Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
Blsco Avellaneda /AFP/Getty Images
Espagne
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Espagne en 2023.
Aucune enquête efficace n’a été menée sur la réaction violente des autorités face aux tentatives de franchissement de la frontière séparant Melilla du Maroc en 2022. Les enquêtes sur l’utilisation d’un logiciel espion visant des responsables politiques et des membres de la société civile n’ont pas progressé. Les violences faites aux femmes et aux filles en raison de leur genre ont persisté. Une loi a été adoptée pour supprimer les obstacles à l’avortement. La nouvelle législation visant à garantir le droit au logement était louable, mais elle ne protégeait pas les populations les plus précaires contre les expulsions. Des infractions définies en termes vagues ont été invoquées de façon abusive pour restreindre les droits à liberté d’expression et de réunion pacifique. Le premier procès pour des actes de torture commis pendant le franquisme s’est ouvert. Des mesures ont été prises pour lutter contre la crise climatique, mais elles restaient insuffisantes.
CONTEXTE
Le gouvernement a approuvé en juillet un plan national relatif aux droits humains.
À l’issue des élections générales de juillet, Pedro Sánchez a été reconduit au poste de Premier ministre, après avoir conclu un accord parlementaire prévoyant une loi d’amnistie qui pourrait avoir des implications pour des centaines de personnes, notamment Jordi Sànchez, Jordi Cuixart et d’autres personnes poursuivies en raison de leur participation au mouvement indépendantiste catalan. Cette loi était toujours en instance devant le Parlement à la fin de l’année.
La Cour constitutionnelle a statué en faveur d’une loi de 2010 qui visait à améliorer l’accès à l’avortement légal.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
En juillet, le Comité contre la torture [ONU] a exhorté les autorités à mener une enquête exhaustive et indépendante sur la force illégale dont la police avait fait usage en juin 2022 pour empêcher de nombreuses personnes de rejoindre Melilla, une enclave espagnole située au nord du Maroc, où elles souhaitaient solliciter une protection. Au moins 37 personnes avaient trouvé la mort pendant cette opération et des centaines d’autres avaient été expulsées illégalement.
En décembre 2022, le procureur général avait classé une enquête, faisant valoir que les membres des forces de police avaient agi conformément à la loi espagnole. D’après des sources officielles, personne n’a pu traverser la frontière de Melilla pour demander l’asile en 2023.
En avril, dans un rapport sur une visite menée dans le pays en 2022, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a relevé que l’accès à une procédure d’asile rapide et efficace était difficile dans toute l’Espagne. De nombreuses personnes demandeuses d’asile attendaient au moins six mois avant de passer un premier entretien, avec le risque d’être expulsées dans l’intervalle.
À leur arrivée aux Canaries, des mineur·e·s non accompagnés ont été placés en détention avec des adultes et n’ont pas pu bénéficier d’une protection adéquate.
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
En mai, une enquête menée par le Parlement européen a confirmé qu’au moins 65 personnes, notamment des journalistes, des personnalités politiques et des membres de la société civile catalane, avaient été visées par le logiciel espion Pegasus. Les enquêtes ouvertes dans le cadre d’au moins 13 actions en justice intentées devant plusieurs tribunaux espagnols concernant l’utilisation de ce logiciel espion n’ont pas progressé.
En juillet, face au manque de coopération des autorités israéliennes, l’Audience nationale a provisoirement clos l’enquête sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus contre le Premier ministre, la ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Les violences faites aux femmes et aux filles en raison de leur genre ont perduré. En 2023, 58 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ancien partenaire et 13 ont été tuées par d’autres hommes. Cinquante enfants au total ont été tués dans le contexte de violences liées au genre perpétrées contre leur mère depuis 2013, date à laquelle les homicides de ce type ont commencé à être comptabilisés, dont deux fillettes âgées de cinq et huit ans en 2023.
À la fin de l’année, le pays ne comptait que cinq centres d’aide d’urgence pour les victimes de violence sexuelle.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
En février, une loi a été adoptée pour permettre l’accès aux services d’avortement du système de santé publique dès l’âge de 16 ans, sans qu’un accord parental soit nécessaire.
DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT
En mai, le Parlement a adopté la loi sur le droit au logement, qui encadrait les loyers, allongeait la durée pendant laquelle les expulsions pouvaient être suspendues et protégeait le parc de logements sociaux. Cette loi était certes bienvenue, mais elle ne prévoyait aucune sanction permettant de veiller au respect du contrôle des loyers, n’interdisait pas l’expulsion des personnes risquant de se retrouver sans abri et ne fixait pas d’objectifs annuels d’augmentation du parc de logements sociaux.
Les mesures temporaires de gel des expulsions de personnes en situation de précarité économique ont été prolongées jusqu’à la fin de l’année. Toutefois, 19 332 expulsions ont eu lieu entre janvier et septembre, touchant des milliers de personnes qui ne remplissaient pas les conditions strictes exigées pour pouvoir bénéficier d’une suspension.
Dans le quartier de la Cañada Real, à Madrid, la capitale, 4 500 personnes, dont 1 800 enfants, vivaient toujours sans accès à l’électricité depuis que le fournisseur avait coupé la distribution en 2020.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Une loi protégeant les droits des personnes LGBTI est entrée en vigueur en mars. Elle garantissait aux personnes transgenres l’accès aux services de santé et la reconnaissance juridique du genre fondée sur l’autodétermination. Elle interdisait en outre les thérapies de conversion.
