« On va le verbaliser ! Viens, on va le verbaliser ». C’est ce qu’ont pu entendre nos observateurs dès leur arrivée à Biarritz. Après quatre jours, voici leur bilan sur le respect du droit de manifester lors du G7.
« On va le verbaliser ! Viens, on va le verbaliser ». Dès ma sortie de la gare de Biarritz, le ton est donné : Karfa Diallo, essayiste, éditorialiste et consultant franco-sénégalais, se fait embarquer sous mes yeux. Son crime : avoir manifesté en marge du prochain G7, pacifiquement et relativement seul, pour que le quartier de « la Négresse » soit rebaptisé. Pour cet acte ne posant manifestement aucun danger, il passera 24 heures en garde à vue. Il est maintenant poursuivi pour rébellion.
Nous passerons quatre jours au pays basque, en mission pour Amnesty international, afin d’observer le respect du droit de manifester en France à l’occasion du G7. Dans une atmosphère surréaliste, entre vacanciers s’attachant à faire du surf sur la plage d’Hendaye, fouilles et arrestations, la conclusion s’impose : autour du G7 accueilli par la France, on ne manifeste pas librement.
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Un samedi à Bayonne
Samedi après-midi à Bayonne, le déploiement policier est particulièrement spectaculaire. Camionnettes de CRS, de gendarmes mobiles, motos BRAV, camions antiémeutes, canons à eau, hélicoptères, policia espagnole, polizei allemande…
À côté de ça, le centre est largement déserté. Un arrêté de la préfecture permet les fouilles et contrôle d’identité sur un large périmètre du centre-ville. En deux heures, nos sacs seront fouillés six fois. On voit une jeune fille se faire embarquer pour possession de couteau, de fourchette et d’un porte-clefs. Des objets que la police considère interdits en vue des arrêtés préfectoraux pris en amont et qui sont souvent conservés par la police, sans procès-verbal de confiscation, et dans certains cas avec une garde-à-vue à la clé.
Que craint la police ? Une manifestation qui aura finalement lieu dans un quartier intégralement bouclé par les forces de l’ordre. La centaine de personnes ayant réussi à se réunir tourne en rond au rythme d’une batucada et de slogans anticapitalistes et antifascistes. Quand ils approchent une grille anti-émeute qui bloque l’accès à un pont, la réplique est immédiate : canon à eaux, lacrymogènes. Quelques individus jettent des projectiles contre les grilles de 4 mètres de haut, les lacrymogènes se mettent à pleuvoir. Une réponse disproportionnée, de nature à attiser les tensions, et qui affecte tous les manifestants, sans distinction.
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De la Cour européenne des droits de l’homme à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les principes de droit international sont pourtant clairs : « l’usage de la force doit être strictement proportionné aux circonstances », et « les violences sporadiques ou autres actes répréhensibles commis par des tiers ne privent pas les autres individus du droit de manifester » . En France, à Bayonne, autour du G7, ce n’est pas exactement le cas.
Le quartier restera bouclé pendant cinq heures, empêchant tout manifestant, mais aussi tout journaliste, observateur ou habitant de circuler.
Interpellations et nasses
Les autorités s’étaient préparées à interpeller jusqu’à 300 personnes par jour, il n’y en aurait eu « que » autour de 160 au total. Le chiffre reste énorme, d’autant que très peu de manifestations ont pu avoir lieu. 119 ont débouché sur des gardes à vue, souvent prolongées à 48 heures, souvent sur des motifs contestables, notamment le fameux « délit de groupement en vue de commettre des violences », qui ne vise qu’une intention supposée.
Trois observatrices de la Ligue des Droits de l’Homme passeront 24 heures en garde à vue au centre de rétention administrative d’Hendaye et seront déférées sur ce motif, alors qu’elles étaient venues documenter les manifestations et l’attitude des forces de l’ordre. Aucune intention de commettre des violences, mais elles écoperont quand même d’un rappel à la loi, et d’une menace claire du juge qui indique : « ne pas donner de suite judiciaire à la présente procédure, à la condition qu’elle[s] ne commette[nt] pas une autre infraction dans un délai de 3 ans et qu’à défaut, elle[s] [seront] poursuivie[s] devant le Tribunal. »
Nous-mêmes, observateurs pour Amnesty international, passerons près de deux heures dans une nasse , sur un parking de supermarché à Bidart, à quelques kilomètres de Biarritz. Sans eau, sans pouvoir aller aux toilettes, en plein soleil, avec une soixantaine de personnes soupçonnées d’avoir envisagé de manifester et qui n’avaient commis aucun acte violent. Et des journalistes, des medics. On nous dit que c’est un contrôle d’identité, mais sans jamais vérifier nos papiers ni fournir de raison pour notre retenue (ce qui est illégal).
