Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
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Kazakhstan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Kazakhstan en 2023.
Les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association restaient soumis à des restrictions injustifiées. Les actions judiciaires visant des membres des forces de sécurité pour des homicides illégaux et pour des actes de torture et d’autres mauvais traitements commis lors des manifestations de masse de janvier 2022 se poursuivaient, mais elles aboutissaient souvent à des peines non proportionnelles à la gravité des infractions. La police a régulièrement perturbé ou empêché le déroulement de manifestations politiques pacifiques dans les rues. La pratique d’une religion en dehors d’une organisation religieuse enregistrée demeurait interdite. Les femmes et les filles ont continué d’être victimes de violences généralisées. Les politiques d’action pour le climat sont demeurées insuffisantes.
CONTEXTE
La promesse du président Kassym-Jomart Tokaïev, faite en 2022, de « moderniser et renouveler toutes les grandes institutions politiques » avant mi-2023 n’a pas été réellement respectée. Les élections parlementaires anticipées en de mars ont été entachées de nombreuses allégations de violations ayant permis au parti Amanat, au pouvoir, d’obtenir la majorité.
Le Kazakhstan a reçu la visite officielle du président russe Vladimir Poutine en novembre, et rejeté les propos l’accusant de compromettre les sanctions économiques imposées par l’Occident à la Russie en continuant de coopérer avec ce pays.
Les violations des droits humains se sont poursuivies à la suite des manifestations de janvier 2022 ; au moins 219 civil·e·s et 19 agents chargés de l’application des lois ont été tués quand les forces de sécurité ont fait usage de balles en caoutchouc et d’armes à feu, de manière indiscriminée et illégale, aussi bien contre des manifestant·e·s pacifiques et de simples passant·e·s que contre des groupes violents et des individus se livrant au pillage.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
La législation et les pratiques relatives aux rassemblements pacifiques étaient toujours indûment restrictives. Il était nécessaire d’obtenir une autorisation préalable même pour manifester seul·e, et la tenue ou la simple planification d’un rassemblement ou d’un piquet de grève « non autorisé » était passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 jours d’emprisonnement. Le délai de prescription de 12 mois pour cette « infraction » permettait aux autorités de placer des manifestant·e·s en détention bien après les faits, souvent pour les empêcher de prendre part à d’autres rassemblements. Ainsi, en amont des manifestations pacifiques annoncées mais « non autorisées » prévues le 25 octobre à l’occasion du Jour de la République, 13 militant·e·s, sympathisant·e·s du parti politique non enregistré Alga, Kazakhstan! (En avant, le Kazakhstan !), ont été arrêtés et détenus pendant 15 jours pour leur présence à des rassemblements « non autorisés » par le passé.
Certains manifestant·e·s ont fait l’objet de peines beaucoup plus sévères. En juillet, cinq personnes qui avaient manifesté pacifiquement en janvier 2022 ont été condamnées à des peines allant jusqu’à huit ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès inique entaché d’allégations de torture et d’intimidation de témoins.
Les rassemblements publics ne pouvaient se tenir que dans des endroits désignés (au nombre de seulement trois ou quatre par ville), sous peine d’amende ou d’emprisonnement. Une marche féministe prévue le 8 mars à Almaty a ainsi été interdite au motif qu’un autre groupe avait déjà réservé la seule rue autorisée pour les manifestations. Cette marche s’est finalement déroulée sur une petite place désignée, et l’autre événement n’a pas eu lieu.
RECOURS EXCESSIF À LA FORCE
Au cours de l’année, seules trois affaires ont été portées devant les tribunaux concernant des agents de police et des soldats accusés d’avoir utilisé illégalement des armes à feu pendant les événements de janvier 2022. L’une de ces affaires concernait un militaire sous contrat, qui a été acquitté en novembre par le tribunal militaire de la garnison d’Almaty. Cet homme avait été inculpé d’abus de pouvoir pour avoir tué par balle une fillette de quatre ans qui se trouvait dans une voiture avec des membres de sa famille en route pour aller faire des courses.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
L’impunité restait très courante pour les actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Les modifications apportées en janvier au Code pénal distinguaient la torture en tant qu’infraction des autres mauvais traitements, et prévoyaient que les actes de torture devaient faire l’objet d’une enquête menée par des procureur·e·s spécialisés.
La plupart des poursuites pénales engagées pour des actes de torture et d’autres mauvais traitements à la suite des événements de janvier 2022 ont été abandonnées « faute de preuve ». Certaines infractions ont été requalifiées en abus de pouvoir ou en d’autres infractions moins graves, et certaines poursuites ont été abandonnées après la négociation d’une transaction pénale avec les accusé·e·s. Sur les six décès officiellement reconnus comme consécutifs à des actes de torture, cinq avaient été portés devant les tribunaux avant la fin de 2023. Ainsi, à Semeï, deux agents de police ont été condamnés à une peine non privative de liberté de quatre ans de prison avec sursis pour des actes de torture ayant provoqué la mort de Jandos Jotabaïev. Une infirmière a également été condamnée dans la même affaire à une peine d’un an de prison avec sursis pour non-respect de ses obligations.
Dans d’autres affaires de torture et de mauvais traitements, les poursuites ont été entachées de nombreux vices de procédure. Seules quelques victimes de torture ont reçu une indemnisation d’un maximum équivalant à 245 euros versée par le Fonds d’indemnisation des victimes, géré par l’État.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
La communauté de défense des droits humains au Kazakhstan a recensé 23 personnes emprisonnées pour des raisons politiques au cours de l’année, dont des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des blogueurs·euses et des journalistes.
La Loi relative aux plateformes et à la publicité en ligne est entrée en vigueur en publication ou de partage non intentionnels de fausses informations sur les réseaux sociaux et toute autre plateforme en ligne par leurs utilisateurs et utilisatrices, leurs propriétaires et les influenceurs et influenceuses sur Internet. En novembre, à la suite d’une plainte déposée par un particulier, un tribunal a condamné la rédaction de Radio Free Europe/Radio Liberty au Kazakhstan (Radio Azzatyq) à une amende équivalant à 200 euros pour une publication affirmant que l’Organisation du traité de sécurité collective était « dirigée par la Russie ».
LIBERTÉ D’ASSOCIATION
Dix personnes ont été condamnées et emprisonnées à l’issue de procès iniques pour avoir soutenu des partis ou des mouvements politiques pacifiques d’opposition non enregistrés et supposément liés au mouvement Choix démocratique du Kazakhstan, qualifié d’« extrémiste » par un tribunal d’Astana, la capitale, en 2018. Le 30 novembre, Marat Jylanbaïev a été condamné à sept ans d’emprisonnement parce qu’il aurait financé et soutenu « des activités extrémistes ». La participation à des organisations qualifiées d’« extrémistes » restait passible d’une peine pouvant aller jusqu’à six ans d’emprisonnement. Cinq autres personnes faisaient l’objet d’une enquête à la fin de l’année.
Il était toujours pratiquement impossible d’enregistrer un parti politique d’opposition, et le fait de mener des activités sans être enregistré pouvait entraîner des poursuites. En avril, Janbolat Mamay, dirigeant du Parti démocratique du Kazakhstan, dont l’enregistrement a été arbitrairement interdit, a été déclaré coupable d’organisation de troubles de masse lors des événements de janvier 2022. Cet homme a été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement avec sursis et il s’est vu interdire de participer à tout événement public, y compris sur les réseaux sociaux.
En septembre, pour la première fois, la Commission nationale des recettes publiques a publié une liste des entités physiques et juridiques ayant reçu des financements en provenance de l’étranger pendant le premier semestre de 2023. Cette liste comprenait 240 personnes et organisations, dont des ONG de défense des droits humains de premier plan comme le Bureau international du Kazakhstan pour les droits humains et la primauté du droit et la Fondation internationale pour la protection de la liberté d’expression « Ӓdil Sӧz ». L’obligation de déclarer les financements étrangers s’étendait aux dépenses engagées pour mener des enquêtes et des sondages, fournir une aide juridique, et recueillir et diffuser des informations.
LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION
La pratique d’une religion en dehors d’une organisation religieuse enregistrée demeurait interdite. Toute forme d’activité missionnaire restait soumise à une accréditation obligatoire auprès de l’État, et seuls les membres des organisations religieuses enregistrées pouvaient solliciter cette accréditation. Les organisations religieuses ne pouvaient s’enregistrer que si elles comptaient au moins 50 membres fondateurs pour les structures locales, 500 membres pour les structures régionales et 5 000 pour les structures nationales. La diffusion de contenus religieux était interdite sans l’accord préalable de spécialistes religieux approuvés par l’État.
En août, le ministère de l’Éducation a renforcé l’interdiction de tout symbole religieux concernant les uniformes scolaires, ce qui a déclenché un vif débat public. Le hijab était concerné par cette interdiction, et des défenseur·e·s locaux des droits humains ont estimé qu’en conséquence pas moins de 2 000 élèves musulmanes avaient été retirées de l’école par leurs parents rien qu’entre septembre et novembre.
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
Partout dans le pays, les violences faites aux femmes et aux filles sont restées monnaie courante. La majorité, si ce n’est la totalité, des 64 victimes d’homicide dans le cadre domestique officiellement recensées entre janvier et août étaient des femmes. Les agressions physiques considérées comme mineures au regard de la loi, commises dans le cadre familial et constituant une première infraction n’étaient sanctionnées que par un simple avertissement de la police.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
L’Indice de performance climatique 2023 a constaté une légère remontée du Kazakhstan dans le classement mondial, mais a estimé que ses politiques et ses mesures climatiques engendraient une augmentation, plutôt qu’une baisse, des émissions, ce qui n’allait pas dans le sens d’une limitation de la hausse de la température mondiale à 1,5 °C. Le Kazakhstan faisait toujours partie des 30 pays générant le plus de gaz à effet de serre dans le monde.
Parallèlement, le pays a connu des catastrophes environnementales exacerbées par le changement climatique, notamment des feux de forêt dans la région d’Abaï, dans l’est, qui ont coûté la vie à 14 pompiers. Il a été estimé que la pollution atmosphérique, due principalement aux combustibles fossiles, notamment au charbon, causait plus de 10 000 décès prématurés par an.