Lésions oculaires, fractures, mutilations… des blessures graves, parfois mortelles. Partout dans le monde, les forces de sécurité utilisent de façon abusive des armes de maintien de l’ordre pour réprimer des manifestations pacifiques. Une pratique de plus en plus généralisée. Cette tendance mondiale pose la question, pressante, de la mise en place d’un encadrement de ces armes à létalité réduite afin de protéger le droit de manifester.
Leidy Cadena, étudiante colombienne de 22 ans, participait à une manifestation à Bogotá en 2021. C’est là qu’elle a été touchée en plein visage par une balle en caoutchouc tirée à bout portant par un policier antiémeute. Elle a perdu son œil. Aujourd’hui, les personnes qui descendent dans la rue s’exposent à l’utilisation abusive des armes à létalité réduite par les forces de police. C’est ce que nous avons documenté dans notre rapport intitulé « Mon œil a explosé : l’utilisation abusive des projectiles à impact cinétique dans le monde », publié conjointement avec la Fondation de recherche Omega.
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Basé sur des recherches menées dans plus de 30 pays au cours de ces cinq dernières années, notre rapport révèle que des milliers de manifestants ont été mutilés et des dizaines d’autres tués suite à l’utilisation souvent inconsidérée et disproportionnée d’armes à létalité réduite comme les balles en caoutchouc et les grenades lacrymogènes lancées directement vers les manifestants. Alors que les armes à létalité réduite sont présentées comme des alternatives moins dangereuses que les armes à feu, elles sont trop souvent utilisées contre des manifestants pacifiques.
Malgré les risques, le commerce des armes à létalité réduite ne fait l’objet d’aucune réglementation mondiale. Une réglementation doit être mise en place pour garantir la sécurité et les droits des manifestants.
Pour un contrôle des armes à létalité réduite en manifestation
Des blessures irrémédiables
Ils souhaitaient simplement manifester. Et pourtant leur vie a basculé à cause d’une utilisation abusive d’armes à létalité réduite par les forces de police. Ces dernières années, nous avons constaté, parmi d’autre blessures graves, une augmentation inquiétante des lésions oculaires, fractures du crâne, hémorragies internes et traumatismes psychologiques liés à l'utilisation inconsidérée et disproportionnée des armes de maintien de l’ordre.
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Gatica
Cadena
Les différents témoignages recueillis dans le cadre de notre rapport montrent que les usages abusifs et disproportionnés des armes à létalité réduite de la police s’inscrivent dans une tendance mondiale.
Au Chili, selon une estimation de l’Institut national des droits humains, les actions de la police, lors des manifestations qui ont débuté en octobre 2019, ont occasionné plus de 440 lésions oculaires, et plus de 50 personnes sont mortes à cause de projectiles tirés par les forces de sécurité.
Cette utilisation abusive des armes par la police impacte directement le droit de manifester, déjà largement entravé dans le monde. Lorsque Gustavo Gatica, étudiant en psychologie âgé de 22 ans, descend dans la rue,au Chili, en 2019, c’est pour protester contre les inégalités croissantes de son pays. Il aura perdu la vue à cause d’un tir en pleine manifestation. Personne n’a encore été amené à rendre des comptes pour ce qui lui est arrivé. « J’ai donné mes yeux pour que les gens se réveillent », a-t-il dit. Il continue tout de même de porter un message d’espoir et de résilience.
Un manifestant court après un tir, à Santiago au Chili, sur la place d'Italie, renommée place de la Dignité par les manifestants, 2019 / © Mateo Lanzuela
En Espagne, l’utilisation de projectiles en caoutchouc de la taille d’une balle de tennis, manquant de précision par nature, a causé au moins un décès des suites d’un traumatisme crânien et 24 blessures graves, dont 11 cas de graves lésions oculaires, selon le groupe qui mène la campagne nationale Stop Balas de Goma.
Nous avons également recensé plusieurs cas d’utilisation abusive de grenades lacrymogènes lancées directement vers des manifestants, en Équateur, en France, à Gaza, en Guinée, à Hongkong, en Iran, en Irak, au Pérou, au Soudan, en Tunisie et au Venezuela. Les forces de police sont censées faciliter l'exercice du droit de manifester pacifiquement des personnes, et non les blesser.
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Des gaz lacrymogènes flottent dans l'air suite à une opération des forces de l'ordre lors d'une manifestation à Nantes le 14 septembre 2019 - France / © Stephane Mahe via REUTERS
Des manifestants fuient les gaz lacrymogènes lors d'une manifestation à Nantes, France, 2016 / © Stephane Mahe via REUTERS
Encadrer l'utilisation et le commerces des armes à létalité réduite
Parce que ces armes blessent et tuent, il est nécessaire qu’un cadre mondial juridiquement contraignant soit mis en place. C’est pourquoi nous demandons l’adoption d’un traité international qui réglementerait la fabrication et le commerce des armes à létalité réduite, souvent utilisées pour réprimer les manifestations.
Nous portons deux demandes :
l’interdiction absolue des armes à létalité réduite intrinsèquement abusives, conçues dans le seul but d’infliger la torture ou d'autres mauvais traitements ;
un contrôle strict du commerce des armes à létalité réduite qui peuvent servir légitimement aux opérations de maintien de l’ordre, mais sont susceptibles d’être utilisées pour infliger de la torture ou d'autres mauvais traitements.
L’adoption d’un traité international contribuera à protéger le droit de manifester. Manifester est un droit fondamental que toute personne doit pouvoir exercer, sans peur de représailles.
Pour un contrôle des armes à létalité réduite en manifestation !
Au vu de la dangerosité des armes à létalité réduite, nous avons besoin, sans attendre, d’un traité mondial fort et juridiquement contraignant qui régirait leur commerce.