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URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

Colombie

les manifestations se poursuivent, la répression aussi

Une manifestante en tête de cortège lève son poing, ville de Cali, Colombie, 2021 / ©Amnesty International / Christian EscobarMora

Cela fait maintenant plus d’un mois qu’une vague de protestation secoue la Colombie. Elle met en lumière la colère sociale de la population. Or, les manifestations sont réprimées, avec violence, par les autorités.

Les revendications des Colombiens qui réclament plus de justice sociale, doivent être entendues. Mais les protestations sont réprimées violemment par les autorités au mépris du plus élémentaire droit à la liberté d’expression. Dès le début des manifestations en Colombie, nous avons analysé des vidéos qui attestent que la police avait fait usage d’une violence excessive contre des manifestants.

Depuis le début des manifestations, 43 personnes auraient été tuées par les forces de l’ordre, selon nos informations et celles d’associations en Colombie. 

Aux morts, s’ajoutent 1 445 arrestations arbitraires, 22 cas victimes de violences sexuelles, 47 personnes gravement blessées aux yeux. 

Nous avons, avec d’autres organisations de défense des droits humains, condamnés cette répression. La communauté internationale également. Mais les autorités font la sourde oreille et la tension reste forte.

Nous avons mené des enquêtes sur les manifestations qui ébranlent la Colombie. Nous avons travaillé avec un réseau de journalistes latino-américains, coordonné par la plateforme CONNECTAS. Retour sur les principales conclusions de ce travail.

Interpellez le gouvernement colombien pour demander la fin de la répression des manifestations

Cali, un mois d’enfer dans la troisième ville du pays 

Une simple journée de mobilisation contre une réforme fiscale a abouti à une explosion sociale sans précédent dans l’histoire récente de Cali. La troisième ville du pays est le théâtre de violents affrontements entre des manifestants et la police, entre des protestataires et des milices armées.

Des manifestants sont rassemblés la nuit dans l'un des "points de résistance" de la ville de Cali, 2021 / ©Amnesty International - Christian EscobarMora

Depuis le début du mouvement de grève national, au moins 20 barricades ont été érigés dans la ville. Chaque jour, les mobilisations prennent d’avantage d’ampleur. Certaines places sont devenues des points de blocage emblématiques des protestations. Ils sont tenus par des jeunes dits « en première ligne » : ils défendent la zone en cas de violents affrontements. 

Ces lieux de mobilisations sont devenus des « points de résistance ». Ainsi, des manifestants ont renommé certains de ces lieux : le pont des « Mil Dias » (pont des mille jours) est devenu le pont des « Mil Luchas » (pont des mille luttes), le parc « Loma de la Cruz » (mont de la Croix) est devenu le parc « Loma de la Dignidad » (mont de la dignité). 

Des revendications anciennes et profondes  

Ces manifestations, majoritairement pacifiques, ont gagné tout le pays. Elles témoignent d'un profond malaise social en Colombie. Dans une lettre adressée au Président colombien Ivan Duque notre secrétaire générale, Agnès Callamard, alerte sur la situation des droits humains en Colombie et dénonce le silence du gouvernement.

Je vous écris pour vous faire part de la préoccupation d'Amnesty International concernant la grave crise des droits humains à laquelle la Colombie fait face dans le contexte de la grève nationale et des manifestations importantes qui ont lieu dans le pays depuis le 28 avril.

Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International

Malgré les revendications historiques des Colombiens au sujet des profondes inégalités économiques et sociales, le gouvernement n’apporte aucune réponse.  

Une manifestante à Cali, 2021 / ©Amnesty International - Christian EscobarMora

Les revendications des Colombiens remontent à 2019. Elles avaient alors donné lieu à un important mouvement de grève nationale (« Paro Nacional  ») dont les principales revendications portaient sur le rejet de réformes économiques et la défense des accords de paix. Plusieurs syndicats avaient alors appelé à porter ces demandes sociales.

Lire aussi : Retour sur le situation des droits humains en Colombie en 2020

En avril 2021, ce mouvement de grève nationale s’est transformé en un rejet populaire contre une réforme fiscale proposée par Ivan Duque. Et si le projet de loi est désormais retiré, les Colombiens continuent de descendre dans les rues pour protester désormais contre le manque de réponse du gouvernement à leurs demandes légitimes d’obtenir un accès juste aux droits économiques, sociaux et culturels. Ils dénoncent aussi la violence de la répression de ce mouvement. Ils demandent également la mise en œuvre complète de l’Accord de paix de 2016 qui met un terme à plus de 50 ans de guerre civile, ainsi que l’adoption de mesures concrètes pour mettre fin aux assassinats de défenseurs des droits humains et de leaders sociaux.

Lire aussi : Depuis l'accord de Paix, que sont devenus les anciens combattant des Farcs

Une jeunesse en quête d’avenir  

La mobilisation actuelle, c’est aussi celle de la jeunesse colombienne. Ils sont nombreux à demander en priorité un meilleur avenir. Selon les chiffres du département administratif national de statistiques colombien, de 2019 à 2020, le nombre de jeunes Colombiens entre 18 et 28 ans, sans emploi et sans diplôme, est passé de 19% à 33%. Ils sont appelés les « NiNi », autrement dit, ceux qui n’ont ni emploi, ni accès à l’éducation. 

