Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
Action de rue pour la justice climatique sur le Parvis des droits de l’Homme par les militant·es d'Amnesty International France, octobre 2024
La répression mondiale des défenseurs de l’environnement menace l’action climatique
Pour lutter contre la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et la pollution, un combat se révèle essentiel : celui des défenseur·es de l’environnement. Ils et elles s’engagent chaque jour pour protéger les terres, les forêts, les océans, et se mobilisent pour exiger une action des Etats et des entreprises à la hauteur de ces crises. Mais leur combat fait d'eux une cible. Les défenseur·es de l'environnement sont victimes de répression à travers le monde. A l’ouverture de la COP29 qui se déroule en Azerbaïdjan du 11 au 22 novembre 2024, nous appelons à renforcer leur protection.
La crise climatique et l’effondrement de la biodiversité mettent en péril nos droits humains (droit à la vie, droit à l’eau et à l’assainissement, droit à l’alimentation, droit à la santé, droit à un environnement sain et durable, etc.). Les défenseur·es de l’environnement défendent aussi in fine l’ensemble de nos droits humains.
Sources de gauche à droite : revue scientifique "Nature", Internal Displacement Monitoring Centre
Les effets dramatiques du changement climatique mettent en évidence, de façon affreusement claire, le fait qu’un environnement sain est indispensable pour l’exercice de tous nos autres droits.
Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International
Lire aussi : Pourquoi le dérèglement climatique menace-t-il les droits humains ?
Malgré ces graves menaces qui pèsent sur nos droits, l’action des Etats demeure insuffisante et certaines décisions comme soutenir les énergies fossiles vont à l’encontre de l’urgence environnementale. En parallèle, de nombreuses entreprises continuent par leurs activités à aggraver le changement climatique avec une impunité alarmante.
Face à l’inaction des gouvernements et à l’impunité des entreprises devant l’urgence de la crise climatique, les défenseur·es de l’environnement s’engagent et se mobilisent.
Qui sont les défenseur∙es de l’environnement ?
Les défenseur·es de l'environnement sont en première ligne du combat pour la justice climatique.
Chaque jour, ces personnes luttent pacifiquement contre la crise climatique, la pollution, et l'effondrement de la biodiversité en exigeant la consultation sur des projets impactant le climat ou l'environnement et en s’opposant par exemple aux projets d’extraction de combustibles fossiles ou à la déforestation.
Les modes d’actions des défenseur·es de l’environnement sont variés : éducatives, actions en justice, organisation de communautés résilientes, manifestations, des actions de résistance pacifique ou de désobéissance civile.
Parmi les défenseur·es de l'environnement, on retrouve des personnes aussi diverses que les mamies suisses qui ont gagné leur procès sur le climat devant la Cour européenne des droits de l’homme, les “écureuils”, ces activistes opposés au tracé de l’autoroute A69 en France ou encore les représentants de la nation autochtone des Wet’suwet’en qui se battent pour sauver ses terres face à un projet de gazoduc au Canada.
En raison de leur engagement, les défenseur·es de l’environnement se heurtent aux intérêts puissants des Etats et des acteurs privés. Ils et elles subissent en réponse une répression, parfois extrêmement violente, qui s’accroit de manière inquiétante dans le monde.
Les défenseur·es de l’environnement de plus en plus menacé·es
La répression des défenseur·es de l’environnement n’est pas réservée à des régimes hostiles au droit international. Elle est belle et bien d’ampleur mondiale.
Obstacles à l'information et la participation : les défenseur·es de l'environnement font face à des barrières dans leur accès à l'information sur les questions environnementales et à la participation dans les processus de décisions relatifs à l’ environnement et au climat.
Discours politiques et médiatiques stigmatisants : les discours stigmatisants et discréditants (comme l’utilisation grandissante du terme “éco-terroristes” peuvent justifier la répression des activistes et les dissuader de se mobiliser.
Répression policière : l'usage abusif de la force par la police pour réprimer les actions des militant.es soulève de vives inquiétudes.
Restrictions de droits fondamentaux : les droits à la liberté d'association, d'expression et de réunion pacifique sont menacés par des interdictions de manifestations et l'utilisation d’outils juridiques pour limiter l'autonomie des associations.
Lois répressives : une criminalisation accrue se manifeste par l'introduction de nouveaux délits et des peines lourdes et disproportionnées pour les militant·es, renforçant un climat de peur.
Violences et menaces : le harcèlement et les violences physiques peuvent aller jusqu’aux disparitions forcées ou aux meurtres, accentuant la vulnérabilité des défenseur ·es.
