Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© Prakash Mathema/AFP/Getty Images
Népal
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Népal en 2023.
Les forces de sécurité ont continué d’avoir recours à une force injustifiée ou excessive pour disperser et arrêter des manifestant·e·s ; quatre personnes ont perdu la vie dans de telles circonstances. Les autorités ont restreint la liberté d’expression en interdisant TikTok dans le pays et en procédant à des arrestations. L’État n’a pas établi la vérité pour les victimes du conflit armé de 1996-2006, ni veillé à ce qu’elles obtiennent justice et réparation. Des cas de torture et d’autres mauvais traitements commis par les forces de sécurité ont été signalés et les autorités n’ont pas mené d’enquêtes indépendantes et crédibles sur des cas de mort en détention. La discrimination liée au genre persistait dans la loi et dans la pratique. Le mariage d’un couple LGBTI a été enregistré pour la première fois. Des travailleuses et travailleurs migrants ont été soumis à des pratiques de recrutement abusives et illégales.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION
Cette année encore, les forces de sécurité ont arrêté des militant·e·s ainsi que des personnes qui critiquaient le gouvernement et des membres du parti au pouvoir. Elles ont aussi fréquemment recouru de façon illégale à la force contre des manifestant·e·s.
En février, cinq manifestantes qui réclamaient justice dans des affaires de violences sexuelles ont été arrêtées par la police. Padam Limbu est décédé en mars après avoir reçu un coup de matraque lors d’une charge menée par la police contre une manifestation rassemblant des membres de peuples autochtones dans le district de Morang. Le gouvernement a par la suite qualifié cet homme de « martyr » et s’est engagé à octroyer une aide à sa famille.
Les autorités ont continué de réprimer des manifestations de victimes d’usuriers qui s’étaient rassemblées à Katmandou. Il s’agissait pour la plupart d’agriculteurs et d’agricultrices à faible revenu, qui réclamaient justice pour les infractions financières perpétrées contre eux. En avril, 40 manifestant·e·s au moins ont été blessés par la police, qui a utilisé des matraques et des canons à eau, et 20 personnes au moins ont été arrêtées. Plusieurs jours après, le ministère de l’Intérieur a présenté des excuses pour la force excessive utilisée par la police.
En mai, dans le district de Kanchanpur, la police a arrêté et maltraité deux journalistes qui couvraient un affrontement impliquant des policiers. À la suite de la condamnation de ces actes par la fédération des journalistes, le chef de la police du district s’est engagé à sanctionner les responsables.
En juin, à Katmandou, la police a arrêté au moins 16 manifestant·e·s qui protestaient contre la corruption, en lien avec les allégations visant des représentant·e·s du gouvernement qui auraient extorqué de l’argent à des centaines de Népalais·es contre la promesse de leur obtenir le statut de réfugié·e·s bhoutanais et une réinstallation dans des pays à revenu élevé.
La police a eu recours en août à une force injustifiée contre des manifestant·e·s autochtones, qui pour beaucoup ont été arrêtés et agressés. Le Premier ministre a déclaré que les responsables seraient sanctionnés. Cependant, à la fin de l’année, personne n’avait été inculpé pour ces actes.
En novembre, le gouvernement a interdit l’application TikTok afin de « protéger l’harmonie sociale et l’unité familiale ».
En décembre, un manifestant a été tué par balle dans le district de Bara et, dans celui de Lalitpur, deux autres manifestants sont morts parce que la police a recouru à une force excessive.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
L’État n’avait toujours pas réalisé de progrès significatif en vue d’établir la vérité, de rendre justice et d’octroyer des réparations pour les dizaines de milliers de victimes de crimes de droit international et d’autres graves violations des droits humains perpétrés par les deux camps lors du conflit de 1996-2006.
La Commission vérité et réconciliation et la Commission d’enquête sur les disparitions forcées, qui ont recueilli respectivement plus de 60 000 et 3 000 plaintes de victimes, n’ont pas résolu une seule de ces affaires en 2023.
En mars, le gouvernement a soumis au Parlement, sans avoir consulté de manière adéquate les victimes du conflit, un projet de modification de la Loi de 2014 relative à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, la vérité et la réconciliation. Ce texte n’était pas conforme à une décision de 2015 de la Cour suprême demandant qu’il soit mis en conformité avec les normes nationales et internationales en matière de droits humains, et il mettait manifestement les responsables présumés à l’abri des poursuites pour certains crimes de droit international. Le projet était toujours en instance devant la chambre basse du Parlement à la fin de l’année.
