Défenseur des droits humains, chercheur sur l'Afrique de l'Ouest, Gaëtan Mootoo qui faisait partie de l'organisation depuis plus de trente ans nous a quittés. Hommage de Sylvie Brigot-Vilain, Directrice générale d’Amnesty France.
Ces mots, Gaëtan les a repris pour nous tous, au Secrétariat national d’Amnesty France :
Ce verdict est une victoire pour les victimes qui se sont battues sans relâche pour qu'Hissène Habré réponde devant la justice de crimes relevant du droit international. Il démontre que lorsqu'ils en ont la volonté politique, les États peuvent collaborer efficacement pour mettre un terme à l'impunité dans les situations les plus enlisées .
Gaetan Mootoo, chercheur sur l'Afrique de l'Ouest à Amnesty International.
Le 16 juin 2016, je lui avais proposé, avec nos collègues Jeanne et Aymeric de venir partager avec nous le sens qu’ils donnaient à cette grande victoire, « ce feuilleton judiciaire » comme il le disait lui-même, que fut la condamnation à perpétuité d’Hissène Habré, par les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, pour crimes contre l’humanité et torture ainsi que pour crimes de guerre.
Une victoire dont l’origine provient en grande partie de son engagement d’être humain, et de chercheur pour obtenir justice et réparation pour les victimes.
En relisant mes notes de cette rencontre-déjeuner, je me rappelle l’humanité, l’humilité, l’extrême précision et la passion de Gaëtan dans la narration des premiers combats, les rencontres avec les victimes, les espoirs et faux espoirs de ce combat de dix-sept ans, sa fierté pour la victoire remportée par les victimes, une amertume aussi, avec la sensation de ne pas « avoir été jusqu’au bout » de ce combat. Je n’en saurai jamais le détail.
Depuis ce tragique samedi matin, il y a deux semaines, quand j’ai reçu cet appel m'apprenant qu’il avait mis fin à ses jours dans son bureau, dans nos locaux à Paris, la vie a changé de couleur.
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Je connaissais peu Gaëtan et pendant ces deux premières années à Amnesty je n’ai pas pris le temps d’engager avec lui plus que les quelques conversations que nous avons eues ensemble, dans lesquelles il m’avait proposé, « lorsque cela serait possible » de faire une mission avec lui, comme d’autres collègues directeurs de sections nationales ont eu la chance de faire. J’avais accepté bien sûr, même si nous avions convenu tous les deux que les priorités d’Amnesty France m’attendaient ailleurs encore pour quelques temps.
Finalement, je le connaissais davantage au travers des témoignages de ceux et celles qui étaient plus proches de lui, chez Amnesty France ou de ce que j’ai pu découvrir sous la plume forte et émue de mes collègues Philippe Hensmans et Alex Neve . Une plume inspirée et empreinte de cette profonde tristesse et douleur que ressentent les amis lorsqu’ils voient partir les amis. L’élégance du juste, le très bel hommage rendu à Gaëtan par son ami Edwy Plenel jette, pour moi, une autre, douce et magnifique lumière sur l’ampleur de la personnalité, et de l’engagement de Gaëtan.
En tant qu’être humain, je me trouve confrontée, pour la première fois à la complexité de ce qui peut amener une personne telle que Gaëtan Mootoo à prendre une telle décision, totale, irréversible, définitive, violente. Depuis deux semaines je cherche une voie pour tenter de comprendre la détresse, et le sentiment d’impuissance qui peut amener à un tel geste. Le chemin sera long avant que peut-être je trouve des réponses.
En tant que Directrice générale d’Amnesty France depuis deux ans, très attachée à ce mouvement, la décision de Gaëtan de mettre fin à ses jours en laissant derrière lui une note expliquant son geste par le fait « qu’il ne pouvait plus faire son travail comme il le souhaitait, tout en l’aimant toujours autant » me choque, m’attriste et me bouleverse profondément. Elle forge ma détermination à répondre aux questions qu’elle nous pose, au sein d’Amnesty, et renforce mon engagement à faire en sorte que notre mouvement prenne soin des personnes qui s’engagent en son sein.
Ce lundi 11 juin à 13h30, au crématorium du Père-Lachaise, Gaëtan nous donne un dernier rendez-vous. J’y serai pour rendre hommage au chercheur talentueux, à l’homme qui a mis sa vie au service des droits humains, dont l’empathie et le respect ont permis à celles et ceux qui ont été les plus atteints dans leurs droits, en Afrique de l’Ouest, de pouvoir s’exprimer et lutter. J’y serai pour exprimer mon soutien à son épouse Martyne, à son fils Robin et à toute sa famille et ses nombreux amis.
Ce sont des moments comme ceux-là qui peuvent inspirer d'autres victimes autour du monde en de sombres périodes, lorsque la justice semble hors d'atteinte, en ravivant l'espoir et en donnant la force de se battre pour ce qui est juste. Cette décision historique doit aussi inciter l'Union africaine et chaque État africain à suivre cet exemple afin que justice soit rendue à d’autres victimes dans d'autres pays du continent. »
Ces mots de Gaëtan, commentant la condamnation d’Hissène Habré, continueront de résonner pour moi comme ce qui donne le sens à nos combats, et à mon engagement pour et avec les personnes dont les droits sont violés.
Je vous souhaite de reposer en paix Gaëtan.