Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© Prakash Mathema/Getty Images
Serbie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Serbie en 2023.
La glorification institutionnelle de criminels de guerre condamnés faisait passer au second plan la lente progression des poursuites dans les dossiers de crimes de guerre en suspens. Des militant·e·s et des journalistes d’investigation indépendants ont fait l’objet de menaces, de calomnies et d’actions civiles à caractère punitif. Un projet de loi sur les affaires intérieures faisait peser de nouvelles menaces sur le droit à la liberté de réunion. Les personnes roms étaient privées d’accès à l’assistance sociale de façon disproportionnée.
CONTEXTE
La Serbie s’employait toujours à trouver l’équilibre entre les efforts pour intégrer l’UE et les liens politiques et économiques qu’elle entretenait de longue date avec la Russie. Les accusations de corruption à tous les niveaux de la fonction publique ont persisté.
La Serbie et le Kosovo ont approuvé, en mars, un accord élaboré sous l’égide de I’UE et visant à normaliser les relations diplomatiques et promouvoir la coopération. La Serbie a en outre accepté de ne pas s’opposer à l’adhésion du Kosovo aux institutions internationales et européennes. Les relations ont connu un regain de tension en septembre à la suite du meurtre d’un policier kosovar à Banjska, dans le nord du Kosovo, après que 30 Serbes armés, dont trois ont été tués, se furent barricadés dans un monastère orthodoxe. La Serbie et l’OTAN ont alors déployé des troupes de part et d’autre de la frontière, mais se sont retirées en octobre.
Lors d’incidents distincts survenus en mai, un adolescent et un homme de 20 ans armés ont abattu 17 personnes et en ont blessé 21 autres. Ces événements ont suscité une profonde émotion dans l’opinion publique. Des marches ont été organisées dans tout le pays par la coalition « Serbie contre la violence », qui a demandé que les autorités rendent compte de ces homicides et que l’on suspende l’autorisation d’émettre au niveau national des chaînes de télévision faisant l’apologie de la violence.
Le Parti progressiste serbe (SNS), au pouvoir, est sorti victorieux des élections nationales et locales du 17 décembre. Toutefois, des observateurs internationaux ont constaté d’importantes irrégularités, et des dizaines de milliers de personnes se sont réunies lors de rassemblements quotidiens à Belgrade, la capitale, pour demander l’annulation des élections.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
Le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux a confirmé, en mai, la déclaration de culpabilité de Jovica Stanišić et Franko Simatović, deux anciens fonctionnaires des services de sécurité serbes, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Bosnie-Herzégovine. Il a alourdi leur peine initiale de 12 ans d’emprisonnement, la portant à 15 ans.
La glorification de criminels de guerre condamnés nourrissait une culture de l’impunité et continuait de peser sur l’accès des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations. Pas moins de 1 700 dossiers n’avaient toujours pas fait l’objet d’une enquête.
En octobre, la cour d’appel a annulé la condamnation prononcée en février par la haute cour de Belgrade de trois paramilitaires et d’un soldat bosno-serbes pour l’enlèvement et le meurtre de 20 personnes, pour la plupart des Monténégrins, à Štrpci, en Bosnie-Herzégovine, en février 1993.
Le processus d’octroi de réparations ne prenait toujours pas en compte le cas de quelque 15 000 victimes de guerre civiles, notamment celles tuées ou blessées hors du territoire serbe et celles qui n’atteignaient pas un certain seuil d’invalidité. Les personnes concernées étaient des proches de victimes, ainsi que la plupart des victimes de violences sexuelles commises dans le cadre de la guerre.
DISPARITIONS FORCÉES
La Serbie a accepté en mai de donner au Kosovo l’accès à certaines archives, y compris à des documents classés secrets, pour faciliter la recherche et l’identification des dépouilles de plus de 1 620 personnes disparues.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
En avril, huit organisations de médias européennes ont dit craindre que l’hostilité manifestée par certains responsables politiques à l’égard des médias critiques, amplifiée par la presse à sensation, ne banalise les menaces et les agressions contre des journalistes indépendants.
Les médias indépendants qui ont évoqué les événements survenus en septembre à Banjska (voir Contexte) ont été accusés d’être des traîtres et des ennemis de l’État. Ceux qui enquêtaient sur le crime organisé et la corruption étaient particulièrement menacés. Des organisations de journalistes ont indiqué en juillet que les attaques en ligne étaient si fréquentes qu’elles représentaient désormais la norme. L’Association indépendante des journalistes de Serbie a fait état de 11 agressions physiques contre des journalistes au cours de l’année ; très peu de cas ont donné lieu à une enquête.
