Chercheuse, Carine Jacquet publie un essai dans lequel elle explore les enjeux de la construction nationale d’un État birman.
La démocratisation peut-elle faciliter la résolution du conflit qui dure depuis l’indépendance en 1948 entre la majorité Bamar et les minorités ?
Carine Jacquet Ce n’est pas si simple. Sous la junte, la cohésion prévalait face à un ennemi commun : le régime militaire. Pour l’instant, les acteurs qui ont cru aux élections sont déçus car ils constatent peu de changement. Par ailleurs, la question des minorités renvoie à l’histoire de la construction du pays. Avant la colonisation, l’entité Birmanie n’existait pas. Les Britanniques ont rassemblé des royaumes qui, successivement, se sont absorbés les uns les autres. Pour les militaires, il s’agissait d’assurer la cohésion de l’Union du Myanmar (nom officiel de la Birmanie), et faire tenir par la coercition un pays composé de groupes ethniques très divers (les deux-tiers de la population sont des Bamars, le tiers restant est composé de toutes sortes de groupes ethniques). Les minorités restent perçues par la majorité Bamar comme des éléments déstabilisateurs qui affaiblissent le pouvoir. Ce manque de tolérance est l’héritage des années de dictature.
Quelle est l’importance de la conférence de la paix lancée fin août par le nouveau gouvernement ?
Symboliquement c’est intéressant. Aung San Suu Kyi a décidé d’appeler ces rencontres Panglong II, en référence à un accord de paix signé par son père en 1947 et devenu un mythe. Pourtant, il est très controversé : quatre groupes ethniques sur la dizaine existant étaient présents. De nombreuses promesses n’ont jamais été tenues. Et les représentants de ces groupes n’étaient pas toujours légitimes. Un changement est néanmoins intervenu avec la démocratisation. Désormais, on peut vraiment parler de fédéralisme, même si aucun modèle n’est mis en avant.
Quelles sont les clés pour résoudre ce conflit ?
Il faut recréer la confiance. En toute logique, il s’agirait d’intégrer les armées ethniques dans l’armée nationale. Mais, on n’en est pas là du tout. Pour un groupe minoritaire, accepter un cessez-le-feu revient à se rendre. Les accords de paix signés depuis 2011, et le début du gouvernement semi-civil du président Thein Sein, ont divisé les groupes ethniques entre eux. La confiance est donc loin d’être acquise. L’armée seule pourrait créer un espace, car en dernière analyse c’est elle qui dirige. Constitutionnellement, le gouvernement civil de la Ligue nationale pour la démocratie ne peut rien imposer à l’armée. L’enjeu des ressources naturelles demeure au cœur du conflit : le jade de l’Ėtat kachin assurerait des revenus estimés entre 12 et 30 milliards de dollars. Une manne que se partagent les généraux des armées birmanes et kachin. La décision du nouveau gouvernement de remettre en cause toutes les licences octroyées pour l’extraction minière dans l’Ėtat kachin est un signal important. Il souhaite ainsi assurer plus de compétitivité dans l’attribution des autorisations, ce qui pourrait ouvrir un espace de discussion et permettrait plus de transparence.
Quels sont les éléments fédérateurs ?
La fierté d’être birman est très partagée. Mais, plutôt que de faire de la diversité une force, on l’a présentée comme une faiblesse. Le récit ethnique a été utilisé par l’armée pour asseoir sa légitimité. La diversité est niée à l’école ce qui pose problème pour la réconciliation. On présente les minorités ethniques sous un aspect très folklorique. Par exemple, on n’apprend rien sur la splendeur du royaume Mom qui a régné sur une partie importante du territoire de l’actuelle Birmanie durant plus de mille ans.
Pourquoi la minorité musulmane Rohingya est-elle particulièrement victime de discriminations ?
Les Rohingyas sont dans une situation folle. Utiliser leur nom est devenu un problème politique. Le terrain délétère actuel a été préparé depuis des décennies par la politique de l’armée qui s’est servie du bouddhisme comme pilier. La loi de 1982 ne les reconnaît pas comme des citoyens à part entière. Le gouvernement semi-civil du président Thein Sein (2011-2015) a véhiculé un discours autour de la crainte d’une invasion démographique musulmane. Après la levée de la censure, les réseaux sociaux se sont fait écho de ce fantasme. Cette rhétorique islamophobe, reprise par des moines extrémistes, s’appuie également sur l’actualité internationale et la crainte de la menace islamiste. Mais, la dimension religieuse ne se retrouve pas ailleurs dans le pays. On assiste à des violences inédites entre villageois. Les musulmans sont devenus un ennemi commun pratique, utile pour fédérer. La question est bloquée. D’autant que la communauté internationale qui enjoint les Birmans aux respects des droits de l’Homme est perçue comme étant partiale, favorable aux musulmans.
Christine. Chaumeau.
Entretien réalisé dans La Chronique d’Amnesty International en octobre 2016
Unité et diversité, les défis de la transition birmane Carine Jacquet disponible aux éditions MkF
STOP AU NETTOYAGE ETHNIQUE DES ROHINGYAS AU MYANMAR
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