Un flux incessant d'armes alimente le conflit au Soudan et aggrave la crise humanitaire. Des armes en provenance de Chine, des Émirats arabes unis, de Russie, de Serbie, de Turquie, du Yémen ont été identifiées sur le champ de bataille. Nous dénonçons l’inefficacité de l'embargo sur les armes dans le Darfour et appelons à un embargo étendu à l’ensemble du Soudan.
Enquête sur du matériel de guerre français utilisé dans le conflit au Soudan
Sur des images du conflit au Soudan, nos équipes de recherche ont détecté du matériel de guerre français incorporé sur les véhicules blindés émiratis. Ces véhicules sont utilisés par des milices paramilitaires au Soudan.
Il s’agit du système GALIX, fabriqué par les entreprises françaises KNDS France et Lacroix Défense, et vendu aux Emirats Arabes Unis (EAU).
Les EAU ont une longue tradition de violation d’embargo sur les armes notamment en Libye et au Soudan. Pourtant, en près de 10 ans, la France a vendu des armes aux EAU pour plus de 2,6 milliards d’euros.
La France a pour devoir de s’assurer qu’aucune de ses livraisons d’armes ne soit utilisées au Soudan et de faire respecter les embargos sur les armes qui touchent le Soudan.
Elle doit ainsi immédiatement cesser de fournir ce matériel de guerre aux EAU !
Notre nouveau rapport, intitulé New Weapons Fuelling the Sudan Conflict, explique comment des armes et des munitions importées de pays comme la Chine, la Russie, la Serbie, la Turquie, les Émirats arabes unis et le Yémen sont détournées vers le Darfour en violation de l'embargo sur les armes décrété par les Nations unies et se retrouvent entre les mains de combattants accusés de violations des droits humains
Nos recherches montrent que des armes entrées dans le pays ont été mises entre les mains de combattants qui sont accusés de violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains. Nous avons méthodiquement suivi la trace de diverses armes meurtrières, notamment des armes de poing, des fusils et des carabines, utilisées au Soudan par les forces belligérantes.
Source : Amnesty Suisse sur Viméo
Comment avons-nous enquêté ?
Amnesty International a analysé plus de 1 900 dossiers d'expédition provenant de deux fournisseurs de données commerciales distincts (couvrant respectivement les années 2013 à 2023 et 2020 à 2023) et examiné des preuves numériques et en accès libre, dont environ 2 000 photos et vidéos, concernant des armes récemment fabriquées ou récemment importées au Soudan.
Amnesty International s'est également entretenue avec 17 spécialistes régionaux des armes et du Soudan entre février et mars 2024 afin de corroborer l'analyse des données et d’enquêter sur les filières d'approvisionnement en armes utilisées par divers groupes.
En raison de la poursuite du conflit, les chercheurs·euses d'Amnesty International n'ont pas été en mesure de mener des enquêtes au Soudan. Toutes les entreprises et tous les acteurs cités ont reçu les conclusions de nos investigations avant la publication du rapport et ont ainsi eu la possibilité d’y répondre et de fournir des informations supplémentaires. Le cas échéant, des éléments de ces réponses ont été ajoutés au rapport.
« L'afflux constant d'armes au Soudan continue de causer des morts et des souffrances à très grande échelle au sein de la population civile », a déclaré Deprose Muchena, directeur régional d'Amnesty International. « Il est évident que l'embargo sur les armes qui ne s'applique actuellement qu'au Darfour est totalement inadéquat et qu’il doit être revu et étendu à l'ensemble du Soudan. Il s'agit d'une crise humanitaire qui ne peut être ignorée. Alors que la famine menace, le monde ne peut pas continuer de se désintéresser du sort de la population civile au Soudan. »
L'embargo actuel sur les armes, qui ne s'applique qu'au Darfour, a échoué. Les Nations unies doivent l'étendre de toute urgence à l'ensemble du Soudan. Les États et les entreprises doivent immédiatement cesser de fournir des armes et des munitions au Soudan.
Les civils doivent être protégés. Nous exigeons un élargissement de l'embargo sur les armes de l'ONU afin de mettre un terme au flux mortel d'armes vers le Soudan.
Une crise majeure qui ne peut être ignorée
À ce jour, plus de 16 650 personnes ont été tuées depuis l’escalade du conflit entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces d’appui rapide (FAR) d'avril 2023.
On estime que plus de 11 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays et que des millions d'entre elles sont exposées à un risque immédiat de famine.
Nos enquêtes ont montré que des civil·es étaient victimes de frappes aveugles et d’attaques menées directement contre la population civile. Des crimes de guerre sont commis par les parties au conflit.
Il y a vingt ans, en 2003, le conflit au Darfour éclatait. Bilan humain : 300 000 morts et près de 2 millions de personnes déplacées. Après des années d'instabilité et d'insécurité, le pays fait face à une nouvelle flambée de violence depuis le 15 avril 2023. Les auteurs des crimes d’hier continuent de sévir aujourd’hui.
