Alors que le Covid-19 continue de se répandre dans le monde entier, nous avons demandé à des travailleurs et des travailleuses de la santé de revenir sur leur expérience face à cette crise sans précédent. Voici 7 choses capitales à retenir.
Depuis des mois, le personnel de santé travaille dans des conditions extrêmement difficiles. Mais tandis que le Covid-19 continue de se répandre à travers le monde, et que la course au vaccin s’accélère, les sacrifices du personnel soignant ne font plus les gros titres et les démonstrations publiques de solidarité envers ces travailleurs essentiels se font de plus en plus rares.
Pourtant, il est plus que jamais essentiel d’entendre leurs témoignages. Pour tirer les leçons de cette pandémie et répondre à leurs préoccupations, mais aussi pour mieux protéger à l’avenir nos droits et nos vies. C'est pourquoi nous avons demandé à des travailleurs et des travailleuses de la santé de 12 pays différents de partager leur expérience avec nous. Et voici ce qu'il faut retenir.
1. La pandémie a mis en évidence le manque d’infrastructures essentielles
En novembre 2020, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que la pandémie avait « démontré les conséquences d’un sous-investissement chronique dans la santé publique ». Dans certains pays, en raison du manque d’infrastructures et de l’inadéquation des équipements, les systèmes de santé étaient en effet saturés avant même la pandémie.
Anara*, neurologue dans un hôpital au Kirghizistan, a travaillé dans une unité dédiée aux patients atteints du Covid-19 pendant un mois entre août et septembre. Elle nous a expliqué que les conditions « [lui] avaient donné envie de pleurer ». « Il n’y avait pas toujours assez de lumière, le système électrique tombait en panne et les chirurgiens devaient le réparer. (…) Une fois, la vitre d’une fenêtre a été brisée par le vent et nous avons dû la réparer nous-mêmes, au risque de déchirer nos gants [chirurgicaux] » raconte-t-elle. Et poursuit :
Nous n’avions pas suffisamment de lits équipés pour les soins intensifs, et il arrivait souvent que nous devions placer des patients à même le sol pour les réanimer.
Anara*, neurologue dans un hôpital au Kirghizistan
Rado* est brancardier dans un hôpital à Madagascar. Depuis le début de la pandémie, il travaille également dans la morgue improvisée de l’hôpital, où il prépare les corps pour les funérailles, il raconte :
Il n’y avait pas de morgue à proprement parler : nous avons dû vider un bâtiment de stockage pour y placer les corps. Imaginez un peu.
Rado*, brancardier dans un hôpital à Madagascar.
Si Rado a été formé dans un hôpital qui disposait du matériel approprié pour manipuler les corps, ici, il a dû se débrouiller avec ce qu’ils avaient. « J’aimerais insister sur ce point auprès des autorités : tous les hôpitaux devraient disposer d’une morgue » dit-il aujourd’hui. Puis : « Il y a d’autres problèmes, aussi : si vous faites un tour, vous verrez qu’il manque des tuiles, que l’hôpital est en ruines. »
2. La désinformation peut être source de stigmatisation et d’hostilité
David* est médecin en Papouasie Nouvelle-Guinée où seuls le commissaire de police et le Premier ministre peuvent publier des informations relatives au Covid-19. Selon David, la désinformation a clairement contribué à attiser l’hostilité à l’encontre des travailleurs et des travailleuses de la santé : « Au début circulait une idée fausse selon laquelle le Covid-19 était comme la peste (…) J’ai eu connaissance du cas d’une infirmière que sa famille a chassée de chez elle en raison d’un test positif. Ensuite, une fois qu’elle était guérie, personne n’a voulu croire qu’elle n’était plus contaminée. (…) Il est indispensable que nous nous combattions la désinformation dans les médias de grande écoute ».
Hira* est quant à lui officier de police au Pakistan. Il témoigne des violences commises à l’encontre de professionnels de la santé :
Nous avons dû assurer la sécurité dans des hôpitaux qui étaient régulièrement attaqués par des personnes mécontentes dont des proches étaient décédés du Covid-19.
Hira*, officier de police au Pakistan
Pour lutter contre la stigmatisation du personnel de santé, les États doivent diffuser des informations précises, fondées sur des faits, au sujet du Covid-19, y compris en ce qui concerne sa propagation et les moyens de la prévenir.
Aster Mekonen nettoie et désinfecte une chambre dans l'unité de Covid-19 du centre médical de Harborview, le 7 mai 2020 à Seattle, Washington. Crédit : Karen Ducey / Getty Images.
3. Les personnels de santé ont l’impression que certaines vies valent plus que d’autres
Plusieurs professionnels de santé ont affirmé s’être sentis abandonnés sans protection lors de l’établissement des priorités d’attribution des équipements de protection individuelle (EPI). Certains métiers ont été désignés comme prioritaires pour obtenir des protections appropriées. Au début de la pandémie, les services hospitaliers ont ainsi été classés dans les catégories « à faible risque » ou « à haut risque ».