Des procédures-bâillons ont été ouvertes contre des journalistes d’investigation, des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains. En mai, le Réseau de reportage sur la criminalité et la corruption a été condamné à verser des dommages et intérêts à certaines personnes, pour la plupart des proches du pouvoir, dont il avait révélé l’identité et qui avaient entamé contre lui des procédures-bâillons. En septembre, le tribunal de Novi Sad a débouté les demandeurs dans l’une des cinq procédures engagées contre Dragana Arsić et deux organisations environnementales qui protestaient contre la présence d’entreprises dans le parc national de Fruška Gora.
Des graffitis contenant des menaces à caractère misogyne à l’encontre de Sofija Todorović, membre de l’Initiative des jeunes pour les droits humains, ont été découverts en août près de son domicile, après qu’elle eut exprimé son soutien à l’adhésion du Kosovo à l’ONU.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Le gouvernement a ouvert en janvier une consultation sur le projet de loi sur les affaires internes. Le texte visait à légaliser l’utilisation de la surveillance de masse biométrique dans les lieux publics, donnait aux autorités de plus grands pouvoirs de dispersion des rassemblements publics et autorisait une longue liste de méthodes de contrainte contre les manifestant·e·s, sans établir précisément le seuil ou les circonstances justifiant leur usage. La vidéosurveillance et d’autres formes de surveillance intrusive étaient couramment utilisées, tant par l’État que par des entreprises privées.
Les manifestations, en particulier celles liées à l’environnement, étaient fortement encadrées par les forces de l’ordre et il arrivait fréquemment que les participant·e·s soient soumis à une force inutile et excessive. En mars, des policiers antiémeutes ont été déployés pour déloger des manifestant·e·s pacifiques qui tentaient d’empêcher un abattage d’arbres réalisé dans le cadre d’un projet d’aménagement urbain à Novi Sad. Les autorités faisaient régulièrement appel à des sociétés de sécurité privées pour « maintenir l’ordre » pendant les manifestations. Leurs agents, qui intervenaient parfois en civil et sans identification visible, faisaient souvent un usage illégal de la force.
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
Selon des informations révélées en novembre, des logiciels espions sophistiqués étaient utilisés par des « agresseurs soutenus par l’État » contre des membres de la société civile.
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
Au moins 27 femmes ont été victimes de féminicide durant l’année. Un grand nombre de centres d’aide sociale ne disposaient pas, ou pas suffisamment, de travailleuses et travailleurs sociaux ou de psychologues formés à la violence domestique, et les 24 centres d’accueil gérés par des ONG qui offraient des services de conseil, d’hébergement et d’assistance juridique ne bénéficiaient pas d’un financement sûr.
La définition du viol figurant dans le Code pénal, fondée sur l’usage de la force plutôt que sur l’absence de consentement, n’était pas conforme aux normes internationales et régionales.
Les femmes journalistes, les militantes et les défenseures des droits humains étaient souvent menacées de violence, en ligne et sur le terrain.
DROIT À LA SÉCURITÉ SOCIALE
Un an après l’entrée en vigueur de la Loi sur la carte sociale, certaines personnes vivant dans l’extrême pauvreté se voyaient exclues de toute forme d’assistance sociale. Cette loi a affaibli un système de protection sociale déjà défaillant, qui couvrait moins de la moitié des personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Elle pénalisait de manière disproportionnée les Roms et les personnes dont le handicap n’était pas reconnu, ce qui aggravait leur situation d’exclusion sociale et économique.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Le corps d’une jeune femme transgenre de 18 ans qui avait disparu a été retrouvé en mai à Belgrade, ce qui a plongé la communauté LGBTI dans une profonde inquiétude. Le président Aleksandar Vučić a annoncé en août qu’il n’approuverait jamais la proposition de loi sur les unions entre personnes de même sexe, élaborée au début de l’année 2021.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
En mars, Médecins sans Frontières a exhorté l’UE à examiner de plus près les activités de son agence de gardes-frontières Frontex, ainsi que les cas de violence excessive et de renvois forcés illégaux (push-backs) se produisant aux frontières avec la Hongrie et la Bulgarie.
La police a commencé en juin à expulser régulièrement des personnes réfugiées ou migrantes des camps temporaires situés dans le nord de la Serbie. Selon les chiffres du HCR, 101 098 personnes étaient entrées dans le pays entre le 1er janvier et le 30 novembre, mais peu d’entre elles avaient déposé une demande d’asile.