En janvier 2022, le Kazakhstan a connu l’une des crises les plus importantes de son histoire récente. D’immenses manifestations ont gagné le pays et ont été réprimées par les autorités : des tirs de grenades, gaz lacrymogènes et tirs à balles réelles par la police, des morts et des blessés, des disparitions, des arrestations, une population coupée du monde. Un mois après les manifestations, où en est-on ?
Début janvier, des images nous sont venues du Kazakhstan : des milliers de kazakhs dans les rues, réprimés violemment par les autorités. C’est une hausse du prix du carburant qui a mis le feu aux poudres. Les revendications d’ordre économique ont rapidement fait place à des revendications populaires contre la corruption, la stagnation politique, l’injustice généralisée et la détérioration des conditions de vie.
Comprendre : Quelle est la situation des droits humains au Kazakhstan ?
Depuis des années, le gouvernement persécute sans relâche la dissidence pacifique, laissant la population kazakhe dans un état d’agitation et de désespoir.
Un mois après ce soulèvement, le calme est rétabli mais beaucoup de questions restent sans réponse : de nombreuses violations des droits humains ont été commises lors des manifestations de janvier 2022, en toute impunité, sans enquête indépendante.
Nous revenons aujourd’hui sur ces violations et appelons le président kazhak Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev à enfin faire la lumière sur ce qu’il s’est passé.
Le pouvoir ordonne des tirs sans sommation
Quelques jours seulement après les premières manifestations, le président kazakh a ordonné aux forces de sécurité de « tirer sans sommation » sur toute nouvelle émeute. Donner carte blanche aux policiers et aux militaires pour tirer sans sommation est illégal et conduit tout droit à la catastrophe. Cela risque d’ouvrir la voie à des réactions irréfléchies se traduisant par des homicides illégaux.
La déclaration du président kazakh d’ordonner aux forces de sécurité de tirer sans sommation est très dangereuse. Elle pointe une politique qui revient à « tuer d’abord, réfléchir ensuite ».
Marie Struthers, directrice d’Amnesty International pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale
Ne pas donner d’avertissement accroît le risque que des innocents se trouvant sur les lieux soient grièvement blessés ou tués. C’est ce qu’il s’est passé : il y a eu de nombreuses victimes. La répression qui a eu lieu lors du soulèvement populaire de janvier 2022 s’inscrit dans le cadre d’une répression généralisée qui sévit depuis plusieurs années au Kazakhstan.
Les forces de sécurité kazakhes armées de fusils lors d'une manifestation le 6 janvier dans la ville d'Almaty / © Valery Sharifulin - TASS
Interpellez le président kazakh Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev
@TokayevKZ, pourquoi avez-vous donné l'ordre aux forces de police de tirer sans sommation sur toute nouvelle émeute ? Ces tirs ont fait de nombreux morts et blessés.
@TokayevKZ why have you ordered security forces to “fire without warning” at any further disturbances ? These shots have caused many dead and injured.
Le pouvoir bloque Internet
La population kazakhe était coupée du monde pendant 5 jours. Peu de temps après le début des manifestations, les autorités ont bloqué l’accès à Internet, désactivé les réseaux sociaux et restreint toutes communications téléphoniques.
En temps de crise, l’information indépendante est cruciale. Couper ainsi les communications revenait à détenir toute la population au secret.
Marie Struthers, directrice d’Amnesty International pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale
Tandis que les événements s’enchaînaient très vite dans un climat de violence et de confusion, les Kazakhs et la communauté internationale étaient maintenus dans l’incertitude par le gouvernement. Il était très difficile de trouver les informations pour couvrir les événements sur place. Celles et ceux qui auraient été en mesure de fournir ces informations, notamment les journalistes indépendants et les défenseurs des droits humains, ont vu leurs efforts entravés. Ils se sont exposés à des représailles de la part des autorités et ont même été accusés publiquement par le président d’avoir pu fomenter les troubles.
Interpellez le président kazakh Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev
@TokayevKZ permettrez-vous aux journalistes et défenseurs des droits humains de faire leur travail sans avoir à craindre de représailles ?
.@TokayevKZ will you ensure that journalists and human rights defenders can do their work without fear of persecution ?
Le pouvoir mène une vague d’arrestations
Pendant les manifestations, les autorités ont traqué les voix dissidentes et procédé à des milliers d’arrestations de journalistes, militants, opposants, défenseurs des droits humains.
Au Kazakhstan, selon les chiffres officiels des autorités, près de 10 000 personnes ont été arrêtées depuis janvier 2022.
Le 19 janvier, le ministère de l’Information a confirmé qu'au moins 18 journalistes ont été arrêtés et détenus pendant plusieurs heures. Six d’entre eux ont fait l’objet d’une peine de « détention administrative ».
Les autorités ont ordonné au média indépendant Fergana.ru de supprimer un article sur la crise, sous peine d'avoir des poursuites pénales. Selon certaines informations, des journalistes étrangers se sont vus refuser l’entrée dans le pays.
Des manifestants kazakhs défilent dans la rue à pour protester contre la hausse des prix du carburant, à Almaty le 5 janvier 2022 / © Abduaziz Madyarov - AFP
Interpellez le président kazakh Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev
@TokayevKZ combien de milliers de détenus ont été arrêtés au nom de la loi sur les rassemblements publics, pour avoir simplement manifesté pacifiquement ?
@TokayevKZ how many of the thousands of detainees were peaceful protesters arrested under the law on public assemblies ?
Le pouvoir reste silencieux
Un mois après les manifestations, le bilan des victimes reste toujours inconnu.
Le 15 janvier, les autorités ont annoncé avec réticence que 225 personnes étaient mortes dans les manifestations. Elles ont affirmé que 19 d’entre elles avaient été identifiées comme appartenant à la police ou à l’armée. Cependant, ce bilan pourrait être bien en deçà de la réalité. L’opacité qui entoure les circonstances des décès survenus parmi la population civile et le recours à la force meurtrière par les forces de l’ordre est particulièrement préoccupante.
Le silence des autorités quant au nombre de victimes durant les troubles et quant aux circonstances de leur mort est scandaleux. Elles doivent immédiatement rendre public le bilan des victimes civiles.
Marie Struthers, directrice d’Amnesty International pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale
Interpellez le président kazakh Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev
@TokayevKZ quand est-ce que les familles des centaines de personnes tuées auront des réponses sur ce qui est arrivé à leurs proches ?
@TokayevKZ when will the families of the hundreds killed get answers about what happened to their loved ones ?
Aujourd’hui, il semble que les autorités aient rétabli l’ordre et maîtrisent désormais complètement la situation dans l’espace public. Le gouvernement a restauré l’accès à Internet et nous pouvons désormais communiquer avec nos collègues au Kazakhstan, ce qui n’était pas le cas pendant les premiers jours du mouvement de protestation. Cependant, nous sommes encore loin d’avoir une compréhension précise des événements qui se sont produits et il reste de nombreuses questions laissées sans réponse par les autorités. Des Kazakhs recherchent encore des membres de leur famille qui ont disparu pendant les manifestations.
Si la situation semble s’être apaisée au Kazakhstan, la crise est loin d’être terminée. Il est aujourd’hui primordial de permettre le libre accès à des informations indépendantes, de mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes pour ce qui s’est produit et de s’engager à respecter les droits humains à l’avenir. La population kazakhe a le droit de savoir ce qui s’est passé en janvier 2022 et ce qui est à attendre. Nous resterons vigilants.