« J’ai refusé de m’enrôler parce que je ne voulais pas être impliqué dans la perpétration du génocide. » Malgré l’obligation de servir, Itamar Greenberg a refusé de rejoindre l’armée israélienne. Cette décision, il l'a prise pour défendre ses convictions, au nom de la justice et de la réconciliation. Considéré comme un « objecteur de conscience » en Israël, il a purgé cinq peines consécutives d’emprisonnement à seulement 18 ans. Itamar expose ici les raisons qui l’ont poussé à faire ce choix.

Je milite en faveur de la réconciliation, de l’égalité et de la justice. En mars, j’ai été libéré après 197 jours de détention dans une prison militaire israélienne parce que j’avais refusé de m’enrôler dans l’armée.
Je viens d’une famille haredim (les Haredim sont des juifs ultra-orthodoxes) de Bnei Brak. En Israël, les Haredim, qui représentent 14 % de la population, forment une communauté fermée. Dans l’environnement dans lequel j’ai grandi, le service militaire n’était même pas envisageable, pour des motifs strictement religieux.
À l’âge de 12 ans, j’ai compris qu’en tant qu’enfant haredim, la seule solution pour m’intégrer dans la société israélienne consistait à rejoindre l’armée. De cette prise de conscience à ma récente libération de prison, le cheminement a été long et jalonné de réflexions profondes et de conflits internes, entre propagande nationaliste et considérations rationnelles et éthiques. J’ai commencé à me poser des questions, non seulement sur la religion dans laquelle j’avais grandi mais également sur l’humanité et tout ce qui en découle.
La plupart des Israéliens et Israéliennes ne voient pas uniquement dans le service militaire une obligation au regard de la loi mais presque un passage indispensable, une marque de prestige et de fierté. Cependant, en m’informant sur le rôle de l’armée israélienne qui contrôle et réprime des millions de Palestiniens et Palestiniennes, j’ai compris que s’enrôler ne signifiait pas simplement se faire une place dans la société israélienne mais participer activement à un système de violence, de domination et d’oppression. Je me suis rendu compte que si je m’enrôlais, je ferais moi aussi partie du problème.
J’ai compris que je me trouvais face à un choix : appartenir à la société israélienne ou préserver mon sens moral. J’ai choisi le sens moral.
Je n’ai pas pris cette décision de manière soudaine, je l’ai mûrie au cours d’un long processus d’apprentissage et de prise de conscience morale. Plus j’avançais dans mes réflexions, plus j’étais convaincu que je ne pourrais pas revêtir un uniforme symbole de meurtre et d’oppression. Ces considérations ont à voir avec le fait de refuser de servir dans le contexte de l’occupation. Mais dans mon cas, ce refus s’inscrivait également dans le contexte du génocide : j’ai refusé de m’enrôler parce que je ne voulais pas être impliqué dans la perpétration du génocide. Je suis ce que l’on appelle un refusenik dans le contexte du génocide (le terme « refusenik » désigne en Israël les objecteurs les objectrices de conscience).
En Israël, les personnes qui refusent de servir dans l’armée pour des raisons politiques et morales payent un lourd tribut. Cette décision peut avoir des conséquences sur la vie sociale et être synonyme d’ostracisation et de mise au pilori. Elle peut également avoir des conséquences sur le plan juridique car la conscription militaire est obligatoire, excepté pour les citoyen·nes palestinien·nes d’Israël ou pour quelques motifs précis. Refuser de s’enrôler pour des raisons d’objection de conscience est passible d’une peine de prison. J’ai été condamné à plusieurs reprises à des peines dans des prisons militaires par un colonel de l’armée israélienne. Au total, j’ai passé 197 jours en détention, répartis sur cinq peines distinctes. Quelques heures avant ma libération, je n’avais pas la moindre idée du nombre de mois de prison qui m’attendaient encore.
Dans les prisons militaires, les conditions sont dures. Certains jours, j’étais placé à l’isolement en raison de menaces de la part d’autres détenus. Chaque jour, je devais rester au garde-à-vous pendant environ quatre heures. Mais je pouvais lire, penser et écrire. J’ai ainsi pu garder l’esprit clair. Je savais que je faisais ce qui était juste, et je ressentais une grande sérénité. Je savais que je pouvais être libéré sans délai : je n’avais qu’à accepter de rejoindre l’armée. Mais comment aurais-je donc pu m’y résoudre, alors que, là dehors, une campagne de nettoyage ethnique et de destruction était en cours ?
