D’origine argentine, cette artiste crée des œuvres chorales. Qu’elle évoque des vétérans de guerre, des enfants de migrants ou des ex-détenues, elle croit en la puissance de l’imaginaire.
Extrait de la Chronique de juin # 451
par Laurent Rigoulet
Derrière les vitres, une brume de coton escamote le ciel de Buenos Aires. À cette heure matinale, Lola Arias est déjà plongée dans ses répétitions. Elle s’en est échappée pour nous parler depuis un bar qui jouxte le théâtre où elle prépare le Festival d’Avignon en compagnie d’une troupe d’anciennes « taulardes ».
Metteuse en scène, dramaturge, cinéaste, écrivaine, actrice, chanteuse… elle ne fait que passer par la ville où elle est née en 1976, l’année du coup d’État militaire de Jorge Videla. Lola Arias s’est fait connaître, en 2009, avec Mi vida después (Ma vie après), une pièce dans laquelle, à l’aide de photographies et de documents sonores, elle remontait le fil des années noires de la dictature en Argentine. « Dans les années 2000, les gens de ma génération ont eu envie d’apprendre et de comprendre ce qu’avaient vécu leurs parents, se souvient-elle. J’ai commencé à poser des questions, à enregistrer des témoignages, et mon théâtre ne s’est plus jamais éloigné de cette veine réaliste. »
L’histoire s’est tristement mise en boucle. Si Lola Arias n’est qu’en visite dans son pays, c’est qu’elle s’est imposé l’exil en s’installant à Berlin où elle peut vivre de son art. « Dans mon pays, c’est impossible. Depuis l’élection de Javier Milei [en novembre 2023], les choses sont devenues terribles. Son gouvernement d’extrême droite s’attaque ouvertement à la culture. Dès son arrivée au pouvoir, il a coupé les vivres du théâtre du cinéma, fermé les salles, taillé dans les aides sociales..." Comme beaucoup d’artistes, elle passe le plus clair de son temps à manifester. Le jour de notre rencontre, elle revient d’un rassemblement pacifique devant un cinéma condamné à la fermeture. « Les policiers sont tombés sur la foule avec casques et matraques, relate- t-elle. Tout est tellement sombre que je ne sais par où commencer pour le raconter. »
Une comédie musicale et carcérale
La situation sociale actuelle de l’Argentine enflamme la passion de Lola Arias. Elle confère un caractère d’urgence à son théâtre qui invite sur scène ceux que la société ne regarde pas. Pour Los días afuera, à Avignon, Lola Arias sera accompagnée de femmes et de personnes transgenres qu’elle a rencontrées dans une prison de Buenos Aires, en lisière des confinements de l’ère Covid. La dramaturge était venue présenter aux détenues l’un de ses spectacles, Le Théâtre de la guerre. Elle y mettait en scène, dans leur propre rôle, des vétérans de la guerre des Malouines 1, trois Argentins, trois Britanniques.
Troupes de "taulardes · © Eugenia Kais
« L’enthousiasme des prisonnières était tel face à ces gens qui jouaient leur propre expérience que je suis revenue pour organiser des ateliers. Ces détenues, coupées de tout, disposent d’un temps fou pour ressasser leur histoire et n’ont aucun moyen de l’exprimer. » Les premières séances se sont concentrées sur le chant et la danse qui libèrent les énergies. Après leur sortie de prison, Lola a décidé de poursuivre l’expérience en tissant leurs histoires, et les chansons qu’elles inspiraient. Elle a tourné un film dans le décor d’une prison désaffectée. Mélange détonnant de documentaire et de comédie musicale, Reas a été très chaleureusement reçu lors du dernier Festival de Berlin : « Un chef-d’œuvre d’intensité qui montre comment l’espoir, la résistance et l’imagination peuvent faire tomber les murs autour de nous », comme le souligne un critique.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais la singularité du travail de Lola Arias consiste à chercher sans cesse des prolongements pour accompagner loin celles et ceux qui s’ouvrent à elle, partageant les douleurs du passé. Dans Futureland, qu’elle a commencé à monter en 2019 à Berlin, avec des migrants adolescents en provenance d’Afghanistan, de Syrie ou de Guinée, la metteuse en scène a regardé ses acteurs mûrir d’année en année. Elle les a aussi aidés à s’affirmer sur les planches, à s’intégrer dans la société allemande. « Avec les femmes que j’ai accompagnées à la sortie de prison, je ne pouvais pas me contenter d’un film. À la différence du cinéma, le théâtre a besoin de leur présence sur le long terme. Jouer leur donne un travail qui dure tant que la pièce est reprise, leur permet de faire des rencontres, de se créer des réseaux pour repartir du bon pied. » Même si elle a commencé par la fiction, Lola Arias ne semble pas prête de s'éloigner du théâtre documentaire et politique, devenu sa signature. « J'ai besoin de sentir que les pièces transforment la vie de ceux qui me confient leur histoire ».
