Lentement mais sûrement, la peine capitale prend le chemin des oubliettes de l’Histoire. Aujourd’hui, une majorité de pays dans le monde l’ont abolie ou ont suspendu sa pratique, et leurs rangs grossissent chaque année. Cette tendance de fond se confirme depuis plus de quatre décennies. L’avenir appartient aux abolitionnistes, souligne Anne Denis, responsable de la commission Abolition de la peine de mort pour notre organisation. Entretien.
Anne Denis, responsable de la commission Abolition de la peine de mort pour Amnesty International France © Pierre Morel & Cyril Marcilhacy
Quels sont les ressorts culturels ou géopolitiques expliquant l'évolution mondiale vers l’abolitionnisme ?
Plusieurs facteurs peuvent mener à l’abolition. Si l’on prend l’Union européenne, tous les États-membres ont l’obligation d’être abolitionnistes. C’est pour entrer dans l’Europe que la Turquie a aboli la peine de mort. Pour être membre du Conseil de l’Europe, c’est aussi fortement recommandé. D’où le moratoire de la Russie sur les exécutions. C’est un moteur.
Des raisons économiques peuvent aussi motiver sa suppression. L’an dernier, le Sri Lanka, qui n’a pas aboli la peine de mort mais n’avait exécuté personne depuis quarante ans, a voulu reprendre les exécutions. L’Union européenne est intervenue discrètement pour l’en dissuader en mettant dans la balance les subventions économiques qu’elle verse au pays. Les Maldives ont aussi voulu revenir à la peine capitale après soixante ans de suspension, mais des pressions diplomatiques en coulisse leur ont fait valoir que cela nuirait à leur image et à leur industrie touristique.
Il y a également des gouvernants qui souhaitent mener leur pays sur la voie de l’abolition par conviction personnelle. Ce fut notamment le cas du président de la Mongolie, Tsakhiagiin Elbegdorj, qui a conduit son pays à l’abolir en 2017, au terme d’un processus qui aura duré sept ans. Autre exemple, aux États-Unis, Joe Biden souhaite supprimer la peine capitale au niveau fédéral, espérant que l’initiative servira de modèle aux États fédérés.
Quels sont les pays où la peine capitale reste encore très enracinée ?
La Chine demeure celui qui la pratique le plus. On estime à plusieurs milliers les exécutions et condamnations dans le pays chaque année, même s’il n’y a pas de chiffres officiels car ils relèvent du secret d’État. Vient ensuite l’Iran. Si on rapporte le nombre d’exécutions (251 en 2019) à la population, Téhéran tue plus de détenus que Pékin. La peine de mort est appliquée pour trafic de drogue, meurtre et aussi pour se débarrasser d’opposants politiques, comme en Arabie saoudite, le troisième pays qui exécute le plus. 2019 a été une année particulièrement sanglante dans le royaume, avec 184 exécutions. Vient ensuite l’Irak, où les exécutions ont connu un bond en 2019, comme les condamnations à mort (huit mille personnes seraient dans les couloirs de la mort) en majorité liées à l’organisation État islamique. Le Vietnam est un cas particulier. En 2018, le pays a exécuté quatre-vingt-cinq personnes, ce qui le plaçait au quatrième rang des États pratiquant la peine de mort, mais les autorités n’ont donné aucun chiffre depuis, ce qui rend l’évaluation de la situation impossible.
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Peut-il exister des retours en arrière dans des pays qui ont aboli la peine capitale ?
Aux Philippines, le président Rodrigo Duterte veut absolument réinstaurer la peine de mort. La Chambre des députés a voté son rétablissement mais le projet est bloqué au sénat, notamment en raison de la mobilisation des évêques catholiques contre celui-ci. Les juristes du pays avancent de leur côté que l’État philippin a signé un traité international interdisant les exécutions et qu’il ne peut pas revenir dessus sans se décrédibiliser. Pour l’instant, le statu quo prévaut.
Qu’en est-il de la situation aux États-Unis, la démocratie qui condamne le plus à mort dans le monde ?
Ça bouge beaucoup en ce moment. Il y a eu dix-sept exécutions en 2020, le plus faible nombre depuis les années 1990, et seulement une vingtaine de condamnations à mort, contre trente-cinq en 2019 et quarante-trois en 2018. Aujourd’hui, vingt-deux États fédérés sur cinquante sont abolitionnistes et trois sont sous moratoire (l’Oregon, Washington et la Californie qui a le plus grand couloir de la mort du pays avec sept cents condamnés). Mais ce qui est très important, c’est que la Virginie, ancienne capitale des États sudistes et deuxième exécuteur après le Texas, deviendra dans les semaines qui viennent le vingt-troisième État abolitionniste. C’est un symbole fort.
