Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© Juan Pablo Cohen/ La Opinión
Colombie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Colombie en 2023.
Malgré les pourparlers de paix et les déclarations de cessez-le-feu, les civil·e·s ont continué de subir les répercussions du conflit armé et d’être victimes de violations des droits humains. Un très grand nombre de personnes ont notamment été déplacées de force. Le gouvernement n’a pas mis en œuvre de réforme globale de la police, mais a présenté des modifications de la réglementation concernant l’usage de la force pendant les manifestations. Cette année encore, les populations autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les communautés paysannes ont été touchées par le conflit armé de manière disproportionnée. Le problème des féminicides est resté extrêmement préoccupant, de même que la violence contre les personnes LGBTI. La Cour constitutionnelle a confirmé la dépénalisation de l’avortement lorsqu’il était pratiqué dans les 24 premières semaines de grossesse, mais un certain nombre d’obstacles entravaient toujours l’accès à celui-ci. Les défenseur·e·s des droits humains continuaient d’être la cible d’attaques et le gouvernement a annoncé des mesures visant à les protéger. Des progrès ont été réalisés dans certaines enquêtes sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les Vénézuélien·ne·s en quête d’une protection internationale ou qui essayaient d’avoir accès à d’autres dispositifs de régularisation se heurtaient toujours à des obstacles.
CONTEXTE
On a assisté en 2023, première année de la présidence de Gustavo Petro, à un renforcement des groupes armés et un accroissement des conflits entre eux, tandis que les affrontements entre ceux-ci et les Forces armées colombiennes ont reculé, selon la fondation Idées pour la paix.
Les pourparlers de paix entre le gouvernement et l’Armée de libération nationale ont progressé et permis l’instauration en août d’un cessez-le-feu de six mois. Le cessez-le-feu en vigueur entre le gouvernement et l’État-major central, un groupe armé, a été partiellement suspendu en mai après que quatre adolescent·e·s indigènes eurent été tués par ce groupe. Les négociations entre les deux parties ont repris en septembre et ont débouché sur l’instauration d’un nouveau cessez-le-feu, d’une durée de trois mois. Le gouvernement a cherché à engager des pourparlers avec six autres groupes armés, dont des bandes urbaines de Medellín, Quibdó et Buenaventura et les Forces d’autodéfense gaïtanistes de Colombie.
Des élections locales se sont tenues en octobre, au cours desquelles des violences ont été signalées dans plusieurs régions du pays.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré que la Colombie était responsable de l’élimination de l’Union patriotique et de violations des droits humains commises sur une période de 20 ans contre plus de 6 000 membres et militant·e·s de ce parti politique, ainsi que contre des membres de leur famille.
Le gouvernement a présenté des projets de loi de réforme sociale dans les domaines de la santé, du travail, des retraites et de l’éducation, mais aucun n’avait été adopté à la fin de l’année.
La Colombie était l’un des pays d’Amérique du Sud où étaient recensés le plus grand nombre d’événements climatiques extrêmes, selon la Banque mondiale. Environ 84 % de la population du pays était exposée à des risques climatiques multiples.
Le gouvernement a entamé un processus de consultation et de mise en œuvre du plan de transition énergétique graduelle. Les principaux objectifs de ce plan étaient l’augmentation des investissements en vue de la décarbonation, le remplacement progressif des énergies fossiles et l’assouplissement de la réglementation encadrant les investissements dans les énergies renouvelables.
RECOURS EXCESSIF ET INUTILE À LA FORCE
L’ONG Temblores et l’Institut d’études pour le développement et la paix ont recensé 191 cas de violences policières pendant la première année d’exercice du président Gustavo Petro (août 2022 à juillet 2023), soit une baisse de 59 % par rapport à l’année précédente. Quarante-trois cas sont intervenus dans le cadre de manifestations. Les groupes racisés continuaient de pâtir du profilage racial et des pratiques des organes de maintien de l’ordre.
