Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
©Ashraf Shazly/AFP/Getty Images
Soudan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Soudan en 2023.
Les attaques délibérées ou aveugles perpétrées dans le cadre du conflit armé entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide et leurs milices alliées ont fait de très nombreuses victimes civiles. Toutes les parties au conflit ont commis de graves violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire. Des femmes et des filles ont été victimes de violences sexuelles dans le cadre du conflit. La question de l’impunité restait au cœur des violations et exactions liées au conflit. Des millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et environ 1,4 million d’autres ont fui vers les États voisins, où elles vivaient dans des conditions épouvantables.
CONTEXTE
En avril, d’intenses affrontements armés ont éclaté à Khartoum, la capitale, entre les Forces armées soudanaises (FAS), emmenées par le général Abdel Fattah al Burhan, et les Forces d’appui rapide (FAR), des forces paramilitaires ayant à leur tête le général Mohamed Hamdan Dagalo, également connu sous le nom de Hemedti. Les hostilités se sont rapidement étendues à d’autres régions, notamment au Darfour et au Kordofan du Nord. Les combats ont débuté après des mois de tension entre les deux groupes à propos, entre autres, de réformes des forces de sécurité proposées dans le cadre des négociations visant à établir un nouveau gouvernement de transition.
Les combats se sont intensifiés en dépit de multiples déclarations de cessez-le-feu. D’après l’ONU, plus de 12 000 personnes ont été tuées dans le pays entre les mois d’avril et de décembre. Selon des informations rendues publiques en octobre, environ 15 millions de personnes, soit 31 % de la population, étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Des combattants, principalement des membres des FAR, se sont livrés à de nombreux pillages d’habitations, de commerces et d’institutions publiques, dont des hôpitaux, des entrepôts d’organisations humanitaires et des banques, à Khartoum et au Darfour.
Parallèlement, le conflit en cours au Darfour depuis 20 ans a continué de provoquer d’immenses souffrances dans la région.
ATTAQUES MENÉES SANS DISCERNEMENT
De nombreux civil·e·s ont été pris dans des tirs croisés entre les FAS et les FAR, qui ont lancé de multiples attaques dans et depuis des secteurs densément peuplés, souvent au moyen d’armes explosives à large rayon d’impact. Des hommes, des femmes et des enfants ont ainsi été tués chez eux ou alors qu’ils essayaient désespérément de se procurer de la nourriture ou d’autres produits de première nécessité. D’autres personnes ont été tuées ou blessées dans leur fuite pour échapper aux violences, ou dans des lieux où elles avaient trouvé refuge. Dans la plupart des cas, il était très difficile de déterminer quel camp avait tiré les munitions ayant tué ou blessé des civil·e·s.
Le 15 avril, jour où les affrontements ont débuté, une jeune médecin, Ala Fawzi al Mardi, a été tuée et sa mère, Zeinab Ahmad Othman, blessée par une balle perdue. Les deux femmes se trouvaient chez elles à Omdurman, dans le quartier de Hay al Manara.
Le 24 avril, Suhair Abdallah al Bashir, avocate, et ses deux beaux-frères, Mohammed et Omar al Rayeh, ont été tués par un engin explosif tiré à proximité de leur véhicule alors qu’ils sortaient de chez eux, en plein centre de Khartoum, près du ministère des Affaires étrangères.
Le 18 mai à Nyala (Darfour méridional), la maison de Khadija Mustafa Osman Said, située dans le quartier d’Imtidad, près du centre-ville, a été touchée par des munitions. Cette femme, ses fils, Haydar et Hameid Hamed Guma Khater, et leur voisin, Mustafa Ali Hamdan, ont perdu la vie.
Sept personnes au moins ont été tuées et 12 autres blessées le 21 mai dans une frappe contre le ministère de l’Agriculture, situé dans la partie nord du quartier d’al Jamarik, à El Geneina (Darfour occidental), où de nombreux habitant·e·s avaient trouvé refuge après avoir quitté leur foyer.