Les tueries de masse et l’apartheid ne sont pas et ne seront jamais un moyen de garantir la « sécurité ». Ce sont des crimes contre l’humanité. Plongés dans une terreur existentielle, les enfants vivent en permanence dans la peur de mourir. Ils n’ont rien fait, ils sont juste nés palestiniens. J’ai choisi d’entrer dans une cellule de prison pour montrer ma solidarité avec ces enfants et je n’avais aucunement l’intention de demander à être libéré avant eux. Ou peut-être suis-je entré dans cette cellule pour ne pas devoir les tuer.
Dans tous les cas, mon emprisonnement a duré aussi longtemps parce que j’ai refusé de demander quoi que ce soit, comme par exemple à être réformé pour des raisons de santé ou de santé mentale. Je ne voyais pas ce que je pouvais leur demander à part de mettre fin au massacre en cours à Gaza. En fin de comptes, ce sont eux (l’armée israélienne) qui ont capitulé. Ils ont compris que je ne mentirais pas à propos de mon état de santé mentale et que je ne présenterais pas d’autres demandes de libération.
Mon refus de m’enrôler a également eu des implications concrètes. En Israël, l’armée n’est pas seulement une institution militaire, elle constitue également un sésame pour être accepté·e dans la société. Celles et ceux qui ne servent pas dans l’armée sont automatiquement relégués au rang de citoyen·nes de seconde classe. Des portes se ferment, les chances s’amoindrissent, et le message est clair : si vous n’adhérez pas au système, vous n’avez pas vraiment votre place.
Mon refus ne relevait pas seulement d’un choix personnel, il s’agissait d’une déclaration politique et la société israélienne a réagi en conséquence. D’un côté, les militant·es et les membres de la gauche radicale ont exprimé leur soutien. De l’autre, l’immense majorité de l’opinion publique israélienne m’a considéré comme un traitre. On m’a accusé d’antisémitisme et de soutien au terrorisme. Même parmi mes proches, cela n’a pas toujours été facile. Parmi mes ami·es, certain·es n’ont pas accepté ma position et ont préféré couper les ponts.
Cependant, je ne vois pas mon refus de servir comme un combat uniquement personnel. Il s’inscrit dans une lutte plus vaste contre le militarisme, contre l’oppression, contre une réalité dans laquelle la violence s’impose comme la réponse par défaut. Et la violence ne doit plus être la solution par défaut ; elle doit être complètement éradiquée.
En général, ce qui distingue les humanistes des fascistes, c’est, sans surprise, leur adhésion aux valeurs humanistes. Mais, comme nous le savons, même celles et ceux qui s’inscrivent dans l’idéologie fasciste ont un fond de bonté. Leur adhésion au fascisme ne nous autorise bien entendu en aucune manière à les priver de leurs droits fondamentaux parce que, précisément, nous ne voulons pas devenir fascistes. Notre droit de nous battre pour la justice découle de notre engagement à agir de manière juste. La réalité de ce qui se passe du fleuve jusqu’à la mer ne fait que renforcer l’importance majeure de ce combat.
Nous ne pouvons pas construire une société juste avec les canons des armes. Les tueries de masse et l’apartheid ne sont pas et ne seront jamais un moyen de garantir la « sécurité ». Ce sont des crimes contre l’humanité.
Tandis que j’écris ces mots, Israël a « rouvert les portes de l’enfer à Gaza » et lancé une campagne massive de bombardements sur Gaza le 18 mars, tuant des enfants et des familles entières dans leur sommeil. Partout dans le monde, on évoque le génocide commis par Israël. Des rapports, des articles et des enquêtes continuent d’être produits. La communauté internationale ne peut pas se contenter d’« exprimer sa préoccupation ». Les exportations d’armes à Israël doivent cesser. Les dirigeants israéliens responsables de crimes internationaux doivent faire l’objet de poursuites. Il faut mettre fin immédiatement au génocide et à l’apartheid.
Je devrais conclure par un message d’espoir.
Mais nous n’avons pas le temps de rêver.
Le temps est venu de résister.