Source : Global Witness
La surreprésentation des peuples autochtones dans les victimes de violences envers les défenseur·es de l’environnement
Les peuples autochtones jouent un rôle essentiel dans la défense de l’environnement. Ils entretiennent un lien étroit avec leurs terres ancestrales, dont dépendent leurs moyens de subsistance et leur identité culturelle. Ils ont une connaissance fine de leurs écosystèmes qui abritent plus de 80 % de la biodiversité de notre planète et possèdent donc l’expérience nécessaire pour s’adapter aux impacts du changement climatique.
Mais les peuples autochtones sont souvent victimes des appétits des industriels qui veulent accaparer leurs terres pour étendre leurs activités. Leurs terres, riches en ressources naturelles, notamment en pétrole, en gaz et en minerais, sont fréquemment accaparées, vendues, louées ou pillées et polluées par les autorités et des entreprises privées.
Lire aussi : Comment le Canada harcèle la nation autochtone Wet’suwet’en pour protéger l'industrie fossile
Malgré leur rôle primordial dans la défense de la nature, leurs droits sont régulièrement bafoués. Lorsqu'ils tentent de protéger leurs terres, nombre des membres des peuples autochtones sont victimes de violences qui peuvent aller jusqu’au meurtre. Victimes de discriminations basées notamment sur l’histoire coloniale et le racisme, marginalisés, les peuples autochtones sont aussi victimes de l’impunité générale qui règne envers les auteurs de crimes sur ces populations.
Bien qu’ils ne représentent qu’environ 5 % de la population mondiale, les peuples autochtones sont victimes de plus de 40% des meurtres commis dans le monde en 2023 à l’encontre des défenseur·es de l’environnement, selon Global Witness.
Il ne peut pas y avoir de justice climatique sans défenseur·es de l’environnement
La protection des droits des défenseur·es de l’environnement est nécessaire pour permettre à la société civile de jouer un rôle dans la vie politique, économique et sociale et de jouer un rôle en exigeant en faveur d’une action climatique ambitieuse auprès des Etats.
Dans une large mesure, la société civile est la seule force motrice sur laquelle on puisse compter pour pousser les institutions à changer au rythme voulu.
Extrait du rapport de 2019 du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat)
Les droits des défenseur·es de l’environnement doivent non seulement être protégés en tant que droits à part entière, mais aussi en raison de leur caractère indissociable d’une action climatique efficace et juste.
Dans le droit international
Les droits à l’information, à la participation et à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique sont protégés par :
Le droit international relatif aux droits humains : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones
Le droit international de l’environnement :
- Les principes 10 et 22 de la Déclaration de Rio de 1992, issue de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement reconnaissent que “la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés"
- La Convention sur la diversité biologique de 1992
- Les articles 4.1. (i) et 6 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) (1992)
- L’article 12 de l’Accord de Paris (2015)
La Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme de 1998 reconnaît l’importance du rôle des acteurs de la société civile dans la défense des droits humains et des droits environnementaux. Elle affirme le devoir des Etats à protéger les défenseur·es des risques découlant de leur travail.
Dans les traités régionaux
En Europe avec la Convention d’Aarhus (1998) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement
En Amérique latine et dans les Caraïbes avec l’Accord d’ Escazú (2018) : il contient la première disposition contraignante et spécifique au monde sur la protection des défenseur∙es des droits humains en matière d’environnement.
Ces mécanismes de protection font pourtant preuve d’inefficacité pour les défenseur∙es de l’environnement qui sont aujourd’hui victimes d’un espace civique bâillonné et d’une répression mondialisée.
La stigmatisation, la répression et la criminalisation des défenseur∙es de l’environnement détourne l’attention du débat public des causes profondes du changement climatique et des mesures nécessaires pour y faire face. En outre, elles délégitiment les demandes d’action pour la justice climatique exigées auprès des Etats et des entreprises, ce qui permet à ces dernières de continuer à dégrader l’environnement.
Dans ce contexte, attaquer les défenseur·es de l’environnement c’est donc mettre en danger notre capacité commune à faire face à la crise climatique avec l’urgence et l’ambition nécessaires.
Tant que la société civile, les peuples autochtones, et les défenseur·es de l’environnement se verront refuser une chaise à la table des décisions, tant que les gouvernements délégitimeront leur combat et les feront passer pour des criminels, nous ne répondrons pas à la crise climatique que nous constatons chaque jour et qui ne fera que s'aggraver demain.
Margot Jaymond, chargée de plaidoyer justice climatique à Amnesty International France
Quelle est la réponse des autorités face au mouvement climat ?
