En Chine, des centaines de milliers de personnes musulmanes sont internées, torturées et persécutées dans des camps dits de « transformation par l’éducation ». Le but ? L’assimilation à une nation laïque et homogène par l’élimination de leurs traditions religieuses et culturelles.
Le rapport de l'ONU sur le Xinjiang n'a pas été suivi des faits
Bientôt deux années depuis la publication (tardive) du rapport de Michelle Bachelet (en août 2022), rapporteure de l’ONU, sur les violations des droits humains commises par l’État chinois dans le Xinjiang, ce dernier n'a été suivi des faits.
Les conclusions confirmaient ce que nous dénonçons depuis des années. « L'ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire » de membres de la minorité musulmane dans la région peut constituer « des crimes contre l'humanité ».
Nous continuons d'appeler l’ONU à mettre en place un mécanisme d’enquête indépendant afin que les responsables présumés de crimes contre l’humanité soient forcés à rendre des comptes.
Confiscations de passeports, arrestations arbitraires…puis internements. De juin 2021 à aujourd’hui, nous avons recueilli de nombreux témoignages de personnes qui ont été entraînées dans le vaste système de prisons et de camps d'internement de la Chine au Xinjiang.
D’anciens détenus et leurs proches nous ont détaillé les mesures prises par les autorités chinoises, depuis 2017, pour éliminer les traditions religieuses, les pratiques culturelles et les langues des minorités ethniques musulmanes de la région du Xinjiang. Ces mesures répressives sont orchestrées à grande échelle par l’État et s’apparentent à des crimes contre l’humanité.
Perpétrés sous couvert de lutte contre le « terrorisme » ou d'autres motifs fallacieux, les emprisonnements, les tortures et les persécutions visent les minorités musulmanes du Xinjiang : les Ouïghours, les Kazakhs, les Huis, les Kirghizes, les Ouzbeks et les Tadjiks.
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Des bus transportant des détenus arrivent dans un camp d'internement © Molly Crabapple
Un environnement dystopique cauchemardesque
Les autorités chinoises ont mis en place l’un des systèmes de surveillance les plus sophistiqués au monde et un vaste réseau composé de milliers de sinistres centres de "transformation par l’éducation" – en réalité, des camps d’internement – dans tout le Xinjiang. Dans ces camps, le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements est systématique et chaque aspect de la vie quotidienne est régenté. L’objectif ? Constituer de force une nation laïque et homogène et inculquer les idéaux du Parti communiste.
Les autorités chinoises ont créé un environnement dystopique cauchemardesque à une échelle stupéfiante dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Les Ouïghours, les Kazakhs et les autres minorités musulmanes sont victimes de crimes contre l’humanité et d’autres graves violations des droits humains qui menacent de faire disparaître leur identité religieuse et culturelle.
Un nombre incalculable de personnes subissent un endoctrinement, des actes de torture et d’autres mauvais traitements dans des camps d’internement, tandis que des millions d’autres vivent dans la peur, se sachant à la merci d’un dispositif de surveillance tentaculaire.
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Les détenus traversent une étroite enceinte clôturée - en fait une cage - pour se rendre du bâtiment où se trouvent leurs cellules à celui où se trouvent leurs salles de classe © Molly Crabapple
Emprisonnement massif
Depuis début 2017, un grand nombre d’hommes et de femmes appartenant à des minorités ethniques à majorité musulmane du Xinjiang ont été détenus arbitrairement. Cela englobe à la fois les centaines de milliers de personnes emprisonnées – peut-être un million, voire plus - qui ont été envoyées dans des camps d’internement.
Nous avons interrogé plus d’une cinquantaine de personnes qui ont toutes été détenues pour des actes totalement légaux au regard du droit international, comme la possession d’une image religieuse ou la communication avec une personne se trouvant à l’étranger. Un cadre de l’administration ayant participé à une vague d’arrestations fin 2017 a indiqué que la police faisait irruption chez des personnes sans prévenir et les arrêtait en dehors de toute procédure régulière.
