Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© Creative Commons/LICADHO
Cambodge
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Cambodge en 2023.
La traite des êtres humains demeurait répandue et les victimes de cette pratique ayant été secourues étaient détenues dans des conditions déplorables dans des centres de rétention des services de l’immigration. Des milliers de familles ont fait l’objet d’expulsions forcées massives à Angkor, site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les droits à la liberté d’expression et d’association ont encore été restreints : la licence d’un des derniers organes de presse indépendants a été révoquée et le seul parti de l’opposition restant s’est vu interdire de se présenter aux élections nationales. Une grande figure de l’opposition politique a été condamnée à une lourde peine de prison à l’issue d’un procès inique. Des procès inéquitables de défenseur·e·s des droits du travail se sont aussi conclus par des condamnations. L’exploitation forestière illégale, endémique dans le pays, et les activités minières effrénées ont continué dans les forêts, en violation des droits humains des peuples autochtones.
CONTEXTE
La campagne de répression lancée en 2017 par le gouvernement contre les organisations de la société civile et l’opposition politique s’est poursuivie. Les élections nationales du 23 juillet ont été remportées par le Parti du peuple cambodgien, déjà au pouvoir, après la disqualification du seul véritable parti d’opposition, le Parti de la bougie. En août, l’Assemblée nationale a validé la nomination de Hun Manet au poste de Premier ministre. Celui-ci a remplacé son père, Hun Sen.
TRAITE DES ÊTRES HUMAINS
Malgré la répression menée par les autorités, la crise relative à la traite des êtres humains a perduré. Selon des informations fiables, des travailleuses et travailleurs migrants recrutés par des moyens fallacieux et victimes de la traite à des fins de travail forcé ont continué à être enfermés dans des bâtiments fortifiés, où ils étaient obligés de participer à des activités d’escroquerie et de jeux en ligne organisées par des bandes criminelles. Il a également été signalé que certains établissements de ce type qui avaient été fermés à Sihanoukville avaient rouvert, ce qui remettait en cause l’efficacité du groupe de travail créé en 2022 par le ministère de la Justice afin de coordonner les enquêtes et les poursuites visant les responsables de la traite de travailleuses et travailleurs migrants vers le Cambodge.
Les victimes de la traite se faisaient confisquer leurs passeports et étaient contraintes, sous la menace de violences, de prendre part à des activités illégales ayant vu le jour durant la pandémie de COVID-19. Au cours de l’année, les autorités ont libéré plus de 100 victimes de la traite qui étaient enfermées dans des bâtiments illégaux et les ont transférées vers des centres de détention des services de l’immigration. Cependant, ces victimes, dont certaines avaient subi des viols et d’autres violences physiques, passaient souvent des mois dans ces centres surpeuplés, où elles devaient payer leur eau et leur nourriture et n’avaient pas la possibilité de consulter un·e avocat·e.
EXPULSIONS FORCÉES
Les autorités ont poursuivi leur campagne, commencée en 2022, d’expulsions forcées massives de quelque 10 000 familles à Angkor, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO abritant le temple d’Angkor Wat. Alors que bon nombre de ces familles vivaient à cet endroit depuis plusieurs générations, le gouvernement a affirmé qu’elles étaient là illégalement et qu’elles étaient déplacées dans le cadre d’un « programme de réinstallation volontaire ». La population locale n’a cependant pas été véritablement consultée et beaucoup de personnes expulsées ou risquant de l’être ont fait l’objet de menaces et de manœuvres d’intimidation. Les familles expulsées, qui ont non seulement laissé derrière elles leurs maisons, mais aussi leurs moyens de subsistance, n’ont pas reçu d’indemnisation suffisante. Beaucoup se sont donc retrouvées endettées. Les sites de réinstallation prévus par le gouvernement à Peak Sneng et Run Ta Ek ne disposaient pas de logements satisfaisants, d’eau potable ni d’installations sanitaires.
