Au Népal, des recruteurs peu scrupuleux brisent des vies en toute impunité. Ils font payer illégalement des frais exorbitants aux migrants pour trouver des emplois à l'étranger où ils sont ensuite exploités, et les abandonnent à leur sort lorsque les choses tournent mal.
Nos chercheurs ont interrogé 127 travailleurs migrants népalais et des dizaines de représentants du gouvernement en 2016 et 2017, dans huit districts du Népal, pour le rapport intitulé Turning People into Profits: Abusive Recruitment, Trafficking and Forced Labour of Nepali Migrant Workers.
Recrutement abusif
Presque tous les travailleurs avec lesquels ils se sont entretenus ont déclaré avoir été soumis à une forme d’exploitation entre les mains de recruteurs privés.
Ce n'est que lorsqu'ils quittent le Népal que les travailleurs migrants découvrent qu'ils ont été dupés sur toute la ligne – de la rémunération aux conditions de travail. Il est alors bien trop tard et beaucoup finissent avec des dettes de recrutement qu'ils peuvent passer tout le restant de leur vie professionnelle à rembourser.
Les travailleurs migrants contribuent pour près d'un tiers au produit intérieur brut du Népal, par les fonds qu'ils envoient au pays. Pourtant, le gouvernement consacre une infime partie de son budget à leurs besoins. Il est grand temps que cette équation change et que les travailleurs migrants bénéficient de la protection à laquelle ils ont droit.
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Endettés à vie
Suresh, du district de Saptari, a déclaré qu'il avait emprunté 250 000 Roupies népalaises (2 150 euros) à un prêteur sur gages local, à un taux d'intérêt de 36 %, en vue de payer un recruteur. Celui-ci, ainsi que l'agence de recrutement, lui ont assuré qu'il serait en mesure de rembourser rapidement sa dette avec ce qu'il allait gagner à l'étranger.
L'attitude des recruteurs consiste en gros à acheter et vendre des gens. Et nous nous retrouvons exploités, parce que le gouvernement ne fait rien pour les empêcher de nous vendre comme du bétail.
Suresh, du district de Saptari
Pourtant, en Malaisie, à la fabrique de gants où Suresh a été embauché, il arrivait qu'il ne soit pas payé pendant trois mois d'affilée. Lorsqu'il percevait son salaire mensuel, il manquait 315 euros par rapport à ce que l'agence de recrutement lui avait promis. Il ne pouvait pas quitter ni son emploi ni la Malaisie, son employeur ayant confisqué son passeport à son arrivée et refusant de mettre un terme à son contrat. Suresh a appelé à plusieurs reprises son agence de recrutement pour demander de l'aide, mais ils n'ont jamais répondu.
Lorsqu'il a enfin réussi à quitter la Malaisie deux ans plus tard, Suresh avait accumulé une dette s’élevant à 550 000 Roupies népalaises (4 750 euros). De retour dans son village au Népal, il gagne entre 45 et 90 euros par mois – cela pourrait donc lui prendre jusqu'à 50 ans pour rembourser ses dettes.
Pas le choix
En l'absence de perspectives d'emploi convenables au Népal, un nombre croissant de Népalais estiment qu'ils n'ont pas d'autre choix que de se tourner vers l'étranger pour trouver du travail. Plus de 400 000 émigrent ainsi chaque année.
Les demandeurs d’emplois sont souvent trompés quant à la nature et aux conditions de leur emploi à l'étranger et acculés à payer des frais de recrutement d’un montant illégal. Bien souvent, les recruteurs leur confisquent leurs passeports et refusent de fournir des documents essentiels comme des contrats et des reçus.
Lorsqu'ils partent à l'étranger – pour la plupart en Malaisie ou dans les pays du Golfe – les travailleurs migrants risquent fortement de se faire exploiter dans des conditions s'apparentant à du travail forcé. Leurs visas sont généralement liés à leurs employeurs et, s'ils quittent leur emploi, ils risquent de se retrouver sans papiers et de perdre leur droit de travailler ou de rester dans le pays.
Il est alors facile d'exploiter les travailleurs sans papiers. Tout en s’efforçant de gagner ou d’emprunter de l'argent en vue de rentrer au Népal, ils sont en butte à des menaces d'arrestation, de détention et de poursuites pour infractions à la législation sur l'immigration.
Aux termes du droit népalais, les agences de recrutement sont tenues de payer le rapatriement des travailleurs dont les conditions d'emploi ne sont pas conformes à celles stipulées dans le contrat original. Nous n’avons pas recensé un seul cas dans lequel une agence s'était acquittée de cette obligation.
Bonnes intentions, non suivies d’application
Le gouvernement népalais a pris certaines mesures potentiellement positives pour s'attaquer à l’exploitation dont sont victimes les travailleurs, notamment la politique « Visa gratuit, Billet gratuit » (Free Visa, Free Ticket), entrée en vigueur en juillet 2015.
Elle est censée limiter nettement le montant que les recruteurs et les agences de recrutement peuvent facturer aux travailleurs, en exigeant des employeurs étrangers qu'ils paient les billets d'avion et les coûts liés au traitement des visas, et en réduisant à 10 000 Roupies népalaises (environ 86 euros) les frais de gestion facturés par les agences de recrutement.
Pourtant, aucun des 127 travailleurs avec lesquels nous nous sommes entretenus n'a été en mesure de trouver une agence qui ne leur facture pas les frais de visas et les billets, ou respecte le montant maximal de frais de gestion inscrit dans la politique « Visa gratuit, Billet gratuit ». Parallèlement, le secteur du recrutement s'est vigoureusement opposé à cette politique, se mettant deux fois en grève pour protester et faire pression sur le gouvernement afin qu'il revienne sur sa position.
Le gouvernement népalais doit s'investir pleinement dans la protection des travailleurs migrants. Il doit en premier lieu mettre en œuvre des lois et des politiques majeures qui empêcheront les agences de recrutement de faire de l'argent facile au détriment de l'avenir des populations pauvres.
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