La plupart des victimes ont d’abord été interrogées dans un poste de police, où leurs données biométriques et médicales ont été enregistrées avant leur transfert dans un camp. Souvent, elles étaient interrogées dans une "chaise du tigre". Il s’agit d’un siège métallique équipé d’entraves pour les pieds et de menottes qui permet d’immobiliser la personne dans une position douloureuse. En outre, les personnes détenues ont indiqué avoir été encagoulées et entravées pendant leur interrogatoire et leur transfert.
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Un homme est interrogé dans un poste de police avant d'être envoyé dans un camp d'internement © Molly Crabapple
La vie dans les camps
Dès l’arrivée d’une personne dans ces camps de type carcéral, sa vie est extrêmement régentée. Elle n’a plus de vie privée ni d’autonomie et se voit infliger des châtiments sévères – parfois collectifs – au moindre acte de désobéissance. Les personnes internées ont l’interdiction de se parler et sont durement punies lorsqu’elles répondent à des gardiens ou d’autres membres du personnel dans leur langue maternelle au lieu du mandarin. Chaque activité quotidienne est définie à l’avance et le comportement des personnes détenues est constamment suivi et évalué.
Une femme détenue parce que l’application WhatsApp était installée sur son téléphone a déclaré : "On se levait à 5 heures et on devait faire son lit, il fallait que ce soit parfait. Ensuite, il y avait la cérémonie de lever de drapeau et de prestation de serment. Puis on allait au réfectoire pour le petit-déjeuner. Puis en classe. Puis c’était le déjeuner. Retour en classe. Dîner. Encore des cours. Enfin, le coucher. Chaque nuit, deux personnes étaient “de permanence” [pour surveiller leurs compagnes ou compagnons de cellule] pendant deux heures [...] On n’avait pas une minute à soi. C’est épuisant."
Dans les premières semaines, voire les premiers mois de leur internement, les personnes détenues sont généralement contraintes à rester assises ou à genoux dans leur cellule, sans bouger et en silence, pendant la majeure partie de la journée. Après cette période, elles sont habituellement soumises à une "éducation" forcée, qui consiste à les endoctriner pour qu’elles désavouent l’islam, renoncent à leur langue et leurs pratiques culturelles, apprennent le mandarin et étudient la propagande du Parti communiste chinois.
Outre les moments où elles sont escortées par des gardiens pour se rendre au réfectoire, en classe ou en interrogatoire, les personnes détenues ne quittent pratiquement jamais leur cellule. Ainsi, elles ne voient que peu la lumière du jour et peuvent rarement profiter d’un espace extérieur ou faire de l’exercice.
Lors d'un "cours" dans un camp d'internement © Molly Crabapple
Recours systématique à la torture
Chaque ancien détenu que nous avons interrogé a subi des actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements.
Il s’agissait notamment des effets psychologiques cumulés de la déshumanisation quotidienne dont ils faisaient l’objet. Ils étaient également soumis à de la torture physique, laquelle pouvait prendre diverses formes comme des coups, des décharges électriques, de la détention à l’isolement, de la privation de nourriture, d’eau ou de sommeil et l’utilisation abusive de méthodes d’immobilisation notamment la “chaise du tigre”.
Plusieurs personnes ont indiqué avoir été maintenues dans un tel siège pendant 24 heures, voire davantage. Nous avons appris qu’un détenu serait mort après avoir été immobilisé sur une chaise du tigre pendant 72 heures, sous les yeux de ses compagnons de cellule, qui avaient l’interdiction formelle de l’aider. Pendant cette période, il aurait été obligé d’uriner et de déféquer sur lui.
Les détenus sont immobilisés dans des "chaises du tigre" à titre de punition dans les camps d'internement © Molly Crabapple
Surveillance d’État
À l’intérieur comme à l’extérieur des camps, les musulmans du Xinjiang sont parmi les populations les plus étroitement surveillées au monde.