Elles répondent souvent par la violence, quitte à blesser, mutiler ou tuer. On est toujours dans un rapport de force : en face, l’État sert des intérêts économiques et ne souhaite pas que les choses changent. Cela mène donc nécessairement à la confrontation et la répression. Dans le cas du mouvement d’opposition aux méga-bassines, à Sainte-Soline, l’État en est venu à opposer aux personnes qui manifestaient des milliers de gendarmes pour défendre un trou dans la terre. Ça relève de la symbolique : en agissant avec une telle violence, l’État tente de couper l’herbe sous le pied de ces mouvements, afin de les dissuader. Mais les militants et militantes ont bien compris que si l’État verse dans l’autoritarisme, c’est précisément car ce sont là de véritables problèmes contre lesquels il est important de lutter.
Quitte à se faire qualifier d’« écoterroristes » ?
Pour que cette militarisation du maintien de l’ordre soit acceptée par l’opinion publique, il y a aussi une bataille des idées. Il y a le besoin de diaboliser ces militants et militantes avec des mots péjoratifs. Il y a donc tout un arsenal sémantique qui est employé pour les désigner comme des adversaires. En les présentant comme des ennemis de l’intérieur, on sous-entend qu’il est tout à fait légitime de les réprimer.
Comment mieux protéger le mouvement militant pour le climat ?
En démocratie, il existe des principes primordiaux comme la liberté d’expression et d’association. Il est très important de faire prévaloir ces principes au-delà des lois pour garantir le plein exercice d’un État de droit et faire en sorte que notre société évolue dans le bon sens. Certes, on peut parfois dire aux personnes qui commettent des infractions qu’elles sont dans l’illégalité, mais ce n’est pas pour autant que leurs actions sont illégitimes. Au contraire, elles peuvent être parfaitement légitimes et justifiées, pour finalement aboutir à des résultats positifs.
L’intégralité de cet entretien est à retrouver dans le numéro de décembre 2024 de bref, notre publication pour tout comprendre aux droits humains.
Nos demandes
Il est urgent de reconnaitre le rôle essentiel des défenseur·es de l’environnement dans la lutte contre le changement climatique, la pollution et l’effondrement de la biodiversité, et de les protéger dans leur action.
Pour cela, nous demandons aux Etats de :
👉 Garantir le droit à l’accès à l’information relative à l’environnement. Cela passe notamment par garantir et faciliter la liberté de la presse pour les médias et les journalistes qui traitent des questions environnementales et climatiques, et lutter contre la désinformation liée à ces questions.
👉 Faciliter la participation publique des personnes, des communautés, des groupes et des populations touchés de manière disproportionnée par la crise climatique au cours de la planification et de la conception des stratégies, mesures législatives, plans nationaux, projets, etc.
👉 Consulter les populations autochtones, coopérer avec elles et obtenir leur consentement libre, préalable et éclairé avant d’adopter des mesures susceptibles de les affecter.
👉 Garantir les libertés d'expression, d’association et de réunion pacifique. Toute personne a le droit faire entendre sa voix et de mobiliser les autres en faveur de l’action pour le climat ou de la protection de l’environnement, y compris par la désobéissance civile.
👉 Garantir la fin de l’impunité pour les attaques contre les défenseur·es. Nous demandons que des enquêtes approfondies soient menées sur toutes les violations des droits humains et les abus commis à l’encontre des défenseur·es et que leurs auteurs soient traduits en justice.
👉 Garantir un cadre juridique clair prévoyant des sanctions à l’encontre des entreprises impliquées dans la criminalisation, la stigmatisation, les abus et les violations des droits des défenseur·es.
👉 Faciliter l’accès à la justice et à une réparation efficace pour les personnes ayant subi des violations des droits humains.
👉 Ne pas utiliser des dispositions juridiques et administratives ou abuser du système judiciaire pour harceler, criminaliser et stigmatiser les activités des défenseur·es.
👉 Ne pas tolérer, autoriser ou ordonner la commission d’agressions physiques contre des défenseur·es de l’environnement, et ne pas perpétrer d’agressions verbales visant à les discréditer ou les stigmatiser.
👉 Reconnaître que les défenseur·es de l'environnement sont des défenseur·es des droits humains et les protéger en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l'homme, adoptée par consensus en 1998.
Nos autres demandes à l’occasion de la COP 29
Les droits humains doivent être au cœur de toutes les décisions relatives à l'action climatique
Les États qui ont les capacités de le faire doivent augmenter massivement le financement climatique et le financement des pertes et dommages
Tous les États doivent s'engager à éliminer totalement les combustibles fossiles, de manière rapide et équitable
Les participants à la COP29 ne doivent pas courir après des technologies risquées et n’ayant pas fait leurs preuves comme le captage, le stockage et l’élimination du carbone, ni promouvoir le gaz en tant que “carburant de transition”, pour détourner l’attention de la nécessité urgente d’éliminer progressivement les combustibles fossiles
Le Secrétariat de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), le gouvernement d'Azerbaïdjan et les autres gouvernements doivent protéger l'espace civique et garantir les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique