Gaz lacrymogènes, grenades explosives, lanceur de balles de défense, matraques… Partout dans le monde, la police utilise ce type d’armes dans le cadre de manifestations. Bien que qualifiées d’armes à létalité réduite*, elles blessent et tuent. Et leur commerce est hors de contrôle. Focus sur la dangerosité de ces armes utilisées par la police et sur l’encadrement à adopter à l’échelle internationale.
En France, Zineb Redouane, 80 ans, est morte après avoir été touchée en plein visage par une grenade lacrymogène tirée par un CRS. Au Chili, Gustavo Gatica, 21 ans, a perdu la vue après avoir été touché par un projectile tiré par la police. Dans le cadre de manifestations, des milliers de personnes ont subi des blessures graves qui ont changé leur vie et parfois causé leur mort. L'usage des armes à létalité réduite fait lors des opérations de maintien de l'ordre est souvent dangereux. Et ces armes sont utilisées trop fréquemment comme outil de répression.
Au vu de la dangerosité des armes à létalité réduite dans les opérations de maintien de l’ordre, nous avons deux demandes principales : nous demandons l’interdiction des armes à létalité réduite conçues dans le seul but d’infliger des mauvais traitements. Et nous recommandons un contrôle strict du commerce des armes à létalité réduite pouvant servir légitimement aux opérations de maintien de l’ordre, mais susceptibles d’être utilisées pour infliger des mauvais traitements.
Car ces armes sont susceptibles d'être utilisées pour commettre des violations graves des droits humains et utilisées pour réprimer les manifestations pacifiques. Un cadre doit donc exister.
Pour un contrôle des armes à létalité réduite en manifestation
À voir : Notre campagne visuelle sur l'usage abusif des armes en manifestation
Qu'est-ce qu'une arme à létalité réduite ?
Une arme à létalité réduite est une arme alternative aux armes à feu. Ce type d’arme est principalement utilisé dans des opérations de maintien de l'ordre, pour neutraliser la ou les cibles. On parle d’armes à létalité réduite et non pas d’armes non létales, car bien qu’elles ne soient pas conçues pour tuer, elles peuvent tout de même avoir des conséquences mortelles, en fonction de la manière dont elles sont utilisées.
Une carte interactive recense les violences contre les manifestants dans le monde
Nos équipes ont réuni dans une carte interactive le travail de nos chercheuses et chercheurs qui ont identifié des entraves au droit de manifester partout dans le monde.
Une carte qui donne à voir la nette augmentation de la répression des Etats envers les manifestants. Elle indique les pays où les manifestants sont victimes d’abus et le type de menaces auxquelles ils sont confrontés. Elle détaille également la législation en vigueur concernant les manifestations, les publications des Nations unies et explique comment les gens peuvent agir.
Voici un inventaire des principales armes à létalité réduite utilisées lors de manifestations. 👇
Gaz lacrymogènes
Le gaz lacrymogène est censé être utilisé pour maintenir à distance des personnes violentes ou pour disperser les participants à une manifestation violente. Composé de substances chimiques irritantes, il provoque chez les personnes qui y sont exposées des sensations de brûlure, de la toux, des difficultés respiratoires et une irritation de la peau. Les niveaux de toxicité peuvent varier en fonction des spécifications des produits, de la quantité utilisée et de l’environnement dans lequel le gaz est utilisé. Un contact prolongé peut représenter des risques graves pour la santé.
Des gaz lacrymogènes flottent dans l'air suite à une opération des forces de l'ordre lors d'une manifestation à Nantes le 14 septembre 2019 - France / © Stephane Mahe via REUTERS
Pour les forces de sécurité, les gaz lacrymogènes permettent de disperser « sans danger » des foules en évitant d’avoir à utiliser des armes plus dangereuses. Or, plusieurs situations que nous avons pu analyser dans le cadre d’une enquête mondiale attestent que cette arme à létalité réduite est utilisée de façon abusive par les forces de l’ordre lors des rassemblements publics dans de nombreux pays : de grandes quantités de gaz lacrymogènes sont souvent utilisées contre des manifestants majoritairement pacifiques et des projectiles sont tirés directement sur des personnes.
Voir : Zineb Redouane, tuée par un tir de grenade lacrymogène
Lire aussi : Gaz lacrymogène, un usage abusif à travers le monde
Un membre de la police anti-émeute libanaise utilise un lanceur de type cougar pour tirer une grenade lacrymogène lors d'une manifestation à Beyrouth, Liban, le 10 août 2020 / © Thaier Al-Sudani TPX via REUTERS
Le gaz lacrymogène ne peut être employé que dans les situations de violence généralisée, dans le but de disperser une foule et uniquement lorsque d’autres moyens n’ont pas permis de contenir la violence.
Le gaz lacrymogène ne peut pas être utilisé dans un espace confiné ou lorsque les rues et autres issues sont bloquées.
Le gaz lacrymogène ne peut être utilisé à proximité des écoles ou des hôpitaux ou pour viser des personnes vulnérables (personnes âgées, femmes enceintes, enfants).
Les gens doivent être avertis du recours imminent à ces moyens et avoir suffisamment de temps pour se disperser avant leur utilisation
Lorsque le gaz lacrymogène est utilisé, il convient d’éviter toute exposition répétée ou prolongée et de mettre en place immédiatement des procédures de décontamination.
Les cartouches et grenades contenant le gaz lacrymogène ne doivent jamais être directement tirées sur une personne.
Grenades explosives
D’autres types de grenades sont utilisées par les forces de l’ordre, notamment les grenades GLI-F4 et les grenades de désencerclement. Ces deux types de grenades sont considérées en France comme du matériel de guerre.
Les grenades GLI-F4 sont les plus puissantes. Contenant du gaz lacrymogène et une charge explosive de TNT, elles ont un effet combiné de souffle et d’assourdissement. Elles peuvent être lancées à la main ou via des armes de lancement. Les conséquences de leur emploi peuvent être dramatiques pour les personnes visées. Lors du mouvement des Gilets jaunes, ce type de grenades a notamment causé plusieurs mutilations graves avant d'être interdit par le ministère de l'Intérieur, en janvier 2020.
Les grenades de désencerclement sont des grenades explosives qui ne diffusent pas du gaz mais envoient des projectiles en caoutchouc tout en ayant un effet assourdissant. Cette grenade doit être lancée par les forces de l’ordre en direction du sol.
Aller plus loin : Les 25 règles d'usages des projectiles à impact cinétique
Un gendarme lance une grenade vers les manifestants lors d’une manifestation contre les violences policières, à Paris – France, le 2 février 2019 / © Karine Pierre - Hans Lucas via AFP
En 2016, alors qu'il manifestait, Laurent Theron a été touché par une grenade de désencerclement. Il a perdu son œil droit. Un procès a été ouvert. Le 14 décembre 2022, le CRS qui l'a éborgné a été acquitté. Voici l'un des exemples qui illustre la dangerosité de ce type d'armes.
Les grenades de désencerclement doivent être interdites lors des opérations de maintien de l’ordre.
Nous demandons leur interdiction car le risque de blessure grave est réel : les grenades de désencerclement ne peuvent pas être tirées exclusivement sur des individus commettant des actes de violence sans présenter le risque d'en blesser d'autres à proximité ; les plots qu'elles projettent frappent de façon aléatoire les personnes avec un risque élevé de lésions graves. Par ailleurs, elles ont un effet assourdissant, qui vise à désorienter les personnes, ce qui est contreproductif si l’objectif est de chercher à les disperser car cet effet risque plutôt de les empêcher de réagir.