Un rapport de MSF révèle des violences de grande ampleur à l’encontre de la population
Médecins sans frontières (MSF) a documenté des violences de grande ampleur contre la population civile au Soudan. Depuis le début du conflit, des violences sexuelles, des ciblages ethniques, des attaques contre les hôpitaux, les personnel de santé et les zones résidentielles, ont été perpétrés par les Forces armées soudanaises (SAF) et par les Forces de soutien rapide (RSF).Dans un seul des hôpitaux soutenus par MSF, à Omdurman, 6776 patients ont été soignés pour des blessures liées au conflit entre août 2023 et avril 2024, soit une moyenne de 26 personnes par jour.
Les témoignages recueillis indiquent que les agressions sexuelles sont courantes dans ce conflit. Parmi les survivantes de violences sexuelles prises en charge par MSF dans des camps de réfugiés au Tchad, 90 % ont été violées par des hommes armés. MSF appelle les parties au conflit à cesser immédiatement les attaques contre les civils et à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans le pays.
Un commerce mondial de la mort
Brouilleurs de drones, mortiers et fusils antimatériels fabriqués en Chine, véhicules blindés flambant neufs provenant des Émirats arabes unis, mais aussi des centaines de milliers d'armes à blanc et des millions de cartouches à blanc exportées par des entreprises turques … Selon nos recherches, de nombreuses armes légères et des munitions récentes provenant de différents pays sont utilisées sur le champ de bataille par les parties au conflit.
Nous avons également constaté une tendance émergente consistant à détourner au profit des forces gouvernementales et des groupes d'opposition armés des armes légères normalement vendues sur le marché civil. Des entreprises en Turquie et en Russie ont exporté des variantes civiles d'armes légères qui sont utilisées par les deux parties au conflit.
Des armes telles que le fusil de précision Tigr et le fusil Saiga-MK, fabriqués par l’entreprise russe Kalashnikov Concern, qui sont normalement destinées à des détenteurs·trices civils d'armes, ont été vendus à des marchand·es d'armes ayant des liens étroits avec les FAS.
Sarsilmaz, le principal fabricant turc d'armes légères, compte parmi les fournisseurs des FAS. L'analyse des données commerciales a également révélé que de petites entreprises turques, telles que Derya Arms, BRG Defense et Dağlıoğlu Silah, ont également exporté des carabines et des fusils de chasse turcs vers le Soudan ces dernières années. Par exemple, une vidéo postée par les FAR sur leur compte officiel X, qui aurait été filmée à Nyala, dans le sud du Darfour, le 15 février 2024, montre un soldat des FAR équipé d'un fusil BRG 55 fabriqué par l’entreprise turque Burgu Metal. Amnesty International a également découvert des éléments prouvant que des mortiers chinois récemment fabriqués ont été utilisés à El Daein, dans l'est du Darfour, et que de récentes armes légères chinoises sont également largement présentes dans d'autres régions du Soudan.
Ces armes pourraient être transformées en armes létales à grande échelle au Soudan.
En fournissant des armes au Soudan, les États parties au Traité sur le commerce des armes tels que la Chine et la Serbie violent leurs obligations juridiques au titre des articles 6 et 7 du Traité, et sapent ainsi le cadre juridiquement contraignant qui régit le commerce mondial des armes.
Deprose Muchena, directeur régional d'Amnesty International
Il est essentiel d'examiner de plus près ce commerce largement non réglementé.
L’urgence : étendre l’embargo sur les armes à tout le Soudan
« Le Conseil de sécurité de l'ONU doit de toute urgence étendre l'embargo sur les armes au reste du Soudan et renforcer ses mécanismes de surveillance et de vérification » a déclaré Deprose Muchena.
Cet élargissement doit permettre de surveiller et prévenir efficacement les transferts internationaux et le détournement illicite d'armes vers le pays, et doit couvrir le plus large éventail possible d'armes afin de lutter contre le détournement généralisé de carabines, de fusils de chasse, de pistolets à blanc et de munitions connexes vers le Soudan.
Compte tenu des risques graves et persistants en matière de droits humains, tous les États et toutes les entreprises doivent également cesser immédiatement de fournir des armes et des munitions au Soudan, ce qui couvre la fourniture, la vente et le transfert directs ou indirects d'armes et de matériel militaire, y compris les technologies, pièces et composants connexes, l'assistance technique, la formation et l'aide financière ou autre.
Les États doivent également interdire explicitement le transfert vers le Soudan d'armes à feu destinées à la clientèle civile, puisque nous avons constaté à maintes reprises que de telles armes se retrouvaient entre les mains des parties au conflit.
Notre priorité : la protection des civils au Soudan.
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