La Colombie a traversé une importante crise de violations des droits humains dans le cadre des manifestations de la « grève nationale » qui ont éclaté en avril 2021. Nous avons analysé des cas graves de violences policières. Enquête.
C’est une réforme fiscale qui a d’abord mis le feu aux poudres en Colombie. Depuis avril 2021, d’importantes manifestations ont gagné le pays.
Elles ont été violemment réprimées. On compte plusieurs morts, des centaines de blessés graves et des arrestations arbitraires.
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Les méthodes de notre enquête : sur les 12 cas de violences policières que nous avons documentés, quatre sont survenus au cours des dernières années et huit dans le cadre de la grève nationale de 2021, dans les villes de Bogotá, Popayán, Florencia, Medellín et Manizales. Nos équipes ont analysé plus de 300 vidéos d’actions de l’Unité antiémeutes de la police colombienne (ESMAD) entre le 28 avril et le 20 octobre.
Dans notre nouvelle enquête Colombia: Shoot on Sight: Eye Trauma in the Context of the National Strike, réalisée conjointement avec le Programa de Acción por la Igualdad y la Inclusión Social (PAIIS), l'Universidad de los Andes, et l’ONG Temblores, nous présentons 12 cas de violences policières qui ont causé aux victimes des lésions oculaires irréversibles.
Les images que nous avons analysé prouvent que des membres de cette unité de police ont utilisé la force et des armes potentiellement meurtrières de façon excessive et disproportionnée contre les manifestants.
Dans cette enquête, nous mettons en lumière l’histoire de ces victimes en décrivant les multiples obstacles auxquels elles sont confrontées pour obtenir des soins médicaux spécialisés et des soins psychosociaux.
Il est inquiétant de constater que des membres de l’Unité antiémeutes de la police ont délibérément tiré dans les yeux d’un si grand nombre de personnes, uniquement parce qu’elles ont exercé leur droit légitime de manifester pacifiquement.
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International
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Une victime témoigne
L’un des cas les plus emblématiques de notre enquête est celui de Leidy Cadena.
Le 28 avril 2021, comme des milliers d’autres Colombiens, cette jeune étudiante en sciences politiques est descendue manifester dans le centre-ville de Bogotá. En début d’après-midi, elle s’est dirigée vers la Place Bolivar - lieu historique de protestations sociales dans la capitale colombienne - avec son petit ami et quelques amis. Sur le trajet, des policiers de l’Unité antiémeutes les ont abordés de façon agressive. Leidy a perdu un œil dans cette attaque.
J’ai juste crié "allons-y " et immédiatement après, mon visage me brûlait. Je ne voyais plus rien du tout, j’étais dans un état de grande détresse
Leidy Cadena, étudiante colombienne victime de violence policière
Portrait de Leidy Cadena, étudiante colombienne, victime de violences policières. Cette photo a été prise avant ses blessures à l'oeil droit, des suites d'un tir de la police lors d'une manifestation à Bogotá / © Amnesty International
Nous avons analysé une vidéo filmée à la suite de l’incident dans laquelle on peut voir cinq policiers équipés de boucliers, dont deux avec des équipements antiémeutes et des armes à projectiles. On y voit Leidy Cadena couvrir son œil ensanglanté. Ses amis demander de l’aide, mais les policiers n’interviennent pas.
Depuis cet accident, Leidy Cadena a reçu des menaces sur les réseaux sociaux. Du fait des menaces, Leidy, sa mère et son compagnon ont été contraints de quitter la Colombie.
Ils nous ont enlevé un œil, mais nous gardons notre voix
Leidy Cadena
La police tire délibérément sur les manifestants
D’après les témoignages que nous avons recueillis, les blessures des victimes n’avaient rien d’accidentel. La police aurait attaqué de façon bien ciblée les manifestants afin de sanctionner leur participation aux manifestations.
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Alejandro Rodriguez, coordinateur de l’observatoire de Temblores sur les violences policières a déclaré : « Les violences de la police ne peuvent pas continuer de faire partie de notre vie quotidienne. (…) Les cas de violences policières et plus particulièrement les lésions oculaires signalées lors de la grève nationale de 2021 que nous avons recensées montrent que les actions des policiers bafouent les normes internationales relatives aux droits humains et qu’une réforme de l’institution est nécessaire afin de garantir la sécurité et la vie de chacun . »
Une réforme de la police s’impose
Les éléments que nous avons recueillis dans le cadre de notre enquête prouvent que la police colombienne a commis de graves violations des droits contre des manifestants pacifiques.
Avec les associations Temblores et PAIIS, nous demandons aux autorités colombiennes de respecter sans délai les recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
Nous appelons les autorités colombiennes à :
Veiller à ce que l’utilisation de moyens non létaux pour maintenir l’ordre public soit soumise à des protocoles stricts et disponibles publiquement.
Entreprendre une réforme structurelle de la Police nationale, en particulierde l’Unité antiémeutes, qui garantisse une approche civile de leurs actions afin de prévenir l’usage excessif de la force lors des manifestations.
Mettre en place des systèmes indépendants et efficaces de surveillance ainsi que des protocoles d’investigation permettant d’enquêter sur les violences policières.
Mettre en place des dispositifs de soutien aux victimes de lésions oculaires incluant la prévention, le traitement, la rééducation et les soins psychosociaux.
Nos équipes sur le terrain continuent de suivre de près la situation en Colombie. Nous continuerons d’enquêter et d’alerter dès que des violations seront commises. Et nous continuerons d’œuvrer pour que toutes et tous puissent exercer librement leur droit de manifester pacifiquement, sans représailles.
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