Alors que de violents affrontements entre groupes armés se multiplient et impactent lourdement les populations civiles dans le centre du Sahel, nos experts en armement ont identifié que des armes fabriquées en Serbie circulaient entre les mains de groupes armés dans la région.
Grâce à des vidéos publiées en ligne par des groupes armés, nous avons pu identifier des modèles de fusils dernier cri parmi les armes utilisées par les combattants. Ces modèles correspondent à des transactions entre la Serbie et le Burkina Faso. Ces armes ont ainsi été vendues au gouvernement burkinabé, avant que des groupes armés ne se retrouvent en leur possession.
L’analyse des données liées aux transactions commerciales montre aussi que la République tchèque, la France et la Slovaquie exportent d’importantes quantités d’armes légères et de petit calibre aux gouvernements du Sahel depuis que la région est le théâtre d’un conflit généralisé.
La Serbie, la République tchèque, la France et la Slovaquie ont pourtant ratifié le Traité sur le commerce des armes (TCA) qui interdit tout transfert d’armes s’il existe un risque qu’elles servent à commettre ou faciliter des violations des droits humains.
Des combattants en possession d’armes serbes
Nos équipes de recherche spécialisées en armement ont recueilli et analysé plus de 400 photos et vidéos provenant du Burkina Faso et du Mali, publiées sur les réseaux sociaux par des membres de groupes armés entre janvier 2018 et mai 2021. Ces images montrent des stocks d’armes et des fusils entre les mains des combattants de divers groupes armés, dont l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ou encore des groupes dits « d’autodéfense ». Si la plupart des armes sont des Kalachnikovs de l’ère soviétique, nous avons identifié 12 cas dans lesquels les combattants possédaient des armes plus récentes, fabriquées par l’entreprise serbe Zastava. Entre 2015 et 2020, la Serbie a indiqué, dans le cadre de ses rapports annuels au TCA, avoir transféré au Burkina Faso 20 811 fusils et carabines, 4 000 fusils d’assaut, 600 revolvers et pistolets à chargement automatique, et 290 mitrailleuses. Or, lorsque la Serbie a déclaré avoir effectué son dernier transfert d’armes vers le Burkina Faso en 2020, les violences entre groupes armés étaient déjà constatées. Si nous n’avons pu retracer précisément la chaîne de responsabilité, il est probable que ces armes aient été détournées vers des groupes armés soit par des canaux illicites, soit par des prises sur les sites des affrontements.
Pourtant, le Traité sur le commerce des armes (TCA) exige des États parties qu’ils évaluent le risque de détournement des armes, particulièrement lorsqu’il s’agit d’armes légères et de petit calibre, plus faciles à cacher et transporter. S’il existe un risque que celles-ci servent à commettre ou favoriser des violations des droits humains, les exportations ne doivent pas être autorisées. Ainsi, si la Serbie avait mené une évaluation des risques, elle aurait conclu que les ventes d’armes au Burkina Faso risquaient de contribuer à des violations de droits humains.
Des ventes d’armes d’autres pays européens
Depuis 2013, les États membres de l’Union européenne ont accordé 506 licences pour des équipements militaires au Mali et au Burkina Faso. Le prix ? 205 millions d’euros. La Slovaquie indique avoir livré au Mali 1 000 armes d’assaut, 2 460 fusils et carabines, 550 mitrailleuses, 680 pistolets et revolvers, et 750 pistolets-mitrailleurs. La République tchèque indique avoir livré au Burkina Faso 3 500 fusils d’assaut et 10 pistolets-mitrailleurs, et la France a livré au Mali 1 164 pistolets et revolvers à chargement automatique, 4 fusils et carabines, ainsi que 13 véhicules blindés de combat.
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Alors que la situation se détériore au Sahel, tous les États exportateurs d’armes doivent adopter des garanties strictes afin d’empêcher qu’elles ne soient détournées vers des groupes armés et ne servent à commettre des violations de droits humains. Si de telles garanties ne peuvent être mises en place, les transferts ne doivent pas avoir lieu. Par ailleurs, les États importateurs doivent lutter contre les ventes d’armes illicites et assurer la sécurité des stocks. Les armes serbes que nous avons identifiées prouvent que les armements vendus à des gouvernements de la région du Sahel risquent de tomber entre les mains de groupes armés violents et d’alimenter un conflit qui ne cesse de s’aggraver.
Extension et aggravation du conflit au Sahel
Depuis 2011, le Mali est en proie à une insurrection menée par divers groupes armés, dont l’EIGS et le GSIM, affilié à Al-Qaida. Puis, le conflit s’est progressivement étendu au Burkina Faso et au Niger. Il se caractérise par de graves atteintes aux droits humains commises par toutes les parties au conflit, notamment par des massacres de civils, imputables à des groupes armés. Aujourd’hui, la région est considérée comme l’une des pires crises humanitaires au monde. Entre 2017 et 2021, plus de 6 000 civils auraient été tués au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus d’1,2 million de Burkinabés ont été déplacés depuis 2016. En juin 2021, des hommes armés ont tué 130 civils dans le village de Solhan, au Burkina Faso. Cette attaque visant des civils est la plus meurtrière jamais observée dans le cadre du conflit. Depuis début 2021, l’EIGS a revendiqué la responsabilité de plusieurs attaques contre des civils, dont celle du 21 mars 2021, qui a fait 137 morts dans diverses localités au Niger. Créés en réaction à l’EIGS et au GSIM, des groupes « d’autodéfense » sont également responsables de massacres de civils. En mars 2020, au Burkina Faso, l’un de ces groupes – les –, est l’auteur d’une série d’attaques contre des villages. Bilan : 43 morts minimum. Un mois plus tôt, Dan na Ambassagou, une milice armée ethnique, avait tué 32 villageois à Ogossagou, au Mali. C’est donc un cycle sanglant de représailles qui est enclenché dans la zone.
Dans ce contexte, les États doivent faire preuve d’une extrême prudence en matière de transferts d’armes au Sahel. Déjà que les armées et les forces de police nationales de la région respectent peu les droits humains, le risque que des armes soient détournées vers des groupes armés existe. Alors que se tient à Genève, du 30 août au 3 septembre 2021, la conférence annuelle sur le TCA, nous engageons tous les États à se montrer à la hauteur de leurs obligations et à ne pas valider de transferts d’armes susceptibles de favoriser des violations de droits humains.
La France non plus n'est pas exemplaire en matière de vente d'armes !
Interpellez Emmanuel Macron pour que la France fasse preuve de plus de transparence et d’un meilleur contrôle sur ce commerce pas comme les autres !