Lanceur de balle de défense
Le lanceur de balles de défense est une arme très souvent employée par les forces de l’ordre pendant les manifestations. Connue aujourd’hui sous le nom de LBD40 (pour son calibre de 40 mm), cette arme est censée permettre de neutraliser des personnes violentes, l’objectif étant d’immobiliser les personnes visées après qu’elles aient reçu une balle en caoutchouc. Or, cette arme et ces munitions sont à l’origine de nombreuses blessures graves et mutilations, notamment de l’éborgnement de manifestants pacifiques.
Les grenades explosives et le LBD40 sont classifiés comme matériel de guerre selon la législation française.
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Des policiers armés de lanceurs de balles de défense, à Nantes - France, le 26 janvier 2019 / © Stephane Mahe via REUTERS
Le LBD40 doit être suspendu en attendant que ses effets sur les droits humains soient correctement évalués
Les autorités doivent faire procéder à une évaluation indépendante et minutieuse (auprès du fabricant et des forces de sécurité utilisant l'arme) relative à la précision des munitions utilisées.
À la lumière de cette évaluation, les réglementations, les instructions et la formation devraient également être examinées de manière approfondie afin de mieux prévenir toute utilisation pouvant causer des blessures graves
Si ces conditions ne sont pas réunies, le LBD40 devrait être alors proscrit lors d’opérations de maintien de l’ordre.
Matraques
Les armes de frappes telles que les matraques sont l’une des catégories les plus courantes d’armes à létalité réduite dont peuvent être équipées les forces de l’ordre. Ces armes sont conçues pour infliger une douleur par choc à des fins d’autodéfense ou pour défendre autrui. Les coups portés peuvent donc causer des blessures légères mais ne sont pas censées entraîner des blessures graves. Or, nos recherches dans le cadre d’une enquête mondiale ont permis d’établir que les matraques étaient parmi les armes le plus souvent employées abusivement dans le cadre de l’application de la loi dans de nombreux pays.
Lire aussi : Matraques de police : un usage abusif à travers le monde
Nous avons analysé plus de 500 vidéos enregistrées pendant des manifestations, entre 2011 et 2021. Résultat : plus de 180 cas d’utilisation abusive de matraques par les forces de police ont été identifiés dans 35 pays.
Des policiers anti-émeute équipés de matraques lors d'une manifestation suite à la mort de George Floyd, le 30 mai 2020 à Minneapolis, États-Unis / © Brett Carlsen via Getty Images
Un ordre et un avertissement clairs doivent être donnés oralement avant le recours à la matraque.
Les matraques ne doivent jamais être utilisées pour disperser un rassemblement pacifique, ou contre une personne déjà maîtrisée ou des personnes déjà en train de se disperser.
Les matraques ne peuvent être employées que comme moyen de défense contre des attaques violentes ou contre des personnes opposant une résistance violente ou, plus généralement, se livrant à des violences contre une autre personne.
Les frappes de matraques ne doivent viser que les principales masses musculaires et éviter les zones à risque élevé de la tête, du cou, de la colonne vertébrale, de la gorge ou de l’aine.
Les matraques dont le seul but pratique est la torture ou d’autres mauvais traitements, comme les matraques à pointes, lestées ou à impulsions électriques, doivent être interdites.
De trop nombreux manifestants ont été et sont encore victimes d’un usage abusif des armes lors d’opérations de maintien de l’ordre. Dans le cadre de notre campagne sur la protection du droit de manifester dans le monde, nous plaidons activement en faveur d’un traité mondial pour réglementer la fabrication et le commerce d’équipements de maintien de l’ordre. Manifester est un droit fondamental, qui ne doit en aucun cas être entravé par des pratiques excessives qui pourraient dissuader les gens de l’exercer librement.
Pour un contrôle des armes à létalité réduite en manifestation !
Au vu de la dangerosité des armes à létalité réduite, nous avons besoin, sans attendre, d’un traité mondial fort et juridiquement contraignant qui régirait leur commerce.