Pendant plusieurs mois au moins après leur libération d’un camp, tous les anciens détenus font l’objet d’une surveillance électronique et physique constante. Elle consiste notamment pour l’État à désigner des cadres de l’administration pour effectuer des « séjours à domicile » intrusifs pendant lesquels ils doivent assurer un contrôle et signaler tout comportement "suspect". Ces comportements peuvent par exemple être des pratiques religieuses pacifiques ou le recours à un logiciel de communication non autorisé (comme un VPN ou WhatsApp)
Par ailleurs, le droit de circuler des personnes reste fortement restreint après leur libération. De nombreux agents des forces de sécurité patrouillent dans les rues et gèrent des milliers de postes de contrôle, appelés par euphémisme "postes de police de proximité".
Persécutions religieuses
Les musulmans ne peuvent pas pratiquer leur religion librement dans le Xinjiang. Des dizaines de musulmans, hommes et femmes, ont expliqué que les autorités chinoises se montrent extrêmement hostiles à l’égard de l’islam. Les pratiques religieuses et culturelles fondamentales sont qualifiées d’"extrémistes" et servent à justifier le placement en détention.
Par conséquent, de nombreuses personnes ont cessé de prier ou d’afficher des signes extérieurs de leur foi, ce qui concerne la tenue vestimentaire, l’apparence et même l’expression. « On ne pouvait plus dire salam aleïkoum ». Concrètement, le Coran, les tapis de prière et les autres objets religieux ont été interdits. D’anciens cadres de l’administration ont expliqué qu’ils faisaient irruption chez des personnes pour confisquer des objets religieux.
Nous leur disions d’enlever les photos [de mosquée] et de mettre des drapeaux [chinois].
Un ancien cadre de l’administration
Des mosquées, des sanctuaires, des cimetières et d’autres sites religieux et culturels ont systématiquement été démolis ou affectés à d’autres usages dans tout le Xinjiang.
Des fonctionnaires du gouvernement chinois enlèvent des objets religieux et culturels d'une maison musulmane © Molly Crabapple
Dissimulation de grande ampleur
L’État chinois ne recule devant rien pour dissimuler les violations du droit international relatif aux droits humains dans le Xinjiang. Menaces, arrestations, maltraitances : c’est ce qu’encourt quiconque ose s’exprimer ouvertement.
On ignore ce qu’il est advenu de centaines de milliers de personnes détenues. Beaucoup se trouvent peut-être toujours dans les camps. D’autres ont été condamnées à de longues peines d’emprisonnement. D’autres encore ont été transférées dans des lieux où elles semblent être soumises à des travaux forcés. Le nombre de peines d’emprisonnement a augmenté considérablement, selon les données des autorités chinoises et les images obtenues par satellite montrent des chantiers importants de construction de nouvelles prisons dans le Xinjiang depuis 2017.
Image satellite d'un camp d'internement le 24 juin 2018, à Karamay, comté de Karamay, Xinjiang, Chine
Les preuves sur ces crimes commis par l’État chinois s’accumulent
En mai 2022, plusieurs médias internationaux ont publié une enquête conjointe, les Xinjiang Police Files, qui comprenait des discours, images, documents et feuilles de calcul ayant fait l'objet de fuites et obtenus à partir des réseaux internes de la police chinoise.
« Malgré un nombre croissant d'éléments de preuve, les autorités chinoises continuent de mentir au monde sur l'existence de camps d'internement répressifs au Xinjiang » a déclaré Agnès Callamard.
Interview de Cécile Coudriou, présidente d'Amnesty International France, sur TV5 Monde 👇
Libérez les détenus du Xinjiang
La campagne d’Amnesty International intitulée Libérez les détenus du Xinjiang a, à ce jour, dressé le profil de 126 hommes et femmes qui font partie du million de personnes peut-être se trouvant en détention arbitraire dans des camps d’internement et des prisons dans le Xinjiang depuis 2017
Nos demandes
La Chine doit démanteler immédiatement les camps d’internement, libérer les personnes détenues arbitrairement dans ces lieux et dans les prisons, et mettre fin aux attaques systématiques contre les musulmans du Xinjiang.
La communauté internationale doit agir à l’unisson pour que cessent ces atrocités, une bonne fois pour toutes. Il faut que les Nations unies créent et déploient de toute urgence un mécanisme d’enquête indépendant afin que les responsables présumés de crimes de droit international soient amenés à rendre des comptes.