La position des procureurs ou des juges qui se présentent aux élections dans les États fédérés est aussi intéressante. Ils sont de plus en plus nombreux à dire qu’ils ne requerront pas la peine de mort lors des procès et ils sont élus, ce qui montre que l’opinion publique américaine est en train de changer [55 % des Américains étaient en faveur de la peine de mort en 2020 selon le dernier sondage Gallup, ndlr]. Pourquoi ? Cela tient d’abord à la prise de conscience que l’on exécute des innocents. Le Death Penalty Information Center a publié une liste de cent quatre-vingt-cinq ex-condamnés à mort qui étaient innocents et ont été libérés depuis 1973. L’ONG a aussi contribué à mettre en évidence les biais raciaux et socio-économiques entourant la peine capitale. 95 % des personnes dans les couloirs de la mort sont des indigents, dont une majorité d’Afro-Américains et de Latinos. Le mouvement Black Lives Matter joue aussi, c’est tout un ensemble.
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Dans certains États, le coût financier de la peine capitale est également un argument. En Californie, elle a coûté plus de quatre milliards de dollars sur ces quarante dernières années, en raison de la longueur des procédures (il y a neuf niveaux d’appel, qui mobilisent beaucoup de gens, avocats, experts…) et du coût plus élevé de l’emprisonnement dans les couloirs de la mort.
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L’idée que la peine de mort n’est pas dissuasive fait aussi son chemin, d’autant qu’on remarque que les États qui la maintiennent encore sont aussi ceux qui connaissent le plus fort taux d’homicides.
Enfin, les difficultés récentes de sa mise en œuvre ont joué. Un gros travail de lobbying d’Amnesty et de l’ONG britannique Reprieve a été mené à partir de 2009 auprès des entreprises pharmaceutiques européennes qui fabriquaient des drogues létales et fournissaient les États-Unis pour leurs exécutions. Elles ont cessé de les vendre pour cet usage, et les groupes pharmaceutiques américains leur ont emboîté le pas. Certains États ont annoncé qu’ils allaient réintroduire d’autres méthodes pour tuer les condamnés, comme la chaise électrique ou le peloton d’exécution, mais la pénurie de drogues létales a beaucoup freiné les exécutions dans le pays. Les États-Unis sont une grande démocratie, et leur évolution actuelle peut avoir un retentissement sur les autres États.
Selon un sondage publié dans Le Monde, 55 % des Français seraient favorables au rétablissement de la peine de mort. Faire ce genre de sondage a-t-il encore un sens aujourd’hui ?
Aucun. D’une part on a aboli la peine capitale dans la Constitution et on est tenu par les traités européens et internationaux. L’idée de la rétablir est ridicule, cela voudrait dire sortir de la communauté internationale. Un pays qui foule aux pieds les traités internationaux n’a plus aucune crédibilité. D’autre part, les sondages dépendent de comment et à quel moment la question est posée. L’opinion publique est versatile. Si on l’interroge au lendemain d’un crime particulièrement odieux ou dans un contexte de grande violence, la réponse sera favorable à la peine de mort. C’est humain, mais cela relève de la vengeance, or le rôle d’un État n’est pas d’orchestrer la vengeance mais de rendre la justice.
Si la question de la peine capitale est très médiatisée, celle du quotidien des détenus dans les couloirs de la mort l’est beaucoup moins. Or, bien qu’ils n’aient pas encore été exécutés, ils sont déjà dans les limbes, soumis à des conditions de vie souvent inhumaines. Existe-t-il des signes d’évolution en la matière ?
Aux États-Unis, les condamnés à mort sont détenus 23 heures sur 24 à l’isolement dans de petites cellules souvent sans fenêtre et ont droit à une heure de sortie, seuls. Ils ne peuvent recevoir qu’un nombre de visites limité, et toujours derrière une vitre, sans contact. De plus en plus de prisonniers mènent désormais des actions en justice contre leurs conditions de détention. Des jugements ont été rendus, qui considèrent que cet isolement total porte atteinte au 8e amendement, qui interdit les peines cruelles, d’autant que les détenus doivent l’endurer pendant parfois trente ou quarante ans avant d’être exécutés. Certains aménagements, qui visent à humaniser un peu la détention, sont en cours. En Caroline du Sud, les prisonniers des couloirs de la mort peuvent désormais avoir des contacts entre eux et travailler.
Au Japon, la situation est épouvantable. Les condamnés sont complètement coupés du genre humain. Ils sont confinés en permanence dans une cellule toujours éclairée, où ils doivent se tenir continuellement agenouillés ou assis. Ils ne connaissent pas la date de leur exécution. Chaque jour peut être leur dernier à vivre, et la situation dure des années. Les maladies mentales prennent des proportions terribles. Non seulement ils sont condamnés, mais ils sont punis au quotidien. Les révisions de procès sont par ailleurs très compliquées, les juges étant peu enclins à faire perdre la face à ceux qui ont déjà statué.
En Biélorussie, non seulement les condamnés ne savent pas quand ils seront exécutés, mais on ne rend pas leurs corps aux familles et on ne dit même pas à leurs proches où ils sont enterrés.
Enfin quels que soient les couloirs de la mort, les soins médicaux sont souvent insuffisants ou absents. Au moment où le Bénin a aboli les exécutions, la quinzaine de condamnés à mort du pays étaient laissés à l’abandon, sans soins, avec à peine de quoi manger. Une campagne d’Amnesty International a permis leur transfert dans une prison de droit commun.
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