Depuis plusieurs années, la Grèce est devenue un laboratoire de l'Union européenne pour tester ses politiques migratoires basées sur l'exclusion. Un système inhumain qui viole les droits des personnes exilées sous les yeux des pays de l’Union Européenne (UE) qui le financent. Enquête sur un exemple cinglant de cette politique néfaste : le centre de détention de Samos.
Dans une zone isolée, à la périphérie de la ville principale de l’île grecque de Samos se trouve un complexe sous haute surveillance, clôturé de fil barbelé. Il s’agit du « centre fermé à l’accès contrôlé » (KEDN en grec), un camp financé par l’Union européenne (UE) où sont enfermées de manière arbitraire des personnes, principalement originaires de pays du Moyen-Orient et d’Afrique, qui demandent l’asile en Grèce.
Ce camp a été conçu en 2021, un an après les incendies qui ont ravagé le camp de Moria sur l’île voisine de Lesbos dans lequel les conditions de vie sordides ont marqué les esprits. La Commission européenne décide d'investir 276 millions d’euros pour la création de cinq nouveaux centres. Le centre de Samos est le premier à ouvrir ses portes. L’UE fait alors une promesse : ces centres bénéficieront de « meilleures conditions » de détention.
Aujourd’hui, quatre ans après l’ouverture du centre de Samos, notre enquête prouve que l’UE a rapidement oublié sa promesse. Lors d’une visite en décembre 2023, nous avons constaté un véritable « cauchemar dystopique » : un camp sous haute surveillance, dépourvu des infrastructures et des services les plus élémentaires, où, sous prétexte d’effectuer des procédures d’identification, les autorités soumettent systématiquement les personnes demandeuses d’asile à une détention illégale et arbitraire. Des caméras de sécurité et des barbelés ceinturent le centre, créant un environnement " semblable à une prison ".
À quoi ressemble la vie dans le centre de Samos ?
En octobre 2023, 4 850 personnes résidaient dans ce centre pour une capacité d’accueil initiale de 2040 personnes. Conséquence de cette surpopulation : des personnes sont hébergées dans des zones non résidentielles telles que des cuisines, des salles de classe et des conteneurs, dans des conditions déplorables.
Nous sommes confrontés à des problèmes de santé mentale. J’ai fui la guerre. Nous avons quitté la Syrie pour avoir un avenir meilleur […] pas [pour être] ici dans des [conditions] dangereuses, insalubres, difficiles pour toutes les raisons. J’ai laissé ma famille au pays et maintenant je me sens puni ici.
Nabil*, un Syrien vivant dans le centre
Depuis février 2024, le nombre de résident·es a diminué et n’excède plus la capacité du centre. Cependant, de graves défaillances persistent : manque d’accès aux services médicaux, pénuries d’eau courante...
« Il n'y avait pas assez d’eau ou les soins de santé étaient insuffisants et, dans certains cas, même les lits manquaient. » Deprose Muchena, Directeur général en charge de l’impact régional sur les droits humains à Amnesty International
Quelles sont les restrictions auxquelles les résident·es sont confrontées ?
Au centre KEDN de Samos, nous avons constaté de graves irrégularités.
👉 Il est impossible de quitter le centre pendant des semaines, parfois des mois sauf pour des “raisons de santé graves”. Souvent, les nouveaux arrivants sont confinés dans le centre pendant 25 jours voire au-delà de ce délai légal. Ces restrictions sont appliquées systématiquement, sans évaluation personnalisée.
❌ Cela dépasse ce qui peut être considéré comme une restriction légitime du droit de circuler librement et s’apparente à une détention illégale
👉 Les mineur·es non accompagnés hébergés séparément dans une « zone sécurisée » sont eux aussi interdits de quitter le centre, sauf pour se rendre à l’école ou, depuis peu, pour pratiquer des activités de loisir sous la supervision de personnes chargées de la protection de l’enfance.
❌ Cela viole leur droit à la liberté, leur droit à la sécurité et leur droit de circuler librement, et va à l’encontre des normes internationales selon lesquelles la détention d’enfants dans un contexte migratoire est une violation de leurs droits et devrait être interdite.
Notre rapport est accompagné d’œuvres d’art dont des résidents sont les auteurs, qui représentent visuellement leurs émotions et leurs expériences de la vie dans le centre. Les œuvres ont été créées lors d’ateliers organisés en collaboration avec Samos Volunteers. Une galerie en ligne est visible à cette adresse.
"Ma première journée au camp de Samos
Tout était bien. Quand nous avons atteint l’île de Samos après avoir souffert en Turquie et « vu » la mort en mer, nous n’arrivions pas à croire que nous étions en vie et en bonne santé.
Ils sont venus en ambulance et avec des médecins au cas où quelqu’un serait blessé, mais personne n’était blessé, Dieu merci. Ils nous ont donné de la nourriture, de l’eau et des vêtements parce que la plupart d’entre nous étaient trempé·e·s. Une fille avait des frissons et de la fièvre, mais le médecin lui a donné du paracétamol. Elle [le médecin] était très gentille avec nous et nous a dit qu’elle avait travaillé au Yémen. Ça m’a fait tellement plaisir.
Ils nous ont emmené·e·s dans un gros véhicule parce que nous étions très nombreux. Plus de 20 personnes… Dès que nous sommes arrivé·e·s dans le camp, ils nous ont donné de la nourriture et de l’eau. La nourriture était bonne mais nous avons été retardé·e·s à cause des nombreuses questions et procédures. Nous étions tellement fatigué·e·s que tout ce que nous voulions, c’était dormir. Une fois le processus [d’inscription] terminé, nous avons pris nos couvertures et nous sommes rendu·e·s à un endroit qu’ils appellent [illisible]. En arrivant là-bas, nous avons été surpris·es car il n’y avait pas de matelas et nous allions devoir dormir à même le sol.
C’était problématique pour certain·e·s, mais ça allait pour les autres. Nous avons allumé l’air conditionné parce qu’il faisait froid et nous avons dormi, après un long voyage plein de péripéties et de difficultés…
Nous souffrons du problème d’eau. Ça coupe encore dans les toilettes la plupart du temps.
La procédure d’asile est toujours retardée et nous ne savons pas pourquoi."
Qu’est-ce qu’un centre fermé à l’accès contrôlé ?
Le centre repose sur un système strict de restrictions et de surveillance, qui se caractérise notamment par une double clôture barbelée, une vidéosurveillance, des infrastructures de sécurité numériques et matérielles et la présence de patrouilles de police et d’agents de sécurité privés 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
En avril 2024, l’Autorité grecque de protection des données a infligé une amende aux autorités grecques pour l’utilisation de systèmes de sécurité également en place dans le centre de Samos, en raison de violations de la législation sur la protection des données.
Alors que le Parlement européen votait un Pacte sur la migration et l’asile néfaste pour les droits des personnes exilées en avril 2024, l’exemple du centre de Samos renforce nos préoccupations quant à l’accès à l’asile et le risque de violations des droits humains de ces personnes en Europe. . Les règles grecques en matière d’asile sur les ” restrictions à la liberté ” privant systématiquement et illégalement de liberté les personnes qui demandent l’asile doivent être abrogées de toute urgence. Et, à cette fin, l’UE doit amener la Grèce à rendre des comptes pour les violations des droits humains commises dans ce centre, et veiller à ce que cet exemple ne serve pas de modèle pour le Pacte sur la migration et l’asile récemment adopté.
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