Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© AP Photo/Hellenic Coast Guard
Grèce
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Grèce en 2023.
Des cas de recours illégal à la force dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations ont de nouveau été signalés cette année. Les rescapés d’un naufrage dans lequel ont péri plus de 600 personnes ont accusé les autorités grecques d’avoir provoqué le drame. Des défenseur·e·s des droits humains étaient toujours confrontés à une criminalisation de leur travail auprès des personnes réfugiées ou migrantes. Une enquête menée par l’autorité grecque de protection des données a permis d’identifier 88 personnes ayant été la cible du logiciel espion Predator. Les droits des objecteurs de conscience qui refusaient d’effectuer leur service militaire ont cette année encore été bafoués. Des incendies ravageurs ont entraîné des pertes de vies humaines et la destruction d’habitats naturels, suscitant des inquiétudes au sujet de la défaillance du système de lutte contre les incendies.
RECOURS EXCESSIF À LA FORCE
Des cas de recours illégal à la force au cours d’opérations policières ont de nouveau été signalés cette année, notamment dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations comme celles qui ont suivi la catastrophe ferroviaire de Tempé en février.
En juin, un tribunal de la capitale, Athènes, a déclaré un policier coupable de torture, en retenant la qualification d’« infraction mineure », pour avoir frappé un étudiant sur la place Nea Smyrni en mars 2021, lors d’un contrôle de l’application des mesures liées à la pandémie de COVID-19. Un autre policier a été condamné pour complicité.
Au mois de novembre, une cour d’appel a estimé la police responsable des blessures subies en 2011 par le psychologue Yiannis Kafkas lors d’une manifestation à Athènes, blessures qui auraient pu lui coûter la vie. Le tribunal lui a accordé une indemnisation.
DROIT À LA VIE
Kostas Manioudakis est décédé en septembre des suites de mauvais traitements qui lui auraient été infligés par la police lors d’une opération d’interpellation et de fouille dans le village de Vrysses, en Crète.
En octobre, un procureur a proposé d’inculper un policier d’homicide volontaire et d’usage illégal de son arme à feu dans l’affaire de la mort de Kostas Frangoulis, adolescent rom de 16 ans tué par balle en 2022 dans la ville de Thessalonique.
Christos Michalopoulos, 17 ans, a été abattu par un policier en novembre à Leontari, dans la municipalité d’Aliartos, à la suite d’une poursuite en voiture. Le policier a été inculpé d’homicide potentiellement volontaire et d’usage illégal de son arme à feu.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Des violations des droits humains ont continué d’être commises aux frontières grecques, notamment des renvois sommaires illégaux, s’accompagnant dans certains cas de violence.
Le 14 juin, plusieurs heures après avoir été repéré par un avion de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), un bateau transportant, selon les estimations, environ 750 personnes, dont de nombreux enfants, a coulé au large de la côte de Pylos. Seuls 104 hommes ont survécu. Les rescapés ont invariablement déclaré à Amnesty International et à Human Rights Watch (HRW) que les gardes-côtes grecs avaient remorqué leur embarcation à l’aide d’une corde, la faisant dévier, puis chavirer. Des rapports indépendants émanant d’ONG et de médias fiables ont présenté une version similaire des faits, fermement contestée par les autorités grecques. Amnesty International et HRW ont également recueilli des informations faisant état de graves défaillances dans la gestion du sauvetage par les autorités grecques. Les deux organisations ont en outre noté que les enquêtes ouvertes ultérieurement par les pouvoirs publics sur les actes des gardes- côtes n’avaient guère progressé et que les autorités pourraient avoir compromis l’intégrité d’éléments de preuve cruciaux.
En novembre, le défenseur des droits grec a ouvert une enquête sur les actions des gardes-côtes, évoquant leur refus de mener une enquête disciplinaire interne. La médiatrice européenne a annoncé en juillet qu’une enquête allait être ouverte sur le rôle de Frontex dans les opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée, notamment dans le cadre du naufrage de Pylos. Ce drame a mis en lumière le besoin urgent de voies de migration sûres et légales vers l’Europe.
À partir du mois de juillet, le nombre de personnes réfugiées ou migrantes arrivant par la voie maritime a augmenté, portant le total d’arrivées pour l’année à plus de 41 000, contre moins de 13 000 en 2022. Cette situation a aggravé les conditions de vie déjà difficiles qui régnaient dans les centres d’accueil insulaires, comme dans le « centre fermé à l’accès contrôlé » (KEDN) de l’île de Samos, où l’État imposait un régime de détention de facto aux nouveaux arrivant·e·s.
En janvier, la Commission européenne a déclenché une procédure d’infraction contre la Grèce pour non-respect du droit communautaire relatif à l’asile et à la migration. Cette procédure visait les obstacles empêchant les personnes réfugiées de bénéficier d’une protection sociale, ainsi que la pratique, instaurée par une loi de 2022, consistant à priver les nouveaux arrivant·e·s de leur liberté, pour une durée pouvant aller jusqu’à 25 jours, pendant la procédure d’accueil et d’identification. La médiatrice européenne a ouvert en juillet une enquête sur la façon dont la Commission européenne veillait au respect des droits fondamentaux dans le cadre de son soutien aux KEDN.
Au mois d’octobre, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Grèce pour n’avoir pas accordé des soins médicaux appropriés à une demandeuse d’asile séropositive au VIH dans deux centres d’accueil.
Des feux de forêt dans la région de l’Evros (voir Droit à un environnement sain) ont alimenté les discours racistes et les atteintes aux droits des personnes migrantes ou réfugiées.
Une modification législative adoptée en décembre a introduit la possibilité, pour les personnes migrantes sans papiers qui résidaient en Grèce depuis trois ans au moins à la fin du mois de novembre 2023 et qui disposaient d’une proposition d’emploi, de demander un titre de séjour de trois ans. Cette modification a également réduit la période d’attente obligatoire imposée aux personnes demandeuses d’asile pour pouvoir travailler, qui est passée de six mois à 60 jours à compter de la date de dépôt de leur demande d’asile.
DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS
Des défenseur·e·s des droits humains étaient toujours confrontés à une criminalisation de leur travail auprès des personnes réfugiées ou migrantes. La Cour suprême a abandonné en août les charges pesant sur Sarah Mardini et Séan Binder pour plusieurs délits. Cependant, le mois suivant, ces deux personnes et 22 coaccusé·e·s ont été inculpés de quatre crimes, notamment de création d’une organisation criminelle, de participation à une telle organisation et d’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire.
Les charges retenues contre Panayote Dimitras, porte-parole de l’ONG Greek Helsinki Monitor (GHM), et Tommy Olsen, responsable de l’ONG Aegean Boat Report, en lien avec leur travail d’assistance aux personnes réfugiées ou migrantes aux frontières grecques et de signalement des cas de violences et de retours illégaux aux frontières, continuaient de susciter des inquiétudes. En janvier, les autorités ont imposé des mesures de restriction à Panayote Dimitras. L’interdiction qui lui a été faite de travailler pour GHM a toutefois été annulée en mai. Des ONG se sont également inquiétées de la campagne de diffamation et du harcèlement judiciaire dont il faisait l’objet.
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
Au mois de juillet, dans le cadre d’une enquête de l’autorité grecque chargée de la protection des données sur l’utilisation du logiciel espion Predator, 350 SMS visant à installer un logiciel de surveillance ont été découverts ; 88 personnes ont été informées que leurs téléphones portables avaient été pris pour cibles.
La société civile et des membres du Parlement européen ont fait part de leur préoccupation, en septembre, au sujet du brusque remplacement de plusieurs membres de l’Autorité hellénique pour la sécurité et la confidentialité des communications (ADAE) par le Parlement grec à un moment crucial de l’enquête sur le scandale du logiciel espion.
En octobre, lors d’une audience devant une commission du Parlement européen, le président de l’ADAE a exprimé son inquiétude quant au fait qu’un membre actuel et une ancienne membre de l’ADAE étaient sous le coup d’une enquête judiciaire, tandis que personne n’avait été inculpé à ce jour pour avoir utilisé le logiciel espion.
DROITS DES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP
En septembre, le capitaine d’un ferry et trois membres de son équipage ont été inculpés en lien avec la noyade d’Antonis Kargiotis, un passager du ferry. Un enregistrement a révélé que l’un des membres de l’équipage avait proféré des injures racistes à l’encontre de ce passager. Des militant·e·s des droits des personnes en situation de handicap ont appelé les autorités à enquêter sur de possibles motifs haineux dans cette affaire, en raison de l’état de santé présumé de la victime.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Les discours péjoratifs et délétères à l’encontre des personnes LGBTI tenus tout au long de l’année dans les sphères politiques et médiatiques étaient source d’inquiétude.