Les nasses sont très problématiques au regard du droit international puisqu’elles ne font pas la distinction pas entre les participants à une manifestation et les non-participants. Et elles n’ont surtout aucune raison d’être dans le cadre de manifestations pacifiques, ne pouvant en principe être employées qu’en dernier recours pour faire cesser des violences. On explique au commandant des CRS qui nous encerclent qu’on est en mission d’observation, qu’on n’est pas là pour manifester. Sa réponse : « Je ne connais pas Amnesty, ni la Cimade, ni aucune de ces organisations ». Ni le droit international, apparemment.
Les interdictions de territoire
Au cas où l’usage de la force par la police, les arrestations et les nasses ne vous ont pas découragé d’aller manifester, le Ministère de l’intérieur peut toujours profiter du fait que vous êtes étranger pour recourir à une interdiction du territoire français, ou ITF. Plusieurs seront émises, y compris contre des activistes ou journalistes.
Luc, journaliste allemand travaillant pour la radio Dreyeckland, a fait l’objet à lui seul de deux ITF et deux expulsions vers l’Allemagne. Première ITF prise le 18 juillet, puis annulée le 14 août quand Luc la conteste devant le Tribunal Administratif de Paris. Le Ministère persévère et prend une 2ème ITF dans la foulée, qui interdit à Luc de revenir en France jusqu’au 29 août.
À l’origine de cet acharnement : il est soupçonné d’avoir commis des violences au G20 en 2017 à Hambourg (même s’il n’a jamais été arrêté ou poursuivi pour cela), et d’avoir été présent à Bure. La logique de l’état d’urgence règne : de simples soupçons, sans preuves, suffisent à justifier des décisions administratives. En Allemagne, une question parlementaire mettra en lumière des échanges entre autorités allemandes et françaises sur des profils d’activistes considérés comme une menace pour l’ordre et la sécurité publics.
Joseba, un des organisateurs du contre-sommet et membre de la plateforme G7Ez , ne prendra connaissance de son interdiction de territoire que le 24 août, lors d’un simple contrôle d’identité sur la route reliant Hendaye au campement du contre-sommet. Le 24 juillet le Ministre de l’Intérieur avait adopté cette mesure en la justifiant par la participation de Joseba à certaines manifestations contre le G7 à San Sebastian, par une condamnation précédente qui n’était pas liée à sa participation à des manifestations et au soupçon qu’il aurait pu rejoindre les appels « de la mouvance d’ultragauche » à manifester contre le G7. À la suite de ce contrôle d’identité, il est amené au Centre de rétention administrative (CRA) d’Hendaye et expulsé après 10 heures de rétention administrative.
Bilan des courses
Une manifestation à Hendaye, une très brève occupation d’une usine Bayer-Monsanto à plus de 30 kilomètres du sommet, et une marche des portraits à Bayonne : ce sont les principales mobilisations qui auront pu avoir lieu. Les autres actions de la plateforme AlternativeG7 seront annulées « compte tenu du dispositif policier surdimensionné et du climat sécuritaire qui règne », qui ne leur permettait pas de garantir la sécurité des manifestants . Toute autre tentative de rassemblement est tuée dans l’œuf par ce système de nasse, fouilles, interpellations, gardes à vue…
Un système qui sera maintenu jusqu’au départ des manifestants : Alicia, 17 ans, et deux de ses amis, seront fouillés par la police ferroviaire à la gare d’Hendaye, alors qu’ils s’apprêtent à partir. On trouve dans leurs sacs des gants de jardinage, une bombe de peintures et des fanzines. Emmenés au CRA d’Hendaye, ils seront relâchés après 10 minutes avec un avertissement : « Soyez malins, on va vous retrouver à la gare dans 10 minutes et si vous ne laissez pas ici ce qu’on a trouvé dans vos sacs, vous allez partir en garde à vue ».
Côté société civile, ce G7 sera donc pratiquement silencieux. Un silence qui représente l’échec des pouvoirs publics à concilier l’ordre public et le respect du droit de manifester. Et la confirmation d’une « gestion préventive » des foules, qui rappelle la logique qui a animé les politiques antiterroristes, l’état d’urgence, et des années d’érosion progressive des libertés. Il est essentiel de continuer à se battre pour inverser cette tendance, et pour cela, nous sommes prêts à passer encore des heures dans des nasses en plein soleil.
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