse que j'ai éclaté en larmes. Je n'ai pas pu m'arrêter de pleurer pendant près d’une heure.
Rocky Myers, plus de 30 ans dans le couloir de la mort aux USA

Portrait de Rocky Myers, © collection privée
Homme noir en situation de handicap mental, Rocky Myers est arrêté en 1991 pour meurtre d’une femme blanche. Durant son procès, un jury composé à majorité d’hommes blancs, le déclare coupable. En 1994, il est condamné à mort.
Pourtant, aucun élément de preuve tangible ne le relie à ce meurtre à l’époque. Les témoignages clés à charge présentent des incohérences et sont entachés par des allégations de pressions exercées par la police.
Son histoire est représentative des failles dans l’application de la peine de mort aux États-Unis. Les préjugés raciaux et de classe ont exercé une influence sur les poursuites engagées contre cet homme.
En mars 2025, Rocky Myers a vu sa peine commuée par le gouvernement de l’Alabama, aux États-Unis. Au total il a été détenu pendant plus de 30 ans dans le quartier des condamnés à mort.
En savoir plus : En Alabama, Rocky Myers dans le couloir de la mort depuis 1994
Ce que nous demandons
La peine de mort et la torture sont la négation absolue des droits humains. Aucun être humain ne doit y être soumis. Nous exigeons l’abolition universelle de ces pratiques et nous nous battons pour que:
Les pays qui utilisent encore la peine de mort adoptent des moratoires et cessent toute exécution
Les pays qui ont déjà pris des moratoires modifient leur législation pour abolir la peine de mort.
Toutes les peines capitales déjà prononcées soient commuées en peines d'emprisonnement
Les gouvernements condamnent sans réserve le recours à la torture, que les actes de torture fassent systématiquement l'objet d'une d'enquête et que les auteurs présumés soient poursuivis en justice
Les États préviennent les actes de torture en formant leurs fonctionnaires, et en prenant des mesures pour éviter que ces actes ne soient commis (lors d’arrestations, en garde à vue ou en détention)
En savoir plus : 3 choses à faire pour soutenir l’abolition universelle de la peine de mort
Une jeune femme iranienne risque d'être exécutée en Iran pour avoir milité contre la peine de mort et les droits humains.
Aidez-nous à agir rapidement en interpellant l'ambassadeur d'Iran en France. Cela ne vous prendra que 3 minutes.