La Coalition pour la réforme de la police, qui rassemblait des organisations de défense des droits humains et de victimes de violences policières, a présenté en février un ensemble de propositions en vue d’une réforme de cette institution s’inscrivant dans une démarche intersectionnelle et centrée sur les droits fondamentaux. Le gouvernement n’a toutefois pas mis en œuvre de modifications de la législation en vue d’une réforme globale de la police. Plusieurs initiatives visant à modifier sa structure et son fonctionnement ont néanmoins été approuvées, notamment la distribution d’un nouveau manuel sur l’usage de la force pendant les manifestations.
DISCRIMINATION
La Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est dite préoccupée par les effets de la violence sur les peuples autochtones, les Afro-Colombien·ne·s et les communautés paysannes dans la région du Pacifique.
PEUPLES AUTOCHTONES
Dans tout le pays, des populations autochtones ont été touchées par la violence et le conflit armé. Des communautés indigènes du département de Nariño ont été déplacées de force en septembre lors d’épisodes de violence armée. Des familles ont affirmé qu’elles avaient été confinées contre leur gré.
Dans le sud de la région du Pacifique, les Awás continuaient d’être pris pour cible par des groupes armés et ont réclamé une réponse institutionnelle plus rapide et plus efficace. La Cour constitutionnelle considérait depuis 2009 que les attaques perpétrées contre les Awás risquaient de conduire à leur extermination.
La Cour constitutionnelle a rendu un arrêt réaffirmant le droit des peuples autochtones à être consultés préalablement en ce qui concerne la configuration administrative de leurs territoires.
PERSONNES D’ASCENDANCE AFRICAINE
Des manifestations ont eu lieu en juillet à la suite de deux cas de violences policières potentiellement motivées par des considérations racistes. Les faits, qui ont entraîné la mort de deux jeunes Afro- Colombiens, se sont produits dans les départements du Valle del Cauca et de Bolívar. Ilex Action juridique, l’ONG Temblores et l’Institut sur la race, l’égalité et les droits humains ont dénoncé la participation de la police au racisme systémique.
PAYSANS ET DES PAYSANNES
Une modification de la Constitution reconnaissant aux paysan·ne·s un droit de propriété collective a été adoptée, venant confirmer et renforcer la protection des communautés concernées contre la discrimination.
DROITS DES FEMMES
Un projet de loi étendant la règle de la parité hommes-femmes à davantage d’organes décisionnels a été adopté en juin. Cette règle fixait des conditions garantissant la présence d’une certaine proportion de femmes au plus haut niveau décisionnel des institutions colombiennes.
VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE
Une déclaration d’urgence nationale sur les violences fondées sur le genre a été intégrée en mai dans le Plan national de développement 2022-2026. L’Observatoire colombien sur les féminicides a recensé 483 homicides fondés sur le genre perpétrés sur la personne de femmes et de filles entre janvier et novembre 2023.
Le Réseau régional d’information sur les violences contre les personnes LGBTI a signalé 21 homicides de personnes LGBTI en Colombie en 2023 dans la catégorie des « violences fondées sur les préjugés » (à savoir des violences visant à faire du mal à une personne en raison de la perception négative de son identité de genre ou de son orientation sexuelle).
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
Médecins sans frontières a indiqué en février que des obstacles à l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, notamment à l’avortement, persistaient en Colombie. Le mouvement Cause juste a recensé au moins neuf facteurs qui entravaient l’accès à l’avortement, parmi lesquels la méconnaissance du cadre juridique chez les professionnel·le·s de la santé, les contraintes inutiles imposées par les autorités sanitaires et des retards injustifiés dans la prestation des services.
La Cour constitutionnelle a confirmé en août la dépénalisation de l’avortement lorsqu’il était pratiqué dans les 24 premières semaines de grossesse. Elle a annulé des décisions qui remettaient en cause les effets juridiques de l’arrêt de 2022 reconnaissant la dépénalisation.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
En avril, pour la première fois en Colombie, une personne a reçu un diplôme universitaire correspondant à son identité non binaire.
DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS
Le ministère de l’Intérieur a annoncé le renforcement du programme de protection collective en faveur des défenseur·e·s des droits humains appartenant à des organisations et des communautés locales, qui s’occupaient souvent de la défense des terres et du territoire. Le plafond du nombre de demandeurs couverts par des mesures de protection collective en 2023 a été relevé. Ce programme visait à prévenir les violations des droits humains et autres atteintes aux droits des organisations et communautés locales. Il s’agissait d’identifier les facteurs de risques et de prendre des mesures pour éviter qu’ils ne se concrétisent, ou pour en atténuer les effets. Ce programme fonctionnait en parallèle de programmes de protection individuelle.
