Les forces turques donnent aux groupes armés syriens toute latitude pour commettre de graves violations des droits humains contre les civils à Afrin, ville du nord de la Syrie.
En janvier 2018, l’armée turque et des groupes armés syriens alliés ont lancé une offensive contre les Unités de protection du peuple kurde (YPG), la force militaire de l'administration autonome dirigée par le Parti de l’union démocratique (PYD).
Trois mois plus tard, la Turquie et ses forces alliées prenaient le contrôle d'Afrin et de ses environs, entraînant le déplacement de milliers de personnes qui ont cherché refuge dans la région voisine d'al Shahba, où elles vivent dans des conditions très difficiles.
Le gouvernement syrien et les Unités de protection du peuple kurde (YPG) exacerbent la souffrance des personnes déplacées d'Afrin : elles se retrouvent piégées dans la région d'al Shahba sans aucune raison valable et privées d'un accès adéquat à l'éducation, à la nourriture et aux soins médicaux.
Elles devraient, et tout particulièrement si elles sont malades ou blessées, être autorisées à se rendre en sécurité là où elles le souhaitent.
Nos recherches sur la vie sous occupation militaire turque révèlent que les habitants d’Afrin endurent de multiples atteintes aux droits humains, qui sont pour la plupart le fait de groupes armés syriens équipés et armés par la Turquie. Les forces armées turques ferment les yeux sur ces violations.
L'offensive et l'occupation par l'armée turque exacerbent la souffrance des habitants d'Afrin qui ont déjà subi pendant des années un conflit meurtrier.
La Turquie étant la puissance occupante à Afrin, elle est tenue d'assurer la sécurité de la population civile et de maintenir la loi et l'ordre public.
Pour l’instant, ses forces armées manquent totalement à ces obligations. Elle ne peut se soustraire à sa responsabilité en se servant des groupes armés syriens pour faire le sale boulot.
À Afrin en Syrie © Nadine Moawad
Détentions arbitraires et disparitions forcées
Les groupes armés pro-turques ont arrêté de manière arbitraire des civils contre rançon, pour les punir parce qu’ils avaient demandé à récupérer leurs biens, ou pour des accusations infondées d'affiliation au PYD ou aux YPG.
Des sources locales ont évoqué au moins 86 cas de détention arbitraire, de torture et de disparition forcée.
Une femme ayant fui Afrin a déclaré que son oncle avait été emmené par des membres d'un groupe armé pro-turc après être rentré dans son village trois mois plus tôt : « Nous ne savons pas où il se trouve. Il était responsable du « Komine » [le comité local]. Il n'est pas membre du PYD ni des YPG. Il est retourné à Afrin parce qu'il avait peur de perdre sa maison. Une nuit, il a décidé de demander aux membres d’un groupe armé de le conduire chez lui pour vérifier que tout était en ordre. Ils l’ont escorté jusque chez lui, et on ne l’a pas revu depuis. »
Un ancien prisonnier nous a raconté : « J'ai été détenu près d'Afrin pendant deux mois. J'ai été transféré dans de multiples centres de détention, notamment à Maamalou, Damliou et Baadino, des villages aux alentours d'Afrin, où j'ai été interrogé par des membres de deux groupes armés et les forces armées turques. Toutes leurs questions portaient sur mes activités sur les réseaux sociaux ; ils m'ont accusé d'appartenir aux YPG car j'ai signalé des violations commises par la Turquie pendant l'offensive militaire. »
Lire aussi : Deuil impossible pour les familles des victimes de disparitions forcées
À Afrin en Syrie © Getty Images / Nadine Moawad
Confiscation de biens
Depuis mars 2018, lorsque la Turquie et ses alliés ont pris le contrôle d'Afrin, des centaines de personnes sont retournées dans la ville à pied, à travers les montagnes, car les YPG bloquent les routes permettant d’entrer à Afrin et empêchent délibérément les personnes déplacées d’y retourner.
Ceux qui ont réussi à rentrer ont bien souvent découvert que leurs propriétés avaient été confisquées et leurs biens volés par les groupes armés alliés à la Turquie.
Dix témoignages relatent que les groupes armés syriens ont confisqué des propriétés et des boutiques à Afrin. D'après des habitants déplacés, ce sont des proches et des voisins qui les ont informés que leurs maisons servaient de quartier général aux groupes armés pro-turcs ou étaient occupées par des familles déplacées de la Ghouta orientale et d'Homs.
Les familles de la Ghouta ne sont pas responsables. Elles sont déplacées, tout comme nous, et sont peut-être dans une situation pire que la nôtre.
Déclaration d'une femme
Pillage des maisons et des commerces
À Afrin en Syrie © Getty Images/Leen Hashem
Plusieurs personnes déplacées ont appris par des proches que leurs maisons avaient été entièrement pillées ou vidées des équipements onéreux comme les postes de télévision, ordinateurs, machines à laver et réfrigérateurs par les forces pro-turques
Dans une interview accordée aux médias en avril, un représentant du tribunal militaire a affirmé que des actes de pillage avaient eu lieu en marge de l'offensive militaire, imputables à des militaires et à des civils, ajoutant que le tribunal avait commencé à restituer les biens.
Toutefois, un habitant rentré à Afrin en mai a déclaré : « Je suis allé voir la maison de mes parents et elle était vide. Ils ont volé tous les meubles, les appareils électroménagers et tout le reste. Les voisins ont vu l’Armée syrienne libre charger toutes les affaires dans des camions. »
Les enfants privés d’éducation
Depuis janvier 2018, les habitants d'Afrin n’ont quasiment pas accès à l'éducation. Ils ont expliqué que depuis mars, les enfants n'avaient pu se rendre que dans une seule école de la ville, tandis que l'Université d'Afrin, détruite et pillée, est complètement fermée. Selon d'anciens enseignants déplacés dans la région d'al Shahba, les forces turques et des groupes armés syriens alliés ont installé leur quartier général dans l'école Amir Ghabari à Afrin.
Selon des médias locaux et des habitants, en juin, les forces turques et les groupes armés ont converti l'école publique de Shara en quartier général de la police. Les forces turques se servent aussi d’une école à Jenderes comme centre de soins d’urgence, selon des habitants.
Pourtant, au titre du droit international humanitaire, et particulièrement dans des situations d'occupation, les écoles bénéficient d'une protection spéciale et l'éducation des enfants doit être assurée.
Rester informé
Recevez nos emails d'information et d'action sur les crises et conflits armés