Alors que des Etats-Unis à Hong Kong en passant par la France, les gaz lacrymogènes sont massivement utilisés, notre plateforme interactive « Tear-Gas » répertorie et analyse plus de 100 cas d’utilisation abusive des gaz lacrymogènes dans 31 pays et territoires.
Pour les forces de sécurité, les gaz lacrymogènes permettent de disperser « sans danger » des foules violentes, en évitant d’avoir à utiliser des armes plus dangereuses. Or, nos recherches prouvent que la police les utilise massivement d’une manière qui ne correspond absolument pas à l’usage prévu. Souvent, elle utilise de grandes quantités de gaz lacrymogène contre des manifestants pacifiques dans leur large majorité, les blessant ou dans certains cas, provoquant même des décès. Nous estimons, tout comme le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, que l’utilisation de gaz lacrymogènes équivaut dans certaines circonstances à un recours à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements.
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Concrètement, quelles substances y a-t-il dans les gaz lacrymogènes ? Quels sont les impacts sur la santé ? Comment sont-ils utilisés à travers le monde ? Notre site interactif Gaz lacrymogènes: l'enquête répond à ces questions grâce à de nombreux ressources mises à disposition : vidéos d’expert, infographie, cartographie...
Exemples d’utilisation abusive
Dans certaines vidéos, on voit des grenades lacrymogènes lancées sur un cortège funèbre, dans un bus scolaire, dans des hôpitaux, dans des immeubles, dans le métro, dans des galeries marchandes, et aussi, étonnamment, dans des rues presque désertes. Les forces de sécurité ont aussi tiré des grenades lacrymogènes directement sur des personnes, qui ont été blessées ou tuées, depuis des camions, des jeeps, et au moyen de drones. Parmi les personnes visées figurent des personnes pacifiques manifestant pour le climat, des lycéens, du personnel médical, des journalistes, des personnes migrantes et des défenseurs des droits humains, notamment des membres du mouvement Bring back our girls, au Nigeria.
Dans une vidéo datant du 1er juin 2020, on peut voir des policiers, à Philadelphie, tirer plusieurs salves de gaz lacrymogènes sur de nombreux manifestants qui sont bloqués en bordure d'une autoroute et qui n’ont aucune possibilité de s’échapper sans danger. Des médecins à Omdurman, au Soudan, ont témoigné que des agents des forces de sécurité et des soldats avaient effectué l’an dernier une descente avec du gaz toxique dans la salle d’un service des urgences, infligeant des blessures supplémentaires à 10 patients. Une grenade de gaz lacrymogènes a été lancée sous le lit d’un homme de 70 ans hospitalisé pour un arrêt cardiaque. Cet homme est mort 10 minutes après.
Le cas de la France
En France aussi, les forces de l’ordre ont parfois réprimé violemment des personnes pacifiques lors de manifestations ou d’interventions de police. Nous avons identifié plusieurs vidéos qui prouvent l’usage abusif des gaz lacrymogènes, notamment contre des lycéens ou des personnes mobilisées pour le climat. Le 21 septembre dernier, nous avions déjà dénoncé l’usage massif de gaz lacrymogène contre la marche pour le climat à Paris, alors même que le cortège était très largement pacifique. Cette réaction des forces de l’ordre, qui a affecté tous les manifestants de façon indiscriminée, n’est pas conforme aux exigences du droit international et représente une menace pour le droit de manifester.
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Son usage incontrôlé peut mettre les personnes en grave danger, au-delà des effets directs des gaz. Ainsi, le 21 juin 2019 à Nantes, les forces de l’ordre françaises ont utilisé massivement du gaz lacrymogène , contre des personnes qui participaient à la fête de la musique, en bordure de fleuve et de nuit. Cela aurait provoqué, selon les témoins, un mouvement de foule avec des personnes en état de panique sous l’effet des gaz lacrymogènes, dont plusieurs ont chuté dans la Loire. Steve Maia Caniço, qui était présent à la soirée, a été retrouvé mort dans le fleuve plusieurs semaines après. A Marseille, le 2 décembre 2018, lors d’une manifestation des Gilets jaunes, Zineb Redouane, une octogénaire qui était à sa fenêtre, a été atteinte par une grenade lacrymogène tirée par les forces de l’ordre dans le cadre d’une manifestation des “gilets jaunes” qui se déroulait dans sa rue. Elle est décédée le lendemain.
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La liste des cas répertoriés n’est sont pas exhaustive, mais donne un aperçu des problèmes liés à l’usage des gaz lacrymogènes en France et de la nécessité que les autorités changent de pratiques pour se confirmer au droit international relatif aux droits humains.
Comment avons-nous enquêté ?
Pendant un an, notre “Laboratoire de preuves recueillies par des citoyens” (Citizen Evidence Lab) a examiné des vidéos publiées sur des plateformes de réseaux sociaux telles que Facebook, YouTube et Twitter pour analyser l’utilisation des gaz lacrymogènes à travers le monde. Nous avons vérifié près de 500 vidéos et recensé plus de 100 cas dans 31 pays et territoires d’utilisation abusive des gaz lacrymogènes, en vérifiant le lieu, la date et la validité de ces données. Ces vidéos, ainsi que les entretiens menés avec des manifestants ou des experts (médecins, spécialistes des droits humains), mettent en lumière une tendance très inquiétante, observée dans le monde entier, consistant à utiliser de façon illégale des gaz lacrymogènes.
Pour un contrôle des armes à létalité réduite en manifestation !
Au vu de la dangerosité des armes à létalité réduite, nous avons besoin, sans attendre, d’un traité mondial fort et juridiquement contraignant qui régirait leur commerce.