Dans un contexte d’inquiétude généralisée concernant l’utilisation par le gouvernement de dispositions d’amnistie pour remettre en liberté de façon arbitraire des personnes liées au parti au pouvoir, la Cour suprême a annulé en novembre l’amnistie présidentielle accordée à un homme condamné pour meurtre, soulignant la nécessité d’obtenir le consentement des familles des victimes.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Des cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés en toute impunité à des personnes en détention provisoire ont continué d’être signalés. À la fin de l’année, aucune condamnation n’avait été prononcée au titre des dispositions du Code pénal de 2017 qui réprimaient ces agissements. Les autorités n’ont en outre pas enquêté ni publié de rapport d’enquête au sujet de précédents décès en détention qui auraient résulté d’actes de torture.
En janvier, dans le district de Bara, trois femmes ont été rouées de coups par des gardes forestiers des services gouvernementaux pour être entrées dans une forêt afin d’y cueillir du fourrage. La police a refusé d’enregistrer des plaintes contre les agents de l’Office des forêts.
En juillet, le défenseur des droits humains Manohar Kumar Pokharel a été agressé au poste de police du district de Saptari alors qu’il rendait visite à une personne détenue.
Deux détenus sont morts en août dans la prison de Sankhuwasabha des suites, semble-t-il, d’actes de torture infligés par des policiers qui les surveillaient. Le tribunal de district de Sankhuwasabha a ordonné le placement en détention provisoire de sept agent·e·s de police et de huit prisonniers qui étaient jugés pour des infractions en lien avec ces deux décès.
DISCRIMINATION
La discrimination liée au genre persistait dans la loi et dans la pratique. Le président a ratifié en mai la Loi portant première modification de la Loi relative à la citoyenneté népalaise, qui n’accordait pas aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes en matière de nationalité. En septembre, une avancée positive a été enregistrée pour les femmes musulmanes, la Cour suprême ayant déclaré contraire à la Constitution le « triple talaq » (divorce instantané par répudiation de la femme).
En juin, la Cour suprême a rendu une ordonnance provisoire indiquant que le gouvernement devait enregistrer les mariages entre personnes de même sexe sur des « documents provisoires », dans l’attente de son verdict final. En pratique, les couples de même sexe ont continué de se heurter à des obstacles, des juridictions inférieures refusant d’enregistrer leur acte de mariage en invoquant l’absence de texte de loi leur permettant de le faire. En novembre, les autorités du district de Lamjung ont pour la première fois procédé à l’enregistrement d’un mariage entre deux personnes népalaises juridiquement de même sexe.
Malgré les dispositions juridiques et réglementaires visant à combattre la discrimination fondée sur la caste, de nombreux cas de discrimination perpétrée en toute impunité, notamment par des élu·e·s, contre des dalits (opprimé·e·s) ont été signalés. En décembre, le tribunal de district de Rukum-Ouest a condamné 26 personnes pour l’homicide de six hommes commis en raison de la relation qu’entretenait l’un d’entre eux avec une fille d’une caste dominante.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Des centaines de familles habitant dans des quartiers informels à travers le pays étaient toujours menacées d’expulsion forcée par les autorités locales, et privées de garanties juridiques. En mars, le Bureau de la métropole de Katmandou a émis une directive à l’intention des personnes vivant dans des bidonvilles et des quartiers informels installés sur les berges de la capitale, leur ordonnant d’évacuer ces zones dans un délai d’une semaine. La haute cour de Patan a suspendu l’arrêté de démolition et a ordonné au gouvernement, notamment au Bureau de la métropole, de procurer un logement aux personnes qui se retrouveraient à la rue en raison de ces expulsions.
L’État n’a pas procédé aux contrôles et investigations nécessaires ni pris les sanctions qui s’imposaient concernant les activités illégales d’agences et d’agent·e·s de recrutement qui facturaient des frais exorbitants à des travailleuses et travailleurs migrants. Aucune mesure efficace, telle qu’un dialogue bilatéral avec les gouvernements des pays de destination, n’a été prise pour empêcher la mort de travailleuses et travailleurs migrants, enquêter sur ces décès et en élucider les causes. En raison des difficultés d’accès au Fonds de protection sociale des travailleurs, de nombreuses familles de travailleuses et travailleurs migrants décédés n’ont reçu aucune aide.
En novembre, un tremblement de terre dans la province de Karnali a entraîné la mort de plus de 150 personnes et endommagé quelque 25 000 maisons et infrastructures publiques. L’aide octroyée par l’État a été insuffisante, notamment face à la rudesse de l’hiver. Au moins 24 personnes touchées par le tremblement de terre et vivant dans des abris de fortune ont ainsi perdu la vie.