Attouchements, nudité forcée, injures sexistes, harcèlement... la liste des violences sexuelles et sexistes infligées par la police nationale colombienne aux personnes qui manifestaient lors de la grève nationale de 2021 est accablante. Enquête.
En Colombie, la police nationale a infligé des violences sexuelles et d’autres formes de violences sexistes au cours de la répression de la grève nationale de 2021. Notre rapport « La police ne me protège pas : violences sexuelles et autres violences basées sur le genre lors de la grève nationale de 2021 » expose les violences subies par les femmes et les personnes LGBTI au cours de ces manifestations.
Ce rapport présente des informations sur 28 situations de violences basées sur le genre, qui ont eu lieu dans sept villes du pays, dans le cadre des manifestations, entre le 28 avril et le 30 juin 2021. Sur les 28 situations présentées, la majorité concerne des femmes, quatre situations concernent des hommes, et on recense également la situation d’une femme trans défenseure des droits humains et celles de deux personnes autochtones.
Notre enquête montre clairement que la violence fondée sur le genre a été un instrument de répression utilisé par la police nationale pour punir les personnes qui osaient faire entendre leur voix en manifestant.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
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« La police ne me protège pas »
Les violations ont eu lieu principalement dans deux types de situation : lorsque la police nationale a dispersé les manifestations et pendant les détentions. Dans ces deux contextes, protégés par leur statut, des membres de la police nationale ont commis des actes allant des injures sexistes à la menace de violences sexuelles.
À travers ces violences, les policiers cherchaient à punir les personnes qui manifestaient, parce qu’elles remettaient au cause les normes sociales en matière de genre et parce qu’elles descendaient dans la rue pour revendiquer leurs droits. C’est l'unité spéciale antiémeute (ESMAD) qui serait responsable de la plupart des violations.
En juin 2021, on comptait plus de 491 femmes victimes de violences policières, 28 victimes de violences sexuelles et 5 cas de violences basées sur le genre contre des personnes LGBTI qui manifestaient.
Attention, les témoignages sont violents.
Elles s’appellent Sofia*, Rosario*, Aida*. Comme des milliers de Colombiennes et de Colombiens, elles manifestaient pour réclamer plus de justice sociale. Elles font partie des nombreuses victimes qui ont subi des violences de la police. Témoignages.
Sofia, manifestante d’une vingtaine d’années
Le 30 avril 2022, Sofia était dans la rue, elle participait à une manifestation. Elle chantait et revendiquait haut et fort ses droits, lorsque des grenades assourdissantes ont été tirées contre un groupe de manifestants pacifiques. Tout le monde courrait. Sofia, elle, s’est retrouvée seule et isolée. A ce moment-là, un agent de l’Unité anti-émeute s’est approché d’elle et sans lui dire un mot l’a agressée sexuellement. Elle était en état de choc et avait du mal à respirer. Sofia se rappelle : « Ils m’ont insultée en me disant que si je ne voulais pas que ce genre de choses m’arrivent, je n’avais qu’à rester chez moi. »
Rosario, mère de famille
Rosario participait à une manifestation avec sa fille, Natalia*. Pendant les manifestations pacifiques, la police anti-émeute a tiré des grenades lacrymogènes et des balles de caoutchouc. Rosario témoigne : « Moi et ma fille avons été impactées par des projectiles à impact cinétique : ma fille au dos, moi à la tête. Pendant qu’un agent a attrapé ma fille pour essayer de la noyer dans un puits d'eau qui se trouvait à côté, j'ai été battue avec des instruments contondants, j'ai reçu des coups de pied et j'ai été traînée jusqu’au canal, où un responsable de l'ESMAD a pris mon sac, soulevé mon haut et ouvert mon pantalon pour toucher mes parties génitales.” Juste après cela, ils m’ont dit que ça devrait passer un message à toutes les manifestantes : « Salope, on va te tuer, va, fais passer ce message à ces fils de putes, qu’il peut arriver la même chose à n’importe lequel d’entre eux. »
Aida*, femme autochtone
Aida était dans la rue et soutenait les manifestations en cours. Elle raconte comment les policiers l’ont agressée : « La police m’a vue et quand ils ont réalisé que je portais des vêtements qui m’identifient comme autochtone, (…) Ils sont venus vers moi et m'ont insultée. J'ai résisté, j'ai commencé à crier, ils m'ont couvert la bouche, m’ont arraché ma chemise, m'ont peloté mes parties intimes au point de me faire honte. Ils ont utilisé la force, m’ont violentée et ont disposé de mon corps comme des animaux se partageant leur proie. » Un an après les faits, il n’y a eu aucune avancée dans l’enquête pénale.