Des dizaines de civil·e·s ont été tués ou blessés le 14 juin dans le quartier d’al Madaris, à El Geneina, dont une femme, Gamra Mustafa, qui a été touchée par deux balles alors qu’elle se trouvait chez elle. Le même jour et non loin de là, dans le quartier de Hay al Riadh, un garçon de sept ans, Adnan Ishaq, a été mortellement touché à la poitrine par une balle perdue à l’intérieur de son domicile.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
Des civil·e·s ont été tués ou blessés dans des attaques ciblées menées à de multiples endroits du pays, dont Khartoum, mais plus particulièrement dans le Darfour occidental.
Le 13 mai, des membres des FAR se sont introduits dans l’enceinte de l’église copte Mar Girgis (Saint-Georges), située dans le quartier de Bahri, à Khartoum. Ils ont tiré sur cinq membres du clergé, qu’ils ont blessés, et ont volé de l’argent ainsi qu’une croix en or.
Le 19 mai, Peter Kiano, professeur de mathématiques et de technologie âgé de 60 ans, originaire du Soudan du Sud et qui vivait et travaillait à Khartoum depuis de nombreuses années, a été abattu par des soldats des FAR devant un restaurant, dans la banlieue sud de Khartoum.
Les tensions se sont accrues au Darfour, notamment au Darfour occidental, où des villes et des villages, dont El Geneina, Misterei et Tandelti, ont été attaqués par des milices arabes lourdement armées soutenues par des combattants des FAR. De nombreuses personnes appartenant à l’ethnie masalit, pour la plupart des hommes et des adolescents, ont été délibérément tuées ou blessées dans des attaques motivées par l’appartenance ethnique.
Ibrahim Adam Mohamed et son frère Mohamed ont été blessés par balles le 25 avril par des membres d’une milice arabe alors qu’ils étaient assis devant chez eux dans le quartier de Bouhaira, à El Geneina.
Le 14 mai, Adam Zakaria Ishaq, médecin et défenseur des droits humains qui travaillait pour le Réseau du Darfour pour les droits humains (DNHR), a été tué, ainsi que 13 autres personnes, dans le Centre médical de secours, un établissement de santé situé dans le quartier d’al Jamarik, à El Geneina.
Abderrahman Ibrahim Ahmed et Ali Ishaq Ali Bashir, agriculteurs, ont été délibérément pris pour cible et tués par des combattants d’une milice arabe le 17 mai à Tandelti, une ville située au nord-ouest d’El Geneina, à proximité de la frontière tchadienne. Cinq autres civil·e·s, parmi lesquels Mariam Mohamed Ahmad et son cousin Hassan Ibrahim ont été tués dans cette attaque.
Des dizaines de civil·e·s ont trouvé la mort le 28 mai dans la ville de Misterei (au sud- ouest d’El Geneina) lorsque des heurts ont éclaté entre les FAR et leurs milices alliées d’une part, et des groupes armés masalits d’autre part. Les combattants des FAR ont tué cinq frères à leur domicile.
Le gouverneur du Darfour occidental, Khamis Abakar, qui était aussi le chef de l’Alliance soudanaise, un groupe armé, a été tué à El Geneina le 14 juin. Il avait été fait prisonnier un peu plus tôt dans la journée par des combattants des FAR.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Des dizaines de femmes et de filles, dont certaines n’avaient pas plus de 12 ans, ont été soumises à des violences sexuelles liées au conflit, notamment des viols, par des combattants des deux camps, mais principalement des membres des FAR et des milices alliées. Parmi les victimes figuraient une majorité de Soudanaises et quelques étrangères. Ces femmes étaient enlevées et soumises à des violences sexuelles chez elles ou bien lorsqu’elles sortaient pour se procurer de la nourriture ou d’autres produits de première nécessité. Des combattants des FAR ont par exemple enlevé un groupe de 24 femmes et filles et les ont emmenées dans un hôtel de Nyala, où elles ont été séquestrées pendant plusieurs jours dans des conditions s’apparentant à de l’esclavage sexuel et violées par plusieurs membres des FAR.
