Depuis début juin, le gouvernement du président Daniel Ortega a instigué une campagne de « nettoyage » prenant pour cible des milliers de manifestants.
Rendue publique six mois après le commencement de la répression d’État, en réponse aux manifestations contre des réformes de la sécurité sociale, notre enquête révèle de graves violations des droits humains et crimes de droit international commis par les autorités nicaraguayennes entre le 30 mai et le 18 septembre.
Non seulement Daniel Ortega a déployé des effectifs policiers pour arrêter arbitrairement et torturer des manifestants, mais il a également eu recours à des groupes progouvernementaux lourdement armés pour tuer, blesser et intimider toutes les personnes assez courageuses pour résister à sa stratégie répressive.
Faisant suite à la première enquête consacrée à cette crise, publié fin mai, notre nouvelle enquête montre comment le gouvernement a maintenu et intensifié sa stratégie répressive délibérément meurtrière, avec l’intention d’écraser les manifestations et de punir toutes les personnes qui y participent.
Le président Daniel Ortega et la vice-présidente Rosario Murillo ont mené cette stratégie, en diabolisant régulièrement les manifestants pour justifier la répression violente et en continuant de nier toute violation des droits humains.
Yadira Cordoba a eu son adolescent de 14 ans tué pendant une manifestation contre le président Daniel Ortega © Inti Ocon/AFP/Getty Images
Au 24 août, au moins 322 personnes avaient été tuées, la plupart par des agents de l’État, et plus de 2 000 avaient été blessées. Vingt-et-un policiers figuraient parmi les morts. Selon des ONG locales, au 18 août , les autorités nicaraguayennes avaient engagé des poursuites contre au moins 300 personnes pour participation aux manifestations. A notre connaissance, personne n’a été poursuivie pour des violations des droits humains ou des crimes de droit international, tels que la torture et les exécutions extrajudiciaires.
Des groupes progouvernementaux dotés d’armes de guerre
Les autorités ont de plus en plus eu recours aux groupes progouvernementaux dotés d’armes de type militaire, travaillant souvent en tandem avec des policiers pour décourager les manifestations, terroriser la population et détruire des barricades érigées par les manifestants.
Lors du siège de l’Université nationale autonome du Nicaragua, à Managua le 13 juillet, des groupes progouvernementaux lourdement armés ont ainsi attaqué sans discernement les étudiants qui défendaient le campus, tuant deux d’entre eux et en blessant au moins 16, tandis que des policiers bloquaient les sorties, piégeant plus de 200 étudiants à l’intérieur.
Des policiers et des membres de groupes armés progouvernementaux étaient armés de fusils d’assaut voire de lance-roquettes. Certaines de ces armes de guerre sont interdites à l’utilisation dans un contexte de sécurité publique.
Bien que certains manifestants aient tiré des obus de mortier artisanaux et qu’une minorité ait fait usage d’armes à feu telles que des fusils et des carabines, cela ne justifie pas que les autorités aient recours de manière généralisée, disproportionnée et la plupart du temps sans discrimination à une force meurtrière contre tous les manifestants, au lieu de répondre par la force minimum nécessaire pour rétablir la sécurité publique.
Le rapport révèle six exécutions extrajudiciaires présumées, qui constituent des crimes au regard du droit international.
Un manifestant blessé pendant une manifestation contre le gouvernement de Daniel Ortega © DIANA ULLOA/AFP/Getty Images
Torture et arrestations arbitraires
Des policiers anti-émeutes auraient également tué Faber López, l’un de leurs collègues. Le gouvernement a accusé des « terroristes » de sa mort, mais sa famille a souligné que son corps ne présentait aucune blessure par balle et qu’il portait en revanche des traces de torture. La veille de sa mort, Faber López avait téléphoné à ses proches pour dire qu’il démissionnait et que s’il ne les contactait pas le lendemain, ce serait parce que ses collègues l’avaient tué.
Les autorités auraient employé la torture pour punir des manifestants, falsifier des preuves et obtenir des informations sur l’organisation et les meneurs des manifestations.
Nous avons répertorié moins 12 cas de possible torture, dont un cas de torture sexuelle infligée à une jeune femme dans un centre de détention officiel. Dans plusieurs cas, les victimes présentaient encore des blessures physiques lorsque l’organisation les a interrogées, plus d’un mois après les sévices subis.
De plus en plus de victimes de violations des droits humains refusent de porter plainte auprès des autorités nicaraguayennes, par crainte de représailles.
Des personnes déracinées
En raison de cette crise, des milliers de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays ou forcées à s’exiler. Le 31 juillet, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a annoncé que près de 8 000 personnes originaires du Nicaragua avaient sollicité l’asile au Costa Rica, à un rythme de 200 demandes par jour, et que 15 000 autres avaient pris rendez-vous pour déposer une demande d’asile au cours des semaines suivantes.
En adoptant des stratégies de plus en plus impitoyables et élaborées pour réprimer son propre peuple, Daniel Ortega a aggravé la pire crise des droits humains qu’ait connue le Nicaragua depuis plusieurs décennies, en forçant des milliers de personnes à abandonner leur domicile pour chercher la sécurité ailleurs dans le pays ou au Costa Rica voisin.
A propos de notre enquête
Notre enquête est issu de deux missions de recherche effectuées au Nicaragua et au Costa Rica, respectivement en juillet et septembre 2018, lors desquelles nous avons réalisé 115 entretiens et examiné 25 cas de violations des droits humains. Une équipe d’experts a en outre étudié plus de 80 documents audiovisuels et photographiques pour fournir une analyse contextuelle.
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