En Turquie, l’arrestation du maire d'Istanbul et principal leader de l’opposition a provoqué une vague de contestation dans tout le pays, suivie d’une violente répression. Arrestations massives, restrictions de l’accès aux réseaux sociaux, usage disproportionné de la force… les autorités cherchent à étouffer les voix dissidentes par tous les moyens.
Depuis, malgré les restrictions imposées et le durcissement de la répression, la contestation ne faiblit pas. Les mouvements sont largement portés par une jeunesse bien déterminée à exprimer son refus d’un système liberticide. Une partie d’entre elle n’a connu que le président actuel, Recep Tayyip Erdoğan, au pouvoir depuis 22 ans.
Face à cet élan, les autorités turques ont réagi par des mesures violentes. Nos équipes ont documenté les méthodes de répression mises en place pour étouffer le mouvement. Point sur la situation.
Arrestations massives
Depuis l’arrestation du maire d’Istanbul, les rassemblements publics ont été strictement interdits dans plusieurs grandes villes en Turquie. En moins d’une semaine, entre le 19 mars et le 24 mars, les autorités ont procédé à l’arrestation de plus de 1 133 manifestant·e·s. Le 24 mars, lors d’une série de descentes effectuées à l’aube, au moins huit journalistes qui couvraient les manifestations ont été arrêtés à leur domicile.

Des personnes participent à une manifestation contre l'arrestation du maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, dans le cadre d'une enquête pour corruption, à Istanbul, Turquie, le 25 mars 2025. © REUTERS/Umit Bektas.
L’arrestation du maire d’Istanbul, symptomatique de la répression contre l’opposition
Premier opposant et critique virulent du président turc Recep Tayyip Erdoğan, Ekrem İmamoğlu est devenu la bête noire du président turc après avoir remporté les élections municipales à Istanbul en 2019. Une ville stratégique que l'AKP, le parti du président, contrôlait depuis 25 ans.
Réélu aux mêmes fonctions en 2024, le maire d’Istanbul devait être nommé par son parti, le Parti républicain du peuple (CHP), candidat aux prochaines élections présidentielles. Son arrestation le 19 mars, aux côtés d’une centaine d’autres personnes, s’est tenue quelques jours seulement avant cette nomination.
Accusé de « corruption » et de « terrorisme », le maire a été suspendu de ses fonctions et placé sous détention provisoire sur décision de justice le 23 mars. Malgré cela, le CHP a maintenu une primaire symbolique. Quinze millions de Turcs se sont rendus aux urnes pour exprimer leur soutien à Ekrem Imamoglu, dont une large majorité de votants non affiliés au parti.
Si l’utilisation d’accusations liées au terrorisme pour arrêter et poursuivre les opposant·e·s n’est pas une nouveauté, ces dernières arrestations et restrictions connexes sont symptomatiques d’une intensification alarmante de la répression des autorités à l’égard de la dissidence.
Un usage disproportionné de la force
Gaz poivre, gaz lacrymogène, canons à eau, tirs de balles en caoutchouc, parfois à bout portant… les images analysées par nos équipes révèlent un recours totalement injustifié à la force par les forces de police. Frappés à coups de matraque et de pied alors qu’ils étaient à terre, certains manifestants ont été victimes de violences totalement disproportionnées. Les tirs de balles en caoutchouc, parfois à bout portant au niveau du visage et du torse, ont fait de nombreux blessés, dont certains ont dû être hospitalisés.
Décryptage : Quatre armes dangereuses utilisées en manifestation par la police
Enquête : Gaz lacrymogènes : un usage abusif à travers le monde
Témoignages : Des manifestants victimes d’un usage abusif des armes par la police
Les autorités turques doivent mettre fin au recours à la force aveugle et injustifiée par les forces de sécurité contre des manifestant·e·s pacifiques et enquêter sur les actes de violence illégaux commis par la police à l’encontre des manifestant·e·s
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Censure numérique
L’accès aux réseaux sociaux a été restreint pour empêcher la diffusion d’informations et limiter l’organisation des protestations. Les internautes ont également subi une réduction du débit des connexions pendant 42 heures, limitant l’accès à l’information. Plus de 700 comptes de journalistes, de militant·e·s et de figures de l’opposition ont été bloqués sur X (ex Twitter)
Une décennie de répression
En Turquie, la dernière décennie a été marquée par un durcissement considérable de la répression ainsi que par un recul inquiétant pour les droits humains. Les poursuites et condamnations à l’encontre de défenseur·e·s des droits humains et des responsables politiques de l’opposition se sont multipliées.
La liberté de la presse a été sévèrement restreinte, avec une censure croissante des médias et l’emprisonnement de nombreux journalistes en raison de leur travail d'investigation ou de leur couverture critique du gouvernement.
Les lois relatives à la lutte contre le terrorisme et à la désinformation sont utilisées pour faire taire les voix dissidentes. L'utilisation abusive de ces lois pour intimider, harceler et réduire au silence la dissidence pacifique a conduit à un resserrement de l’étau sur la capacité de la société civile à exercer ses droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Lire aussi : Les autorités turques répriment durement les marches des fiertés

Aujourd’hui, le droit de manifester est menacé partout dans le monde. Face à l’urgence, notre organisation a lancé une campagne mondiale pour défendre le droit de manifester.
Nos demandes
Le recours à une force injustifiée et aveugle par la police contre des manifestant·e·s pacifiques en Turquie doit cesser sur-le-champ. Face aux nombreuses violations des droits humains, nous appelons les autorités turques à :
Respecter et protéger le droit de réunion pacifique et le droit à la liberté d’expression
Lever les interdictions générales de manifester
Libérer toutes les personnes détenues de manière injustifiée et arbitraire uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de manifestation pacifique.
MANIFESTEZ-VOUS
En rejoignant notre campagne "Manifestez-vous" vous recevrez des informations sur l’état du droit de manifester dans le monde et en France, des propositions d’actions pour le défendre, et vous pourrez suivre nos avancées et les victoires obtenues ensemble.