Le 22 juin, trois hommes armés arabes en civil s’en sont pris à une femme de 25 ans et l’ont forcée à entrer dans le bâtiment de l’état civil du quartier d’al Jamarik, à El Geneina, où ils lui ont fait subir un viol collectif.
Faute de services de protection, de réadaptation et de prise en charge en nombre suffisant, beaucoup de victimes n’avaient pas accès à l’aide médicale et psychosociale dont elles avaient besoin. De nombreux établissements de santé ont été endommagés et pillés dans le cadre du conflit, et un certain nombre de soignant·e·s ont dû partir. La prise en charge rapide indispensable après un viol était sommaire, voire inexistante ; les victimes étaient dans l’impossibilité de porter plainte et de solliciter des soins médicaux, ou avaient trop peur pour le faire. En outre, dans certaines régions, les réseaux de communication étaient peu performants ou totalement coupés et la circulation rendue très difficile par le conflit.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
Le procureur de la CPI a déclaré en juillet que son bureau avait ouvert des enquêtes sur les attaques perpétrées les mois précédents au Darfour. Trois hommes inculpés par la CPI (dont l’ancien président Omar el Béchir) n’avaient toujours pas été remis à la Cour pour y être jugés.
Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté le 11 octobre une résolution instaurant une mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan. Ce mécanisme était chargé d’enquêter et d’établir les faits, les circonstances et les causes profondes de toutes les atteintes aux droits humains et violations du droit international humanitaire, y compris celles commises contre des réfugié·e·s, et des crimes connexes perpétrés dans le contexte du conflit armé en cours.
DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES
Le conflit a eu des effets dévastateurs sur la population civile, et la situation n’a cessé de se détériorer. Entre avril et décembre, plus de 5,8 millions de personnes ont dû quitter leur foyer pour trouver refuge ailleurs dans le pays, ce qui faisait du Soudan le théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements de population. Plus de 4,5 millions d’entre elles ont été déplacées pendant la seule période du 15 avril au 19 octobre, selon les Nations unies. Parmi les personnes qui ont dû quitter l’endroit où elles se trouvaient figuraient des réfugié·e·s d’autres pays, originaires en particulier d’Éthiopie, d’Érythrée et du Soudan du Sud, qui avaient trouvé refuge au Soudan.
La crise humanitaire à laquelle faisaient face les personnes déplacées a été aggravée par de graves pénuries de nourriture, d’eau, de médicaments et de carburant. Les prix des produits de première nécessité se sont envolés du fait de la perturbation des routes commerciales et des difficultés d’accès, si bien que ces produits sont devenus inabordables pour la population.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Entre le 15 avril et la fin de l’année, près de 1,4 million de personnes ont quitté le pays pour se réfugier dans les pays voisins (Égypte, Éthiopie, République centrafricaine, Soudan du Sud et Tchad), où elles vivaient dans des conditions déplorables. La situation était encore plus difficile pour les personnes en quête d’asile qui se sont vu refuser l’entrée dans certains pays, ce qui les exposait au risque d’être renvoyées vers les périls qu’elles avaient tenté de fuir.
Les autorités égyptiennes ont ainsi exigé de tous les ressortissant·e·s soudanais qu’ils obtiennent un visa d’entrée délivré par le bureau consulaire égyptien des villes soudanaises de Wadi Halfa ou de Port- Soudan. Le 29 mai, l’Égypte a par ailleurs mis en place une condition supplémentaire d’habilitation de sécurité pour les garçons et les hommes âgés de 16 à 50 ans souhaitant pénétrer sur son territoire (voir Égypte).