Tshepo*, manipulatrice en radiographie dans un hôpital en Afrique du Sud, se souvient : « Notre service (radiographie) a été classé dans la catégorie des services à faible risque, bien que nous soyons en contact avec des patients atteints du Covid-19. Nous avons seulement été équipés d’un masque chirurgical, d’une visière et d’un tablier en plastique par jour. J’ai contracté le Covid-19 en mars. »
Hanitra* elle, est intendante dans un hôpital à Madagascar. Elle explique : « Au début, seuls les médecins ont reçu des EPI. On les a équipés de nouvelles tenues de protection, que nous avons ensuite lavées et réutilisées. Cette mentalité, c’est rabaissant. Nous avons protesté mais pendant longtemps, on nous a ignorés. »
Un sentiment d’abandon et d’injustice partagé par de nombreux membres du personnel de santé, comme Robert*, préparateur pharmaceutique dans un hôpital en Indonésie : « Certaines mesures n’ont pas de sens. Auparavant, les pharmaciens étaient considérés en tant que personnel médical d’appui mais nous avons été rétrogradés en tant que personnel non médical. Nous nous sentons méprisés. »
Nous aussi, nous avons fait des études, nous avons travaillé dur et nous disposons d’une expertise particulière. (…) Nous aussi, nous sommes en contact avec des patients atteints du Covid-19.
Même constat pour Laly*, auxiliaire de vie en France : « On devrait être un service public, comme l’hôpital public, et dépendre du secteur de la santé. Au moment du pic [de la pandémie], certaines collègues sont allées en pharmacie pour demander des masques et on les leur a refusés, parce qu’elles n’étaient pas sur la liste des soignants »
De nombreuses raisons, dont notamment la pénurie avérée au niveau mondial, expliquent pourquoi, partout dans le monde, les professionnels du secteur ont eu des difficultés à obtenir des EPI. Mais les normes de protection devraient être les mêmes pour tous les professionnels travaillant à un niveau de risque équivalent.
4. Ils paient le prix des manquements politiques
En Grèce, nous avons constaté les effets négatifs des mesures d’austérité sur les services de santé, et les professionnels de santé doivent composer avec de graves pénuries de personnel.
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Rhea*, médecin dans un hôpital sur une île grecque, explique la difficulté d’attirer des médecins : « Le système national de santé et son personnel n’ont reçu aucun soutien pendant des années ». « Des postes ont parfois été proposés mais les salaires sont tellement bas que rien n’encourage à venir travailler ici » reproche-t-il. « Rien n’a été planifié ni prévu en termes d’espace et de personnel supplémentaire afin de prendre en charge le surplus de patients atteints du Covid-19 ». Et c’est un personnel déjà fatigué, qui a dû absorber cette pression supplémentaire.
Pourtant, comme de nombreux professionnels, Rhea insiste sur son dévouement : « Les conditions sont très mauvaises mais je ne m’y arrête pas. Je suis fatiguée et parfois, je suis en colère quand je pense au traitement que nous ont réservé les gouvernements successifs. Mais je suis toujours contente d’aller travailler. »
À Athènes, en Grèce, le 29 mai 2011, des manifestants tapent sur des casseroles lors d'un rassemblement sur la place Syntagma, devant le Parlement grec, contre les nouvelles mesures d'austérité. Crédit : Matt Cardy / Getty Images
5. En Europe, les travailleurs sociaux sont en colère
L'OMS estime que « les soins de longue durée ont souvent été notoirement négligés dans la région européenne » et qualifie le taux de décès élevé dans les établissements de soins de longue durée de « tragédie humaine effarante ».
Parmi les dizaines de travailleurs et travailleuses de la santé que nous avons rencontrés, les travailleurs sociaux figuraient parmi ceux qui ressentaient le plus de colère et de lassitude. Annalisa*, employée dans une maison de retraite en Italie, raconte : « Nous n’avons participé à aucune réunion ou consultation avec notre direction. Nous n’avons jamais reçu d’instructions précises. Lors du pic de l’épidémie, presque tous mes collègues sont tombés malades et près de la moitié des patients sont morts. Je n’avais jamais été confrontée à autant de décès dans ma vie. (…) Je me sentais terriblement impuissante et en colère. »
Laly*, auxiliaire de vie en France, renchérit : « Pendant le confinement, on a dû jouer le rôle de psychologue, d’assistante, même de la famille. Le cœur du métier, c’est d’accompagner la personne du lever au coucher. (…) Pourtant, c’est un travail précaire, la plupart des personnes sont payées en dessous du salaire minimum. Les pouvoirs publics ne mesurent pas notre colère. »
Nous sommes un secteur malade et nous sommes fatigués.
Laly*, auxiliaire de vie en France
6. Le niveau bas des salaires est démoralisant
« Dans les établissements de santé, le niveau de rémunération est extrêmement bas. Il ne nous permet pas de subvenir à nos besoins. Par exemple, c’est difficile d’envoyer les enfants à l’école » reproche Lovasoa*, ambulancier à Madagascar.