La Commission nationale des garanties de sécurité a approuvé en août une politique publique de démantèlement des organisations criminelles qui, entre autres exactions, s’en prenaient aux défenseur·e·s des droits humains.
Le Bureau du défenseur des droits a publié en septembre une alerte précoce nationale sur les violences commises contre les militant·e·s pour les droits fondamentaux.
En dépit des mesures prises par le gouvernement pour atténuer les risques que couraient les défenseur·e·s des droits humains, un très grand nombre de violences étaient toujours perpétrées contre ces militant·e·s. Selon le programme Nous sommes des défenseur·e·s, 632 agressions ont été commises contre des défenseur·e·s des droits humains entre janvier et septembre, dont 123 se sont soldées par la mort des victimes.
DÉPLACEMENTS FORCÉS
Les personnes d’ascendance africaine et les peuples autochtones étaient toujours concernés de manière disproportionnée par les déplacements forcés. Selon le HCR, 163 719 personnes ont été déplacées de force en Colombie entre janvier et novembre 2023. Reprenant les chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a indiqué que 45 % des victimes de déplacements forcés en 2023 étaient des personnes afro-colombiennes et 32 % des personnes autochtones.
En mai, 300 familles, soit environ 1 500 personnes, pour la plupart d’ascendance africaine ou autochtones, ont été déplacées de force en raison d’affrontements entre l’Armée de libération nationale et les Forces d’autodéfense gaïtanistes de Colombie dans la municipalité de Sipí (département du Chocó). En juillet, les autorités du département d’Antioquia ont signalé qu’au moins 53 familles des municipalités de Segovia et de Remedios avaient été déplacées de force à la suite de heurts entre ces mêmes groupes armés.
VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
La fondation Idées pour la paix a fait état d’une augmentation importante des déplacements forcés, des confinements forcés, des massacres et des assassinats de responsables locaux pendant la première année de la présidence de Gustavo Petro. Les divers cessez-le-feu instaurés au cours de l’année n’ont eu que des répercussions limitées pour la population civile.
Le Secrétaire général des Nations unies a informé en octobre le Conseil de sécurité que le cessez-le-feu entre l’Armée de libération nationale et le gouvernement, en place depuis août, avait permis d’apaiser la confrontation, mais n’avait guère réduit les effets du conflit armé sur la population civile.
Entre juillet 2022 et juin 2023, le Service de lutte antimines de l’ONU a recensé dans l’ensemble du pays 119 victimes de mines antipersonnel, dont quatre mineur·e·s et 33 personnes autochtones ou afro-colombiennes. Une zone truffée de mines antipersonnel posées par le groupe armé État-major central a été découverte dans le département de Nariño en juin, selon certaines informations.
En mai, le Bureau du défenseur des droits a appelé les différents groupes armés à mettre un terme au recrutement illégal de mineur·e·s. La Coalition contre l’implication des enfants et des jeunes dans le conflit armé en Colombie a recensé 112 cas au premier semestre 2023.
Des mesures de couvre-feu armé et de confinement ont cette année encore été imposées dans certaines localités, principalement en raison d’affrontements entre groupes armés dans des zones rurales. En juin, le Bureau du défenseur des droits a indiqué que l’Armée de libération nationale imposait un couvre-feu armé dans la municipalité de Nóvita (département du Chocó). Près de 5 000 personnes étaient touchées. Selon les chiffres du HCR, 72 389 personnes ont été confinées de force en Colombie au cours de l’année. Citant le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a indiqué en septembre que 37 % des personnes concernées par une mesure de confinement en 2023 étaient d’ascendance africaine et 25 % étaient autochtones.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
À la suite de différents incidents sur les réseaux sociaux entre Gustavo Petro et des journalistes ou autres professionnel·le·s des médias, la Fondation pour la liberté de la presse a demandé à plusieurs reprises au président de cesser d’alimenter un environnement hostile et de prendre au contraire des mesures pour promouvoir la liberté de la presse et faire en sorte que les médias puissent fonctionner.
