Alors que le nombre de victimes civiles est plus élevé que jamais en Afghanistan, les gouvernements européens obligent de plus en plus les Afghans à repartir dans ce pays. Une violation flagrante du droit international.
Près de 10 000 personnes ont été renvoyées en Afghanistan par des pays européens en 2016 alors que les violences s’y intensifient. Les personnes renvoyées sont en grave danger. Nos enquêtes ont démontré qu’au moins une personne a été assassinée à son retour.
C'est le cas de Sadeqa (le nom de la personne a été modifié) et ses proches qui ont fui l’Afghanistan en 2015, après que son mari, Hadi, eut été enlevé, roué de coups et finalement relâché après paiement d’une rançon. Au terme d’un voyage périlleux de plusieurs mois, ils sont arrivés en Norvège, espérant y trouver un avenir meilleur, en lieu sûr. Malheureusement, les autorités norvégiennes leur ont refusé l’asile, leur donnant le choix entre la détention dans l’attente de leur expulsion et un retour « volontaire », assorti d’une allocation de 10 700 euros.
La situation en Afghanistan
En 2016, 11 418 personnes ont été tuées ou blessées. 5 243 victimes civiles ont été recensées en 2017.
Des civils sont pris pour cible dans toutes les régions du pays notamment à Kaboul. Dans le viseur des Talibans, les enfants, les minorités sexuelles et aussi les personnes perçues comme « occidentalisées ».
Le mari de Sadeqa a disparu quelques mois après leur retour en Afghanistan. Les jours ont passé, sans que personne ne sache ce qu’il était devenu. En fait, Hadi avait été tué. Sadeqa pense qu’il a été assassiné par ses ravisseurs. Aujourd’hui, elle a peur de se rendre sur sa tombe.
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Objectif cynique de l’UE : renvoyer 80 000 personnes
Cette politique irresponsable et illégale d’accélérer des expulsions des Afghans a été impulsée par un accord de coopération « Action conjointe pour le futur » signé il y a un an, en octobre 2016.
Pourtant, les États européens n’ignorent aucunement la dangerosité de la situation en Afghanistan.
Dans un document ayant fuité, les instituions de l’UE reconnaissent que l’Afghanistan est confronté à « une détérioration de sa situation sécuritaire et une aggravation des menaces auxquelles les gens sont exposés, avec un nombre record d’attaques terroristes et de civils tués ou blessés ». Ce qui ne l’empêche pas de conclure, avec un total cynisme, qu’il faut « que 80 000 personnes au moins puissent retourner chez elle dans un futur proche. »
Cet accord a été qualifié par une source afghane d’une « coupe de poison » que le gouvernement afghan aurait été obligé d’avaler en échange d’une aide.
La France au pas : les renvois augmentent de 50% en un an
640 personnes ont été renvoyées en Afghanistan depuis la France en 2016, comparé à 435 en 2015. La majorité de ces personnes a été renvoyée de manière dite volontaire.
Cependant, compte tenu de la situation indigne dans lesquels de nombreux afghans vivent en France, notamment dans de différents campements, le caractère vraiment « volontaire » de ces renvois est douteux.
Ce durcissement envers des personnes afghanes se traduit aussi par une augmentation des mises en rétention.
Selon La Cimade, les autorités françaises ont enfermé trois fois plus d’Afghans en rétention en 2015 (1114) et 2016 (1046), qu’elles ne l’avaient fait en 2011 (382) et 2012 (283). Cette politique s’est encore accentuée en 2017 : du 1er janvier au 15 septembre, 1614 Afghans ont été enfermés dans des centres de rétention sur la base d’une mesure d’éloignement.
Depuis ces centres de rétention, de nombreuses personnes risquent d’être renvoyées dans le cadre du Règlement de Dublin vers d’autres pays européens qui peuvent ensuite les expulser vers l’Afghanistan.
En 2017, environ 150 personnes afghanes ont été renvoyées vers l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni et la Norvège, qui figurent parmi les 5 pays qui renvoient les plus de personnes en Afghanistan.
L'histoire de monsieur N
En 2013, Monsieur N. avait été débouté du droit d’asile par la Norvège et expulsé à Kaboul. De retour au pays, le danger est omniprésent. Il se lance à nouveau dans un long périple pour retourner en Europe. En juillet 2016, il se présente à la préfecture du Val d’Oise pour y déposer une demande d’asile.
Cette dernière identifie son passage en Norvège. Elle convoque Monsieur N. dans ses propres murs pour l’interpeler, et le transfert dans un centre de rétention, en vue de l’expulser vers la Norvège sur la base du règlement Dublin.
Après être parvenu à résister à deux embarquements forcés dans un vol pour Oslo, Monsieur N. y est finalement expulsé à la troisième tentative. Après seulement 24 heures sur le sol norvégien, et avant même d’avoir pu exercer le moindre droit au recours, il est expulsé en novembre à Kaboul. Depuis, il vit caché à Kaboul. Témoignage récolté par La Cimade au centre de rétention du Mesnil-Amelot.
Halte aux expulsions vers l'Afghanistan
Avec La Cimade, nous nous mobilisons pour dénoncer les renvois de ces personnes vers la mort et la torture. Nous appelons la France à mettre un terme immédiat aux expulsions vers l’Afghanistan.