Au Royaume-Uni, les maisons de retraite ont subi de plein fouet les mesures d’austérité imposées par le gouvernement britannique depuis des années, et les coupes budgétaires se sont poursuivies jusqu’à récemment. Pendant la pandémie, du personnel employé par des agences extérieures a dû être appelé en renfort. Sarah* explique : « Les directeurs voyaient bien la différence [dans la qualité des soins apportés]. (…) Pourtant, le personnel des agences est mieux payé. Parfois, ils paient à l’agence le double de ce qu’ils nous paient. Ce n’est pas juste, reproche-t-elle. Puis : « (...) Nous sommes une extension du NHS (National Health Service – service de santé publique) et nous voulons bénéficier du même traitement que le personnel du NHS, soit un salaire correct et des conditions convenables. »
Des travailleuses de la santé portent des équipements de protection et applaudissent devant le foyer pour personnes âgées de San Candido, le 17 avril 2020, à Santander, en Espagne. Crédit : Juan Manuel Serrano Arce / Getty Images
7. Face à la difficulté, les soignants voient aussi du positif et s’y accrochent
Ntombezulu* est travailleuse sociale en Eswatini. Elle a déclaré :
« Je n’ai pas peur parce que j’ai été formée. J’ai suivi un atelier où j’ai appris les protocoles de distanciation, la manière correcte de porter un masque, de se laver les mains et de respecter la distanciation physique. Cela m’a aidée à ne pas contracter le virus bien qu’ayant été en contact direct avec deux personnes infectées. »
Tiina* est infirmière en Finlande. Elle a expliqué :
« Le bon côté de cette pandémie, c’est que désormais tout le monde est attentif à l’hygiène dans mon service. Cela permettra de mieux protéger nos patients contre le Covid-19 mais aussi contre d’autres infections. » Puis ajouté : « Mon employeur nous a versé une prime pour le travail effectué pendant la pandémie, mais ce n’est pas le cas de tous en Finlande. Dans le pays, presque tout le monde pense que les infirmières et les infirmiers sont sous-payés, mais ce problème ne constitue jamais une priorité. »
En France, Laly a déclaré :
« Le côté positif, ce serait que cela a changé le lien avec nos bénéficiaires. Parfois, on est leur seul référent alors cela a changé la vision qu’ils avaient de la personne qu’on était. On a eu des remerciements des familles. De ce côté-là, c’était enrichissant et positif. »
Au Kirghizistan, Anara a déclaré :
« Il y a un groupe de jeunes qui sont venus faire un concert pour nous. Je suis reconnaissante de leur courage. D’autres personnes ont accepté de nous aider bénévolement : par exemple, des avocats nous ont donné des conseils pour revendiquer nos droits, sans demander des honoraires au-delà de nos moyens. »
À Madagascar, Rado a indiqué :
« J’ai acquis de nouvelles compétences en faisant un travail que je ne connaissais pas. J’ai aussi rencontré des personnes que je n’aurais pas imaginé connaître un jour : des sénateurs, des députés, des représentants de l’État de haut rang. J’ai beaucoup échangé avec eux parce que c’était moi qui prenais en charge les corps de leurs proches. »
Les travailleuses et les travailleurs de la santé sont le pilier des systèmes de santé. Nous sommes infiniment reconnaissants envers les personnes qui fournissent des efforts incessants pour préserver notre santé. Mais il ne suffit pas de les remercier, et nous ne pouvons pas laisser les gouvernements se reposer sur leurs sacrifices.
Ils ont le droit :
De travailler dans des environnements sûrs et dans des conditions de travail justes ;
De s’exprimer librement, notamment pour exprimer leurs préoccupations en matière de santé et de sécurité, sans craindre de représailles ;
De participer à l’élaboration et la mise en œuvre de toutes les politiques les concernant ;
D’accéder à la vaccination, de manière prioritaire, et où qu’ils se trouvent dans le monde.
*Tous les noms ont été modifiés dans le souci de protéger l’anonymat des personnes
Vaccin anti-Covid : tous les travailleurs de la santé doivent être pris en compte
Tandis que des campagnes de vaccination contre le Covid-19 ont débuté, tous les travailleurs et les travailleuses de la santé et agents qui participent aux opérations de vaccination doivent bénéficier d’une protection adaptée et accéder à la vaccination, où qu’ils se trouvent dans le monde.
Il est par ailleurs essentiel que les plans de vaccination pensés par les gouvernements prennent en compte tous les « travailleurs de la santé » : non seulement les hommes et les femmes médecins, les infirmières et les infirmiers, mais aussi les agents de nettoyage et le personnel administratif des hôpitaux, les ambulancières et les ambulanciers, le personnel des maisons de retraite, et toute personne exerçant un emploi du secteur sanitaire ou social dans quelque type d’environnement que ce soit.