Pour soulager les souffrances de milliers de civils, qui vont bientôt manquer de nourriture et d’autres produits de première nécessité, il faut de toute urgence fournir à Alep une assistance humanitaire qui soit impartiale et ne subisse aucune restriction.
Dans la matinée du 28 juillet, le ministre russe de la Défense a annoncé le lancement d’une « opération humanitaire », avec la mise en place de corridors sûrs pour permettre aux civils et aux combattants qui déposent les armes de quitter Alep, et l’installation à l’extérieur de la ville de structures où ils pourront recevoir des vivres et de premiers soins. Cependant, de nombreux civils risquent d’accueillir avec scepticisme les garanties de sécurité offertes par le gouvernement syrien et pourraient choisir de ne pas partir par crainte de représailles. La seule voie de ravitaillement de la ville, la route du Castello, est coupée depuis le 7 juillet, à la suite d’une offensive du gouvernement syrien avec d’intenses bombardements et des tirs de snipers.
La famine comme arme de guerre
Depuis des années, le gouvernement syrien bloque l’acheminement d’une aide essentielle aux civils assiégés tout en leur faisant subir quotidiennement des pilonnages et des frappes aériennes. Il utilise la famine comme arme de guerre et fait délibérément souffrir celles et ceux qui vivent dans des zones contrôlées par l’opposition.
La mise en place de voies d’évacuation sûres pour les civils qui souhaitent fuir Alep ne permettra pas d’éviter une catastrophe humanitaire. Cette mesure ne peut se substituer à l’acheminement d’une aide humanitaire impartiale aux civils toujours présents dans les zones de la ville contrôlées par l’opposition ou dans d’autres secteurs assiégés, car nombre d’entre eux vont se montrer sceptiques face aux promesses du gouvernement.
Les engagements de la Russie risquent eux aussi d’être accueillis avec méfiance par certains civils d’Alep, les autorités russes ayant procédé à des frappes aériennes illégales – qui pourraient équivaloir à des crimes de guerre – dans des zones contrôlées par l’opposition et s’étant systématiquement gardées d’user de leur influence auprès du gouvernement syrien pour faire cesser les violations des droits humains généralisées.
Les réserves alimentaires seront épuisées d'ici 2 semaines
Cinq organismes humanitaires locaux ont indiqué à Amnesty International que les réserves alimentaires d’Alep pourraient être épuisées d’ici deux semaines, ce qui mettrait en danger la vie des civils. Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies, Stephen O’Brien, s’est également inquiété de ce que les vivres à Alep devraient être épuisées d’ici la mi-août, ajoutant qu’entre 200 000 et 300 000 personnes étaient menacées.
Les attaques menées par les forces gouvernementales syriennes contre des habitations, des hôpitaux et d’autres établissements médicaux à Alep et autour de la ville se sont également intensifiées ces derniers jours.
Amnesty International s’est entretenue avec des habitants d’Alep bloqués dans la ville, 10 médecins et plusieurs organismes humanitaires en Syrie et en Turquie. Leurs témoignages donnent une image très sombre de ces 20 derniers jours.
La "route de la mort"
Un travailleur humanitaire a expliqué à Amnesty International que la route du Castello était désormais surveillée 24 heures sur 24 par le gouvernement syrien et les forces de l’administration autonome dirigée par le Parti de l’union démocratique (PYD), parti politique kurde de Syrie. « Tout ce qui bouge sur la route est pris pour cible », a-t-il déclaré.
Même avant que la route soit coupée, deux camions qui transportaient suffisamment de vivres pour nourrir 400 familles ont été attaqués. « Tout leur chargement a été détruit. Ces familles comptent sur l’aide humanitaire que nous leur prodiguons. Que deviendront-elles quand les stocks de nourriture seront entièrement épuisés ? », a-t-il demandé.
Un ancien habitant d’Alep a raconté à Amnesty International comment il avait fui avec sa famille en passant par la route du Castello, au péril de leurs vies, pour rejoindre la Turquie huit jours plus tôt. « Nous ne supportions plus le bruit des avions de guerre et des explosions, alors nous avons décidé de quitter la ville à l’aube. La “route de la mort” [route du Castello] fait quelque 500 mètres […]. Le taxi devant nous, avec à son bord une famille, a été touché par une frappe aérienne. Il a pris feu […]. Nous ne pouvions pas nous arrêter pour voir s’il y avait des survivants. J’ai vu cinq corps en décomposition sur le bord de la route », a-t-il déclaré.
