L’avortement reste criminalisé dans cet archipel avancé en termes de droits LGBT.
À Malte, l’avortement reste criminalisé, sans exception. Les femmes encourent entre dix-huit mois et trois ans de prison. Même à Chypre, en Pologne et en Irlande, où l’avortement est interdit, la loi autorise une ou plusieurs dérogations, en cas de danger, pour la vie de la mère par exemple.
Beaucoup de Maltais pensent que ce n’est pas parce que le reste du monde fait quelque chose de mal qu’il faut suivre le mouvement, mais que nous sommes plutôt l’ultime rempart de morale
Andrea Dibben, chercheuse spécialiste des droits des femmes de l’Université de Malte.
Pour les pro life, la vie démarre dès la conception et il faut la préserver à tout prix. « Tuer un fœtus est considéré comme tuer un enfant », résume-elle. Résultat, ces dernières années, plusieurs centaines de Maltaises sont parties avorter à l’étranger, certaines dans des conditions sanitaires critiques. « Elles reviennent après une anesthésie générale en saignant, parfois à moitié consciente », confie un praticien maltais. Ce dernier témoigne sous anonymat, de peur de perdre sa licence. « Si les gens savaient combien de femmes donnent naissance à des fœtus non viables…, soupire-t-il. Je pense aux cas d’anencéphalie, lorsque le fœtus n’a pas de cerveau et aucune chance de survie. Les femmes conservent l’espoir jusqu’à la fin. C’est atroce de les autoriser à garder ce bébé ». Dans ce pays où 91 % de la population est catholique, où le divorce n’a été légalisé qu’en 2011, l’avortement reste tabou.
Le paradoxe maltais
Pourtant, depuis la victoire des travaillistes aux élections générales de 2013, plusieurs lois progressistes ont été votées. En 2014, l’union civile pour tous ouvre l’adoption aux homosexuels. L’année suivante, un texte autorise l’autodétermination de genre et la création d’un genre X. En 2016, Malte devient le seul État européen à criminaliser les thérapies « de conversion » ou de « guérison » pour les gays. Et, depuis juillet, le mariage pour tous est possible.
À la différence de nombreux autres pays européens, à Malte, ces dernières années, il n’y a pas eu une seule voix au Parlement s’élevant contre les droits LGBT
Silvian Agius, directeur des droits de l’homme et intégration au ministère du dialogue social et des libertés civiles.
Outre Drachma, des groupes d’intérêts LGBT se sont formés dans les années 2000 pour faire valoir efficacement leurs droits. « C’est un petit pays et tu as un bon accès aux politiciens. Si tu veux un rendez-vous, tu envoies un mail et tu l’obtiens dans la plupart des cas, commente Gabi Calleja, coordinatrice du Malta gay rights movement, association de référence. On a presque obtenu tous les droits ». La procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples lesbiens et les femmes célibataires n’est cependant pas légale, tout comme la gestation pour autrui (GPA).
Cette cohabitation entre esprit gay-friendly et mentalités patriarcales en matière de droits des femmes à disposer de leur corps semble paradoxale. Elle se comprend en partie par la place accordée à l’enfant. Mais aussi, comme le rappelle Silvian Agius, parce que « les associations de femmes n’ont jamais réclamé l’avortement comme un droit des femmes. Pour elles, c’est un crime ».
Le levier européen
Fort heureusement, sur les réseaux sociaux, des figures militantes alternatives émergent. Il y a près de trois ans, Francesca Fenech Conti a ouvert la page Facebook Women for women.
J’étais bloquée chez moi à cause d’une hystérectomie et j’ai ressenti le besoin de parler avec d’autres femmes de ce que je traversais dans un environnement bienveillant. Tout d’un coup, nous étions plusieurs milliers
Francesca Fenech Conti
Le groupe réunit aujourd’hui plus de 23 000 membres. Chaque jour, des centaines de messages et de commentaires sont postés autour des problèmes concernant les femmes : les différences de salaires, le harcèlement ou les violences domestiques. Ce forum virtuel permet aux opinions les plus diverses de s’exprimer, y compris en matière de droits reproductifs. Parce qu’elle a crevé l’abcès, l’activiste reçoit quotidiennement des menaces. « Je crois en ce que je dis et ce que je fais. Je ne pense pas qu’on devrait avoir peur de parler ».
Et une première bataille a déjà été remportée : celle de la pilule du lendemain commercialisée depuis décembre 2016. Les manifestantes ont misé sur un raisonnement juridique.
La pilule EllaOne étant autorisée par l’Union européenne, Malte ne peut s’opposer à cette commercialisation
L’avocate maltaise Lara Dimitrijevic, porte-parole du mouvement dans les médias.
D’autant que Malte présidait le Conseil de l’Union européenne entre janvier et juin 2017.
En attendant que les mentalités évoluent, les Maltaises continuent d’échanger sur Facebook. Cet été, après la mort de Simone Veil, Francesca Fenech Conti postait sur le groupe : « En France, on apprécie la femme qui s’est battue pour les droits des femmes… » En réponse, une internaute a écrit : « Pas sûre qu’elle le soit à Malte ».