Le Réseau d’observation de la violence raciste a annoncé en avril avoir recensé, en 2022, 38 crimes motivés par la haine visant des personnes LGBTI ou des défenseur·e·s de leurs droits.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Selon des informations datant du mois d’avril, un tribunal aurait en partie accepté, en décembre 2022, une plainte au civil contre la journaliste Stavroula Poulimeni et la coopérative de médias indépendants Alterthess. Le tribunal aurait ordonné à cette dernière de verser 3 000 euros de dommages et intérêts au dirigeant d’une entreprise d’extraction d’or. Il a été fait appel de cette décision.
L’affaire, qui présentait toutes les caractéristiques d’un procès- bâillon, concernait une infraction à la législation sur la protection des données qu’aurait commise Stavroula Poulimeni en écrivant un article faisant état de la condamnation du dirigeant en question pour dommages environnementaux par un tribunal de première instance.
DROITS DES FEMMES
Quatorze féminicides ont été signalés entre janvier et début décembre. Dans son rapport de novembre, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [Conseil de l’Europe] a fait part de sa vive inquiétude au sujet de la loi de 2021 sur la « garde partagée », qui ne contenait pas de garanties suffisantes pour que les épisodes de violence domestique soient pris en compte dans les décisions relatives aux conditions de garde de l’enfant et au droit de visite.
En octobre, une procureure a proposé la mise en accusation de deux policiers pour le viol en réunion d’une jeune femme au poste de police d’Omónia, à Athènes, en octobre 2022, et d’un troisième policier pour complicité.
DROITS DES OBJECTEURS DE CONSCIENCE
Cette année encore, des objecteurs de conscience ont été arrêtés et ont fait l’objet de sanctions répétées sous la forme d’amendes et de procès devant des tribunaux militaires. D’après des informations publiées en 2023, 67 % des demandes d’obtention du statut d’objecteur de conscience invoquant des motifs autres que religieux ont été rejetées en 2022. Le Conseil d’État a annulé certains de ces refus discriminatoires ; d’autres recours étaient toujours en instance devant cet organe à la fin de l’année.
La Grèce n’a toujours pas appliqué la décision du Comité des droits de l’homme [ONU], qui avait conclu en 2021 à de multiples violations du PIDCP dans l’affaire concernant l’objecteur de conscience Lazaros Petromelidis.
DROIT À LA SANTÉ
En septembre, le Comité européen des droits sociaux [Conseil de l’Europe] a jugé recevable une plainte collective déposée par Amnesty International. Cette plainte faisait valoir que l’État grec avait contrevenu aux dispositions de la Charte sociale européenne relatives au droit à la santé et à l’interdiction de la discrimination du fait des répercussions sur le système de santé des mesures d’austérité appliquées après la crise financière de 2009-2010.
Tout au long de l’année, des syndicats de professionnel·le·s de la santé ont fait part de difficultés majeures dans ce secteur, évoquant notamment un manque récurrent de personnel et de financements.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Malgré les avancées signalées en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les combustibles fossiles restaient la principale source d’énergie utilisée dans le pays. Trois organisations de défense de l’environnement ont demandé en décembre à la Commission européenne d’amener la Grèce à rendre des comptes pour avoir systématiquement donné un « blanc-seing » aux opérations de forage de pétrole et de gaz au large des côtes grecques.
Il a été constaté que le changement climatique dû à l’activité humaine augmentait la probabilité et l’intensité des épisodes de chaleur extrême et des inondations en Grèce. Entre juillet et septembre, des inondations et des feux de forêt ravageurs ont provoqué au moins 38 décès confirmés, causé la perte d’habitats naturels, coûté la vie à des milliers d’animaux et entraîné la perte de moyens de subsistance pour la population.
Le feu de forêt qui s’est produit dans la région de l’Evros a été le plus vaste jamais enregistré dans l’UE. Il a tué au moins 20 personnes, probablement des réfugié·e·s et des migrant·e·s. À la suite de ces feux catastrophiques, le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’est dit préoccupé par les défaillances du système national de lutte contre les incendies et a exhorté les autorités à effectuer des changements radicaux pour protéger les forêts.