En Bulgarie et en Slovaquie, sous couvert d’assurer la santé et la sécurité publique, les autorités ont imposé des quarantaines obligatoires dans certains campements roms. Conditions sanitaires extrêmes, présence militaire armée, discrimination, non-assistance alimentaire et médicale, nous estimons que ces mesures ordonnées par les gouvernements constituent une violation des droits fondamentaux.
En raison de l'incapacité de longue date des gouvernements bulgare et slovaque à garantir des installations sanitaires adéquates et sûres, un accès à l'eau, à l'électricité et aux soins médicaux dans de nombreux campements roms, ces communautés se trouvent confinées dans des conditions dangereuses. Sans les moyens nécessaires à leur protection, elles courent le risque particulièrement élevé d’être infectées par le Covid-19.
Défavorisés et discriminés
Alors que dans toute l'Europe, les Roms constituent l'une des communautés les plus défavorisées, de nombreuses familles roms vivent dans la pauvreté en Slovaquie et en Bulgarie. Logements surpeuplés, campements informels sans accès convenable aux réseaux d’approvisionnement public en eau et en électricité, les Roms sont marginalisés et confrontés à la discrimination dans tous les domaines : éducation, emploi et santé. En raison de ces inégalités persistantes, et de la pandémie de Covid-19, de nombreux Roms se trouvent plongés dans une situation encore plus précaire. Outre le risque accru d'infection auquel ils sont confrontés, les mesures de confinement et de distanciation sociale misent en place par les gouvernements risquent d’accentuer la pauvreté et l’isolement social qu’ils sont déjà nombreux à subir.
Bulgarie : des murs et des drones pour confiner
Depuis le 13 mars, la Bulgarie a décrété l'état d’urgence face à la pandémie de Covid-19. Les autorités ont ainsi progressivement introduit des mesures plus strictes pour empêcher la propagation du virus : interdictions de déplacements interurbains et restrictions importantes de la liberté de circuler. Si ces mesures s'appliquent à l'ensemble du pays, c’est bel et bien la communauté rom de Bulgarie qui en est la plus affectée. Villages et campements informels roms ont été bouclés par l'ensemble des maires bulgares afin d'y installer des barrages et des postes de contrôle et d’empêcher les résidents d'entrer et de sortir. A cet effet, des murs temporaires ont été construits par les autorités autour des campements roms des villes de Nova Zagora, Kazanlak et Sliven. Ces campements qui abritent près de 50 000 personnes sont ainsi contraints à un régime de confinement total, pour la raison suivante, invoquée par les autorités : « le manque de discipline parmi les résidents » rendait les mesures de distanciation sociale difficiles à appliquer.
Dans le quartier rom de Shesti, près de Nova Zagora, les autorités ont estimé que faute d’accès à l'eau potable et à des installations sanitaires, les résidents n'étaient pas en mesure de maintenir le niveau d'hygiène recommandé pour ralentir la propagation du virus hors des campements. Si elles ont instauré un confinement total, les autorités n'ont cependant pas pris de mesures afin de garantir un accès continu au réseau d'approvisionnement public en eau au sein du campement pendant la pandémie. Des représentants de l’État ont soutenu l’application de ces mesures en invoquant le fait que de nombreuses personnes roms rentraient d’un séjour en Espagne ou en Italie -pour des emplois saisonniers dans le secteur informel- et qu’à cet égard ils représentaient un risque pour le reste de la population. Si le gouvernement recommande à toutes les personnes revenant de ces pays de se placer en quarantaine pendant 14 jours, les campement roms subissent avec la plus grande fermeté l'application de ces mesures de quarantaine.
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Dans plusieurs villes, dont celle de Burgas, au bord de la mer Noire, des drones équipés de capteurs thermiques ont été utilisés pour prendre à distance la température des habitants des campements roms. Bien que cette technologie ait été utilisée dans d'autres pays européens pour cette même raison, elle semble n’être utilisée en Bulgarie qu’auprès de la communauté rom. En outre, on ignore quelles mesures sont prévues si des personnes roms sont déclarées contaminées au COVID-19 suite à un test et comment le gouvernement garantira la satisfaction des besoins des personnes touchées pendant la quarantaine ainsi que la protection du reste de la communauté contre la propagation du virus. D'autre part, on constate un discours de plus en plus hostile envers les Roms, souvent alimenté par les figures politiques. Le parti du Mouvement national bulgare (VMRO), partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir, a ainsi profité de la crise sanitaire et ce alors qu'aucun cas n'avait encore été détecté dans la communauté rom, pour les présenter comme une menace collective pour l’ensemble de la population, qui doit être « maintenue sous contrôle ». Mladen Marinov, ministre de l'Intérieur bulgare, a également menacé de prendre des mesures répressives supplémentaires « pour protéger l’ensemble de la population » si les Roms ne respectaient pas strictement les mesures de distanciation sociale.
Alors que les communautés roms restent confinées dans leurs campements, rien n’indique que les autorités aient apporté une aide aux familles afin de leur permettre de se conformer aux consignes du gouvernement, de se protéger contre l’infection et de subvenir à leurs besoins.