* Pour des raisons de confidentialité et pour la sécurité des personnes victimes de violences, les noms sont tous des pseudonymes
Le rôle des femmes dans les manifestations
Les femmes ont joué un rôle majeur dans les manifestations. Elles étaient soutiens, porte-paroles, responsables de terrain, médiatrices avec les autorités policières, elles ont mis en place des « cuisines communautaires » pour assurer que les personnes qui manifestaient soient nourries, et agissaient comme une « ligne de front », pour protéger leur intégrité physique. En identifiant les formes de violence contre les manifestantes qui ont entraîné de graves traumatismes oculaires et des décès, les femmes de ces « lignes de front » ont joué un rôle crucial dans la protection et la défense des manifestantes. Malheureusement, c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elles ont été victimes de stigmatisation, de violence et de menaces.
Qu’est-ce qui a déclenché les manifestations en Colombie ?
À partir du 28 avril 2021, des milliers de personnes sont descendues dans la rue dans de nombreuses villes de Colombie pour prendre part aux manifestations majoritairement pacifiques dans le contexte du mouvement de la grève nationale qui a duré plusieurs mois. C’est la proposition d’une réforme fiscale, promue par le gouvernement du président de l’époque Ivan Duque, qui a mis le feu aux poudres. La police nationale est intervenue et a fait un usage de la force excessif et disproportionné pour réprimer les manifestations et étouffer la contestation. Des milliers de personnes ont été gravement blessées et des dizaines sont mortes, suite à la répression des forces de sécurité.
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Ciblé.e pour son origine et/ou son genre
Notre rapport révèle que les violences à l’égard des femmes et des personnes LGBTI ont été inextricablement liées à d’autres facteurs de discrimination comme l’origine ethnique, l’orientation sexuelle et l’identité de genre Les témoignages de femmes trans, et des communautés indigènes et Afro-colombiennes montrent que leur identité a été une cause supplémentaire de répression, exacerbant le risque de subir des violences.
De plus, des femmes et des personnes LGBTI journalistes ou défenseures des droits humains ont subi des agressions marquées par le sexisme, l’homophobie et d’autres formes de haine, ainsi que la stigmatisation.
Justice doit être rendue
Alors que des plaintes ont été déposées par les personnes ayant subi des violences fondées sur le genre, le système judiciaire n’a jusqu’ici pas fourni de réponse adéquate.
Plusieurs personnes victimes de violences ont déclaré qu’elles ne souhaitaient pas porter plainte parce qu’elles n’avaient pas confiance dans les instances et parce qu’elles avaient peur de représailles. Le président colombien Gustavo Petro, en tant que chef suprême de la police nationale, doit prendre un décret condamnant toutes les formes de violence sexuelle et fondée sur le genre.
Chacune des plaintes concernant la grève nationale de 2021 doit faire l'objet d'une enquête et les responsables doivent être amenés à rendre des comptes. Les autorités colombiennes doivent également remédier aux causes profondes de cette violence et travailler avec les femmes et les personnes LGBTI pour élaborer et adopter des mesures efficaces garantissant une vie sans discrimination institutionnelle et sans violence basée sur le genre.
Manifestez-Vous !
Aujourd'hui, partout dans le monde, le droit de manifester est menacé. Face aux répressions multiples des manifestations et des manifestants, notre organisation lance une campagne mondiale. Parce que manifester est un droit fondamental, défendons-le !