1— Cet archipel fut au centre d’un conflit entre l’Argentine et le Royaume-Uni en 1982.
PROGRAMME LES CHOIX D’AMNESTY INTERNATIONAL
Los días afuera Opéra Grand Avignon. 1 h 45. Du 4 au 10 juillet.
Ce spectacle de théâtre et de musique raconte la vie de six femmes et personnes trans à leur sortie de prison. Il donne une suite au film Reas, réalisé également par Lola Arias, qui évoquait leur incarcération dans un patchwork émouvant de confessions et de chansons. Au cœur du printemps, Lola Arias travaillait encore à l’écriture avec ses personnages qui se nourrissent de leur quotidien pour étoffer leur rôle. Elles se questionnent notamment sur le retour à la vie de famille et leurs relations avec les enfants dont elles ont été séparées.
DÉBAT
RÉALITÉS TRANSGENRES
Réflexion autour des défis et des violences auxquels se heurtent les personnes
transgenres, en présence de :
- Lola Arias, autrice et metteuse en scène argentine
- Maria Galindo, psychologue et activiste bolivienne
- Paul B. Preciado,
écrivain et activiste espagnol
Le 6 juillet, 11 h 30-13 h, Cloître Saint-Louis. Animé par Sébastien Tüller, responsable de la commsion Orientation sexuelle et identité de genre
d’Amnesty International France.
PROJECTIONS
TERRITOIRES CINÉMATOGRAPHIQUES
Cinéma Utopia,
4, rue des Escaliers Sainte-Anne
• Orlando, ma biographie politique
Paul B. Preciado
En 1928, Virginia Woolf écrit Orlando, roman dans lequel le personnage principal change de sexe. Un siècle plus tard, l’écrivain et activiste trans Paul B. Preciado envoie une lettre cinématographique à Virginia Woolf : son Orlando est sorti de sa fiction.
Le 7 juillet, 15 h, suivi d’une rencontre avec Paul B. Preciado et Sébastien Tüller, responsable de la commission Orientation sexuelle et identité de genre d’Amnesty International France.
• TotalTrust
Jialing Zhang
Plongée dans le quotidien de militants des droits humains en Chine, ce film met en lumière l’utilisation des technologies de surveillance par le régime pour contrôler sa population.
Le 9 juillet, 11 h, suivi
d’une rencontre avec Katia Roux, chargée de plaidoyer Libertés
à Amnesty International France.
SPECTACLES RECOMMANDÉS DANS LE OFF
FEMME NON RÉÉDUCABLE
Compagnie La Portée
Au début des années 2000, la journaliste russe Anna Politkovskaïa enquête sur la guerre en Tchétchénie.
Le spectacle retrace sa vie
en mêlant théâtre et musique.
Théâtre La Factory (chapelle des Antonins), du 3 au 21 juillet à 12 h 15
(relâche les 9 et 16 juillet).
POÈTE EN CAVALE
HK
Théâtre musical, écrit et interprété en vers et en chansons.
Une ode à l’irrévérence, à la liberté d’expression. Théâtre Isle80,
du 5 au 21 juillet à 21 h
(relâche les 9, 14 et 16 juillet).
EXIT
Charles Templon
En Suisse, l’association EXIT propose, en toute légalité, une assistance au suicide pour les personnes en fin
de vie.
Théâtre du Train bleu, du 4 au 20 juillet,
les jours pairs à 13 h 20.
LA FRANCE, EMPIRE
Nicolas Lambert
De l’enfance picarde au démantèlement de l’empire républicain, quelques pages manquantes de notre histoire nationale.
Le 11·Avignon,
du 2 au 21 juillet, à 9 h 50.
CLASSEMENT SANS SUITE
Théâtre CreaNova
Un spectacle qui déconstruit les préjugés en matière de violences sexuelles et dresse un tableau des défaillances de notre système judiciaire. Théâtre la Luna,
du 29 juin au 21 juillet, à 18 h 30
(relâche les 4, 11, 18 juillet).
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