Hun Sen, alors Premier ministre, a indiqué que le programme de réinstallation était nécessaire pour empêcher qu’Angkor ne perde son statut de site classé au patrimoine mondial. À la fin de l’année, l’UNESCO n’avait ni condamné publiquement les actions du gouvernement cambodgien ni ouvert d’enquête sur ces allégations, bien qu’Amnesty International l’ait informée, en mars puis en septembre, que son nom servait à justifier des expulsions forcées.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
En février, les autorités ont révoqué la licence de Voice of Democracy (VOD), l’un des derniers organes de presse indépendants du Cambodge. Officiellement, ce média a été fermé pour avoir offensé le Premier ministre de l’époque, Hun Sen, avec un article sur l’aide financière à la Turquie autorisée par son fils, Hun Manet, alors commandant en chef adjoint de l’armée cambodgienne. Cependant, cette fermeture est intervenue après la publication de plusieurs reportages d’investigation menés par VOD sur la crise relative à la traite des êtres humains et sur les liens entre des responsables gouvernementaux et des bâtiments où des activités d’escroquerie en ligne étaient organisées.
LIBERTÉ D’ASSOCIATION
Le système judiciaire a cette année encore été utilisé de façon abusive pour attaquer et harceler des membres et des sympathisant·e·s de partis politiques de l’opposition. En mars, le tribunal municipal de Phnom Penh a déclaré Kem Sokha, dirigeant du Parti du sauvetage national du Cambodge, coupable de trahison (une accusation forgée de toutes pièces) et l’a condamné à 27 ans de réclusion.
Dans les semaines qui ont précédé les élections nationales et à la suite de propos publics tenus par Hun Sen appelant à la violence contre les opposant·e·s politiques, plusieurs membres du Parti de la bougie ont été agressés physiquement par des personnes non identifiées, parfois à coups de barre de fer. En mai, la Commission électorale nationale (CEN) a disqualifié ce parti pour des raisons politiques, lui interdisant de se présenter aux élections.
Le 23 juin, un mois avant les élections, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité des modifications de la Loi électorale, largement considérées comme visant à étouffer l’opposition politique et à intimider la population. En vertu des nouvelles dispositions, la CEN pouvait sanctionner d’une amende allant jusqu’à 20 millions de riels cambodgiens (environ 4 850 dollars des États-Unis) toute personne qui inciterait autrui à ne pas s’inscrire sur les listes électorales ou à ne pas voter.
DROITS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS
Plusieurs membres du Syndicat des employé·e·s khmers de NagaWorld (LRSU), ainsi que d’autres défenseur·e·s des droits du travail, ont continué de subir un harcèlement judiciaire pour avoir réclamé de meilleurs salaires et la réintégration de personnes qui avaient perdu leur emploi à la suite de licenciements massifs survenus fin 2021 au casino NagaWorld, enregistré à Hong Kong et situé dans la capitale cambodgienne, Phnom Penh.
Le 25 mai, un tribunal de Phnom Penh a déclaré neuf membres ou anciens membres du LRSU coupables d’« incitation à commettre un crime ou à troubler la sécurité publique » au titre des articles 494 et 495 du Code pénal cambodgien. Parmi eux, la présidente du LRSU, Chhim Sithar, a été condamnée à deux ans d’emprisonnement. Les huit autres ont été condamnés à des peines de prison avec sursis allant d’un an à 18 mois.
DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES
En juillet, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau Code de l’environnement et des ressources naturelles, qui, contrairement aux précédentes lois foncières et environnementales, utilisait le terme « populations locales » au lieu de « populations autochtones », suscitant la crainte d’un affaiblissement du respect et de la protection des droits des peuples autochtones.
L’exploitation forestière illégale s’est poursuivie et de nouvelles opérations minières ont été lancées dans la forêt de Prey Lang, habitat du peuple autochtone kuy. Des photos prises sur place ont montré des bûcherons pratiquant l’exploitation illégale équipés d’armes à feu artisanales. Par ailleurs, des membres du Réseau communautaire de Prey Lang (PLCN) ont indiqué à Amnesty International que des bûcherons avaient tiré sur eux pour les intimider à plusieurs reprises, dont au moins une fois début 2023.
Des inquiétudes persistaient quant aux propositions de modification de la Loi sur l’activité forestière, initialement présentées en 2022, en vue d’autoriser la chasse dans des forêts protégées, ce qui mettrait en danger la faune sauvage et exacerberait les tensions entre les peuples autochtones, les défenseur·e·s de l’environnement et les bûcherons.