La Fondation pour la liberté de la presse a fait état de 398 atteintes à la liberté de la presse en Colombie entre janvier et octobre, dont 132 cas de menaces, 41 cas de harcèlement et 51 cas de dénigrement.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
L’Institut Kroc pour les études internationales sur la paix a constaté quelques progrès dans la mise en œuvre de l’accord de paix de 2016 entre avril et mars, une réforme constitutionnelle créant la juridiction agraire et rurale ayant été approuvée. L’application des dispositions relatives aux questions ethniques et de genre restait cependant source de préoccupations. En juin, la réalisation de 74 % des dispositions de la composante ethnique et de 70 % de celles de la composante liée au genre était jugée impossible dans le cadre des conditions prévues.
Le secrétaire général des Nations unies a indiqué au Conseil de sécurité que l’Unité de recherche des personnes portées disparues avait mis au jour entre mars et juin les corps de 86 personnes dont on était sans nouvelles, et avait restitué les restes de sept personnes à leurs proches entre juin et septembre. Depuis 2018, cette unité a retrouvé 929 corps et en a remis 196 aux familles. L’Institut Kroc pour les études internationales sur la paix comptait en octobre 28 programmes régionaux de recherche engagés.
En décembre, l’Institut d’études pour le développement et la paix avait recensé 44 homicides commis depuis le début de l’année sur la personne d’anciens combattants des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP, groupe de guérilla signataire de l’accord de paix de 2016). Les anciens membres du groupe ont alerté en mars sur la dégradation des conditions de sécurité dans laquelle ils vivaient.
Le gouvernement a présenté en septembre un projet de loi visant à modifier la Loi relative aux victimes et à la restitution des terres. Le texte avait pour objectif, selon le gouvernement, de dégager les financements nécessaires à l’application de la loi et de mettre en place des solutions durables et des approches différenciées.
IMPUNITÉ
La Juridiction spéciale pour la paix (JEP) a inculpé en février 10 ancien·ne·s combattant·e·s des FARC-EP de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour leur implication dans des attaques contre des personnes indigènes, d’ascendance africaine ou membres de communautés paysannes dans les départements du Cauca et du Valle del Cauca.
La JEP a lancé en mai une procédure contradictoire contre un ancien député pour sa participation présumée à un crime contre l’humanité de persécution d’un groupe politique dans le département du Caquetá, commis conjointement avec des membres des FARC-EP.
En juillet, la JEP a inculpé 10 anciens combattants des FARC-EP de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour 349 enlèvements commis dans les départements du Tolima, du Huila et du Quindío. Elle a également prononcé l’inculpation de 15 anciens membres des FARC-EP pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour leur implication présumée dans la mise en œuvre d’une politique de contrôle social et territorial dans le département de Nariño. Cette politique avait eu des conséquences néfastes pour des personnes autochtones, des personnes d’ascendance africaine, des membres de communautés paysannes, des populations urbaines et rurales, des femmes, des jeunes filles et des personnes LGBTI, ainsi que pour la nature et des territoires ancestraux et collectifs.
En août, la JEP a inculpé neuf militaires, dont un ancien général, de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour 130 exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées commises dans le département d’Antioquia. Une procédure contradictoire a également été ouverte contre un ancien colonel de l’armée qui n’a pas reconnu sa responsabilité dans des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées perpétrées dans la région des Caraïbes.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Les autorités panaméennes ont déclaré en août que le nombre de personnes franchissant le « bouchon du Darién » avait considérablement augmenté et était d’ores et déjà supérieur au nombre total de passages en 2022. À la fin de l’année, 520 000 personnes avaient ainsi traversé la frontière.
Tout au long de l’année, des organisations de la société civile ont appelé à plus de transparence sur la question du nombre de Vénézuélien·ne·s vivant en Colombie. Selon la plateforme R4V, le pays accueillait 2,89 millions de ressortissant·e·s du Venezuela. Ces hommes, ces femmes et ces enfants rencontraient toutefois des obstacles pour accéder à la protection internationale ou à d’autres formes de protection qui leur ouvriraient la possibilité de régulariser leur situation au regard du séjour et de bénéficier de droits en Colombie.