« Hala » (nom d’emprunt pour des raisons de sécurité), qui habite à Alep, a confié à Amnesty International que les prix avaient doublé ces derniers jours. « Le prix de denrées de base, comme le sucre ou le boulghour, a doublé. Un kilo de sucre coûte maintenant 13 dollars des États-Unis environ. Je n’ai pas les moyens d’acheter les rares légumes disponibles. »
« Hussam », père de deux garçons qui habite lui aussi à Alep, a déclaré à Amnesty International : « Chaque matin, mon fils aîné et moi commençons par faire la tournée des boulangeries. Leur production de pain couvre à peine 30 % des besoins de la population. La plupart du temps, nous revenons les mains vides ou avec une seule miche de pain. »
Frappes aériennes incessantes
Les frappes aériennes et les intenses bombardements menés en permanence par les forces gouvernementales syriennes rendent la vie à Alep encore plus difficile. Des habitants et des médecins ont indiqué à l’organisation que la ville, en particulier les quartiers d’al Sakhour, d’al Shaar et d’al Fardous, avait été la cible d’offensives aériennes quotidiennes ces 10 derniers jours.
« Maen », un habitant d’Alep, a déclaré : « Nous nous réveillons avec le bruit des bombardements et nous nous couchons après avoir enterré ceux qui ont été tués. » Il a raconté avoir été témoin d’une frappe aérienne le 19 juillet près de son domicile, dans le quartier de Bab al Hadid, un secteur résidentiel de la vieille ville d’Alep. Six maisons ont été détruites. « J’ai traversé un écran de fumée en courant pour rejoindre le site attaqué. Une femme enceinte, son bébé et une fillette de 9 ans avaient été tués. C’était horrible. Vingt minutes plus tard, j’ai de nouveau entendu un avion de guerre approcher. Nous avons dit aux gens qu’il fallait partir le plus rapidement possible. J’ai réussi à me mettre à l’abri avant que le même site exactement soit pris pour cible. Je suis [ensuite] retourné en courant sur le site : une femme avait eu une jambe complètement arrachée, sa fille d’une douzaine d’années, blessée elle aussi, se trouvait à côté d’elle. » « Maen » a déclaré que des éclats d’obus avaient été projetés sur un rayon de 200 mètres, ajoutant qu’il s’agissait selon lui d’une roquette à sous-munitions, car il l’avait vu s’ouvrir dans le ciel, puis créer toute une série de petites explosions. Les armes à sous-munitions sont interdites par le droit international, et l’emploi de ces armes non discriminantes par nature constitue une violation du droit international humanitaire.
Sept hôpitaux et autres établissements médicaux d’Alep ont été la cible de frappes aériennes en l’espace de 10 jours, d’après des médecins sur place. Seuls trois hôpitaux de la ville fonctionnent encore et sont en mesure de prodiguer des soins d’urgence aux civils blessés. Abdel Basset, un médecin qui travaille en Syrie, a raconté à Amnesty International que des frappes aériennes avaient endommagé deux entrepôts, détruisant partiellement des vivres et des fournitures médicales.
Un médecin syrien qui surveille la situation depuis la Turquie a quant à lui fait savoir que les stocks de fournitures médicales seraient bientôt épuisés. « Si les bombardements se poursuivent à ce rythme et avec la même intensité, les fournitures médicales ne dureront pas plus de deux mois. Des blessés meurent alors qu’ils font la queue pour être soignés, car il n’y a pas assez de personnel ni d’hôpitaux ouverts », a-t-il déclaré.
Des médecins, des travailleurs humanitaires et des habitants d’Alep ont dit à Amnesty International que les attaques les plus meurtrières avaient touché des zones résidentielles, bien loin des lignes de front et des objectifs militaires.
Le droit international humanitaire n'est pas respecté
Le droit international humanitaire prohibe les attaques contre les civils et les biens de caractère civil, dont les hôpitaux et d’autres structures médicalisées, ainsi que l’utilisation contre la population civile de la famine comme méthode de guerre.
Le gouvernement syrien et ses alliés font preuve d’un mépris total pour le droit international humanitaire, et bafoue de manière flagrante toutes les dispositions relatives aux droits humains des résolutions adoptées sur la Syrie par le Conseil de sécurité. Cet organe des Nations unies n’a quant à lui pas accordé la priorité à la protection des civils contre des violations de leurs droits.
Tous les États participant aux négociations de Genève sur la Syrie, en particulier la Russie, l’alliée du gouvernement syrien, doivent exercer de fortes pressions sur ce dernier pour qu’il mette fin à ses attaques incessantes contre les civils et les biens de caractère civil et autorise l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire.