Les populations népalaises autochtones subissent depuis près de 50 ans de nombreuses violations de leurs droits. Les autorités se justifient en brandissant leurs politiques de préservation de la nature.
Notre nouveau rapport intitulé Violations in the name of conservation (Des violations au nom de la préservation) est publié conjointement avec le Community Self-Reliance Centre (Centre d’autonomie communautaire, CSRC). Il montre qu’à partir des années 1970, le Népal a adopté une approche de la préservation de la nature qui a contraint les peuples autochtones à quitter leurs terres ancestrales. La mise en place de parcs nationaux et autres « zones protégées » a très fortement limité leur accès à l’alimentation traditionnelle, aux plantes médicinales et autres ressources.
S’appuyant sur les exemples des parcs nationaux de Chitwan et Bardiya, ce rapport souligne que la mise en œuvre de ces politiques a fréquemment donné lieu à des arrestations arbitraires, des cas de torture et d’expulsions forcées. Des homicides illégaux sont également dénoncés.
« Le Népal est fréquemment cité en exemple pour sa belle réussite en matière de préservation de la nature. Hélas, ce sont les populations autochtones du pays qui en paient le prix fort, car elles vivaient dans ces zones protégées qui assuraient leur subsistance depuis des générations. » Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
Les parcs nationaux et autres « zones protégées » couvrent près d’un quart de la surface du Népal, la majorité étant situés sur les terres ancestrales des populations autochtones. Des décennies après leur création, de nombreux autochtones qui ont été expulsés demeurent privés de terres. Ils risquent de nouveau d’être expulsés des campements informels où ils se sont installés. Ils n’ont pas d’autres moyens de subsistance et n’ont pas été indemnisés pour les pertes subies.
Notre rapport recense plusieurs cas récents d’expulsions forcées (ou tentatives) par les autorités des parcs nationaux. Le 18 juillet 2020, les autorités du parc national de Chitwan ont expulsé de force dix familles de la communauté des Chepangs. Ces dernières avaient été déplacées en raison d’inondations et de glissements de terrain. Elles vivaient dans une zone tampon – une zone située en dehors du parc permettant aux habitants d’avoir accès aux ressources de la forêt.
Les autorités du parc avaient informé les familles par oral, une semaine seulement avant l’expulsion, ce qui représente une violation des normes internationales et des dispositions inscrites dans la nouvelle loi sur le logement du Népal. Le ministère des Forêts et de l’Environnement a mené une enquête officielle sur cette expulsion, mais malgré des demandes répétées, nous n’avons pu obtenir d’informations sur les conclusions de ces investigations.
Dans le parc national de Bardiya, certains autochtones continuent de s’acquitter du malpot, un impôt sur les revenus fonciers, alors qu’ils n’ont plus accès à leurs terres depuis des décennies. En effet, après des inondations et un changement du cours du fleuve, leurs terres sont considérées comme faisant partie du parc national. Ils ont déclaré payer le malpot dans l’espoir de pouvoir un jour retourner sur leurs terres.
Nourriture et ressources inaccessibles
La loi sur les parcs nationaux et la préservation de la faune et de la flore sauvages (1973) demeure la clé de voûte qui régit les « zones protégées ». Elle restreint la chasse, la pâture, l’abattage d’arbres, la culture des terres ou l’utilisation de la forêt, et interdit toute construction dans un parc national ou une réserve sauvage. Ces mesures ont très fortement impacté et bouleversé le mode de vie des autochtones.
À l’exception des personnes vivant dans les zones tampons qui ont accès à certaines parcelles de forêts, les autochtones réinstallés en dehors de ces zones n’ont pas le droit de se rendre dans les parcs nationaux. Ils sont donc non seulement privés d’accès à leurs maisons, à leurs terres et aux ressources de la forêt, mais ils doivent en plus faire face à l’insécurité alimentaire et à des difficultés en termes de santé et de logement.
De nombreux autochtones expulsés de leurs terres n’ont d’autre choix que de devenir métayers (bataiya) et de cultiver les terres de propriétaires en échange de 50% des récoltes.
Le système de bataiya, régi par des normes sociales plus que juridiques, a de graves répercussions en termes de droits humains. Les habitants interrogés ont signalé être fréquemment exploités par les propriétaires, qui leur font faire des tâches supplémentaires sans les payer.
Torture et mauvais traitements
Des autochtones sont fréquemment arrêtés et placés en détention parce qu’ils sont entrés dans les parcs nationaux et les réserves. Beaucoup subissent des mauvais traitements, voire de la torture, aux mains des militaires déployés dans les parcs. Certains en sont morts. C’est le cas de Raj Kumar Chepang, 26 ans, décédé après avoir été frappé par des soldats en juillet 2020.
Au Népal, le cadre législatif ne définit pas clairement les pouvoirs de l’armée. D’après une étude menée récemment dans la zone tampon de Chitwan, le rôle de l’armée népalaise dans la préservation de la nature ne cesse de s’amplifier. Les parcs nationaux sont de plus en plus militarisés.
Depuis près d’un demi-siècle, les gouvernements manquent à leurs obligations envers les peuples autochtones au Népal, alors que la Constitution leur impose de respecter leurs droits.
Jagat Basnet, directeur exécutif du CSRC
Afin de réparer les injustices subies, les autorités népalaises doivent reconnaître le droit des peuples autochtones à disposer de leurs terres ancestrales et leur permettre d’y retourner. Un processus participatif ouvert à toutes et tous doit débuter afin de convenir d’une juste indemnisation pour les préjudices infligés par les autorités népalaises. Des modifications législatives sont nécessaires pour garantir le droit des peuples autochtones à participer pleinement à la gestion des zones de préservation de la nature !