Yonny Rojas habite dans le quartier de Siloé à Cali depuis plus de 20 ans. Il aide aujourd’hui des jeunes de son quartier à accéder à l’éducation. Selon son témoignage et son analyse, deux sortes de jeunes prennent part aux protestations.  

Les premiers sont ceux qui sont en « première ligne », touchés directement par les problèmes économiques et sociaux.

Ils n’ont rien à perdre. Ils n’ont pas peur. Si ce n’est pas l’Etat qui te tue, ils te tueront ici dans les quartiers qui sont au bord de la famine ou dans le conflit entre les gangs.  

Yonny Rojas, éducateur à Cali

Les seconds sont de jeunes universitaires de classe moyenne qui sont dans la rue pour demander une amélioration de leurs conditions de vie et qui rêvent d’un changement pour leur pays.

La Colombie manque d’opportunités. Même pour les plus privilégiés qui ont étudié, les opportunités d’emplois sont rares et mauvaises. 

Yonnt Rojas, éducateur à Cali

Cette situation de précarité décrite par cet éducateur de Cali, ne concerne pas uniquement les jeunes de la troisième ville du pays, mais touche toute la Colombie.  

Yonny Rojas aide des jeunes de son quartier à Cali / ©Amnesty International - Christian EscobarMora

La population indigène prise pour cible 

En plus de la jeunesse, la mobilisation sans précédent qui a gagné le pays, réunit d'autres pans de la société, comme les indigènes qui, eux aussi, prennent part au soulèvement. Historiquement, les peuples indigènes et afrocolombiens souffrent de façon disproportionnée des conséquences de la violence, du conflit armé et de l’absence de protection de la part de l’État. 

Lors des dernières manifestations, ils ont été victimes de violentes attaques, menées par des civils armés, dans certains cas en présence de la police. Les violences contre la "minga" indigène à Cali sont le reflet des dynamiques de violence qui persistent en Colombie et qui se sont accentuées dans le contexte des mouvements de protestation sociale liés à la grève nationale.  

Puerto Resistancia, épicentre de la contestation à Cali 

Carlos Pena, un avocat de 24 ans, fait partie des premiers à s’être mobilisés à Puerto Resistencia , l’un des épicentres de la contestation. C’est en effet ici, à Puerto Reno - rebaptisé Puerto Resistancia par les manifestants - qu’ont eu lieu les premiers affrontements violents avec la police. C’est là que l’une des premières victimes est tombée. 

Le 28 avril, premier jour des manifestations,un jeune homme de 17 ans, Marcelo Agredo,était dans la rue. Il a donné un coup de pied à un policier qui a répondu par deux coups de feu. Marcelo Agredo est mort sous les balles de la police. Ce drame a été filmé. L’affaire Agredo fait partie des quatre affaires actuellement traitées par le parquet colombien. Après cet assassinat, les manifestants dits de « première ligne » ont expulsé la police de la zone. L’avocat Carlos Pena, nous a décrit ce point de résistance, à l’est de Cali : Puerto Resistancia s’est transformé en une forme d’espace autonome et autogéré grâce au soutien et la solidarité des habitants de cette zone. 

Des manifestants rassemblés à Cali, 2021 / ©Amnesty International - Christian EscobarMora

Des violences quotidiennes  

Un mois après le début des manifestations, de nouvelles violences ont gagné la ville de Cali: pour la seule journée du 28 mai, jour symbolique marquant le premier mois de protestation, 10 personnes ont été tuées, selon le secrétariat de sécurité de la ville. Le président Ivan Duque a déployé 7 000 membres de l’Armée et de la Marine pour reprendre le contrôle des points de résistance de Cali et de la région.  

Cette nouvelle flambée de violences est inquiétante. Aux violences physiques, s’ajoutent des violences verbales : le gouvernement colombien stigmatise les manifestants en utilisant des termes comme « criminels » pour les qualifier. Par les termes employés, les autorités colombiennes insinuent également que les manifestations seraient organisées par des groupes armés illégaux ou par des « hordes de bandits ». 

Par l’usage de ce vocabulaire, auquel s’ajoute l'absence de condamnation officielle des violations des droits humains commises par les forces de sécurité, le gouvernement semble cautionner et justifier le recours à une force excessive, et par extension protéger les responsables, en leur permettant de ne pas être tenus de rendre des comptes et en perpétuant dès lors l’impunité. 

Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International

Un véritable soulèvement populaire est en cours en Colombie, après des décennies de guerres internes et de violences des autorités.

Nous appelons le président Ivan Duque à garantir le droit de la population colombienne de manifester pacifiquement et à mettre fin à la répression des manifestants. Nous rappelons également que le déploiement des forces armées à des fins de contrôle de manifestations civiles, ne fait qu’accroître le risque de nouvelles violations des droits humains et de nouveaux crimes de droit international.

Agir

Stop à la répression des manifestations en Colombie 

Les manifestations se poursuivent. Les violences et la répression aussi.

Au péril de leur vie, les Colombiens demandent des comptes à leur gouvernement. Signez notre pétition pour interpeller le président colombien Ivan Duque !