Slovaquie : des tests pour stigmatiser
C'est à partir du 3 avril que les autorités slovaques ont commencé à proposer des tests aux résidents des campements roms. Effectués avec le concours de l’armée dans 33 campements parmi plusieurs centaines, ils ont principalement concerné ceux où les autorités avaient enregistré des retours de résidents depuis l'étranger, en particulier depuis la République tchèque et le Royaume-Uni. Au cours de cette opération, nous avons indiqué au gouvernement slovaque que si les Roms ne disposaient pas des moyens nécessaires pour se protéger, y compris un accès convenable à l'eau et à des installations sanitaires, le fait de concentrer les efforts de test sur leur communauté ne ferait qu'aggraver la stigmatisation et les préjugés dont ils souffrent déjà. Le 9 avril, au lendemain de la Journée internationale des Roms, le gouvernement a placé en quarantaine stricte cinq campements roms soit plus de 6800 résidents, dans l'est de la Slovaquie : trois dans le village de Krompachy, et un dans les villages de Bystrany et de Žehra. Sous couvert de santé publique, ces mesures ont été annoncées comme indispensables, 31 cas positifs ayant été détectés. A la suite d’entretiens avec des résidents et d'autres personnes, il apparaît que les autorités n'auraient pas séparé les personnes dont les tests étaient positifs du reste de la communauté.
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Selon nos informations, aucune denrée alimentaire, ni matériel médical n'ont été mis à disposition de ces populations. Dans l'un des campements, avec l’aide d’un entrepreneur local, les résidents ont improvisé un système d'approvisionnement en nourriture. Dans un autre campement, les autorités vendaient des colis alimentaires basiques au prix de 15 euros, ce qui a soulevé des inquiétudes importantes, car ces familles sont souvent privées de leurs sources de revenus à cause de l'épidémie. D’autres résidents nous ont alerté sur le manque de médicaments, nous informant qu'un certain nombre d’entre eux en ont besoin pour des maladies chroniques telles que du diabète, des maladies cardiaques et de l'asthme. Des cas où des ambulances ont refusé dans un premier temps de prendre en charge des résidents qui avaient besoin de soins médicaux nous ont également été signalé. En outre, les habitants des campements s'inquiétaient du manque d'informations concernant la durée de la quarantaine et du manque de ressources pour subvenir à leurs besoins si celle-ci devait être prolongée. Le droit international relatif aux droits humains exige pourtant des gouvernements qu’ils mettent en œuvre des mesures de quarantaine et d'isolement de manière sûre et respectueuse. Les autorités doivent également fournir des informations appropriées aux personnes placées en quarantaine et assurer une communication régulière.
Des annonces effectuées le 12 avril indiquaient que les autorités placeraient les personnes infectées en quarantaine à l’extérieur des campements, cependant, le nombre de personnes transférées reste extrêmement faible et les campements sont toujours verrouillés et surveillés par la police et l’armée. Par ailleurs, la présence de militaires armés autour des campements de Roms a un effet intimidant. On peut s’interroger sur sa légitimité à des fins de maintien de l’ordre et de protection de la santé publique. Le déploiement d'armes qui ne devraient l'être que dans des situations comportant un risque élevé, et qui n'ont pas leur place dans une logique de maintien de l’ordre au quotidien, témoigne d'une approche « antagoniste » très préoccupante. Ces mesures risquent ainsi de renforcer la peur au sein des communautés roms et de les marginaliser encore un peu plus.
Respecter le droit international relatif aux droits humains
Les gouvernements de Bulgarie et de Slovaquie doivent apporter une aide d’urgence aux communautés roms afin de leur permettre de se protéger à la fois contre la maladie et contre les graves conséquences sociales et économiques que pourraient engendrer les mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie. Ils doivent également justifier selon quels critères relatifs à la santé publique ils ont décidé de placer l’ensemble des communautés roms en quarantaine et démontrer que toutes les possibilités de mesures moins restrictives ont été suffisamment explorées. Les mesures de quarantaine imposées aux communautés roms vivant dans des campements affectent de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté, qui disposent d’économies limitées et qui, dans certains cas, risquent de ne pas pouvoir subvenir à leurs besoins pendant cette période de quarantaine faute de revenus. L'impossibilité d'exercer un travail informel, essentiel pour de nombreuses familles, expose les Roms à un risque accru de pauvreté et renforce l’exclusion sociale dont ils souffrent. Il incombe aux gouvernements bulgare et slovaque de veiller à ce que les droits économiques et sociaux des personnes en quarantaine, y compris le droit à l'alimentation, à l'eau, à des installations sanitaires et à un niveau de vie suffisant, soient garantis.
Nous rappelons, qu'en vertu du droit international relatif aux droits humains, les mesures de quarantaine doivent être appliquées de manière non discriminatoire, répondre à un besoin public ou social urgent, poursuivre un objectif légitime et être proportionnées à cet objectif. Elles doivent être provisoires, sujettes à un examen, et l'option la moins restrictive doit être retenue lorsque plusieurs types de limitations peuvent être imposés. Nous estimons que toute mesure prenant délibérément pour cible des communautés entières, sans qu'il soit prouvé que ces communautés présentent un danger pour la santé publique dans le contexte de la pandémie, est susceptible d'être arbitraire et disproportionnée, et peut constituer une discrimination.
Nous demandons aux gouvernements bulgare et slovaque de veiller à ce que les Roms vivant dans les campements placés en quarantaine puissent disposer de denrées alimentaires, de médicaments, de produits d'hygiène et de soins médicaux, et soient soutenus dans l’application des mesures de santé publique dans le respect de leurs droits fondamentaux. Nous exhortons également les deux gouvernements à cesser d’avoir recours aux forces de l'ordre et à l'armée pour répandre la peur et intimider les résidents de ces campements.
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