En décembre, l’Assemblée de la communauté de Madrid a adopté une loi rétrograde interdisant la reconnaissance de l’identité de genre fondée sur l’autodétermination et a supprimé des initiatives d’éducation aux droits des personnes LGBTI, entre autres mesures.
DROIT À LA SANTÉ
D’après des chiffres officiels publiés en 2023, les dépenses de santé publique ont baissé de 1,5 % entre 2020 et 2021. Huit communautés autonomes ont également réduit leurs investissements dans les soins de santé primaire, au détriment de l’accessibilité de ces services. Dans le compte rendu de sa visite dans le pays en 2022, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a noté que les établissements de santé publique restaient largement sous-dotés en personnel et a demandé aux autorités d’investir davantage dans les soins de santé primaire.
PERSONNES ÂGÉES
Aucune enquête efficace n’a été menée sur les décès et les violations des droits humains constatés dans les maisons de retraite pendant la pandémie de COVID-19, à l’exception de quelques enquêtes ouvertes par des parquets provinciaux.
RECOURS EXCESSIF À LA FORCE
L’utilisation d’armes à létalité réduite par différentes forces de police du pays restait préoccupante. Par exemple, en juin et en juillet, la police nationale a fait usage de balles en caoutchouc pour disperser des manifestations dans la ville de Vigo, blessant un manifestant.
À la fin de l’année, personne n’avait encore été inculpé dans l’affaire de la mort, en novembre 2021 à Barcelone, d’un homme à qui des membres de la police catalane avaient infligé plusieurs décharges électriques à l’aide d’un pistolet paralysant, y compris après l’avoir immobilisé.
LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Les autorités ont continué de recourir de façon abusive à la Loi relative à la sécurité publique pour restreindre excessivement la liberté d’expression des manifestant·e·s et des journalistes. Cette année encore, quoique plus rarement qu’en 2022, des amendes ont été infligées pour des infractions de nature administrative définies en termes vagues, telles que le « manque de respect vis-à-vis d’un fonctionnaire chargé de faire appliquer la loi » ou la « désobéissance ou résistance à l’autorité ou à ses agents ».
À la fin de l’année, huit défenseur·e·s du droit au logement attendaient toujours d’être jugés pour avoir occupé pacifiquement une agence bancaire afin d’empêcher une expulsion en 2017. Ils encouraient jusqu’à 38 mois d’incarcération et une amende de 3 600 euros.
Aucune enquête n’a été ouverte après la parution dans les médias d’informations selon lesquelles des fonctionnaires de police en civil auraient infiltré des mouvements sociaux en utilisant comme couverture des relations sexuelles et intimes. Le ministère de l’Intérieur a fait valoir que ces opérations étaient des activités de renseignement autorisées par le gouvernement et qu’elles étaient toujours classifiées au titre de la Loi sur les secrets officiels.
Deux enquêtes pénales pour offense au sentiment religieux ont été ouvertes contre un journaliste et une humoriste pour des contenus relevant respectivement de la satire politique et de l’humour.
TRANSFERTS D’ARMES IRRESPONSABLES
En décembre, le gouvernement a annoncé avoir suspendu depuis octobre la délivrance de nouvelles licences d’exportation d’armes et d’équipements militaires vers Israël. D’après des données mises à la disposition du public, au premier semestre 2023, l’Espagne a accordé 22 autorisations de transfert d’armes vers Israël, d’une valeur de plus de 44 millions d’euros.
DISCRIMINATION
Selon des données officielles publiées au cours de l’année, 2040 crimes de haine ont été signalés en 2022, dont 45,3 % étaient motivés par des considérations racistes ou xénophobes.
IMPUNITÉ
En septembre, Julio Pacheco, victime de torture pendant la dictature franquiste, a été entendu en tant que plaignant par une juge espagnole, une première en Espagne. Il a décrit en détail sa détention ainsi que les tortures qu’il avait subies en 1975 à l’ancienne Direction générale de la sécurité, située à Madrid. Sa femme, Rosa García Alcón, qui avait également été arrêtée et torturée, a été entendue en qualité de témoin.
En octobre, un juge a clos l’enquête sur la plainte déposée par Carles Vallejo concernant les tortures qu’il aurait subies entre 1979 et 1980 au poste de police de Via Laietana, à Barcelone. Un recours a été formé contre cette décision.
Une proposition de loi d’amnistie contenait des dispositions préoccupantes, laissant notamment craindre que des cas de recours excessif à la force de la part de la police puissent être couverts par la loi et que les droits des victimes ne soient pas suffisamment protégés.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
L’Espagne a vécu son troisième été le plus chaud jamais enregistré et l’Institut de santé Carlos III a estimé que, pour la période allant de janvier à septembre, 6 799 décès pouvaient être imputés à la chaleur. Les canicules, associées à de longs épisodes de sécheresse et exacerbées par le réchauffement climatique, ont accru l’intensité et la propagation des feux de forêt ; 84 939 hectares ont ainsi été ravagés par les flammes.
Une nouvelle version du plan national intégré en matière d’énergie et de climat prévoyait, à l’horizon 2030, jusqu’à 32 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Cet objectif était bien en deçà de la réduction de 43 % précédemment annoncée par le gouvernement.
En juin, la Cour suprême, appelée à se prononcer sur une action intentée en 2021 contre le gouvernement pour son manque d’ambition dans la lutte contre le changement climatique, a tranché en faveur du gouvernement. Cet arrêt ne prenait pas en compte les obligations internationales de l’Espagne au regard des droits humains ni le besoin urgent d’intensifier l’action climatique.