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Égypte. Les dirigeants internationaux doivent faire le nécessaire pour que cesse la répression exercée par le président Abdel Fatah Al Sissi
Alors que de nouvelles manifestations sont prévues pour vendredi, les dirigeants internationaux doivent faire face au président Abdel Fattah Al Sissi et condamner de la façon la plus absolue la répression qu’il mène contre les mouvements de protestation de ces derniers jours, a déclaré Amnesty International alors que les chefs d’État sont réunis à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, cette semaine.
Amnesty International a rassemblé des informations montrant que les forces de sécurité égyptiennes ont procédé à de très nombreuses arrestations de manifestants, et arrêté des journalistes, des avocats spécialistes des droits humains, des militants, des protestataires et des représentants politiques, dans le but de réduire au silence ceux qui critiquent le gouvernement et d’empêcher de nouvelles manifestations. Le gouvernement a également ajouté la BBC et Alhurra news sur une liste contenant déjà 513 sites Internet bloqués en Égypte, et interrompu des applications de messagerie en ligne afin de contrer d’autres mouvements de protestation.
« Le gouvernement du président Abdel Fattah Al Sissi est manifestement profondément déstabilisé par cette vague de manifestations et il mène à plein régime une répression visant à anéantir ces manifestations et à intimider les militants et les journalistes, entre autres, afin de les réduire au silence, a déclaré Najia Bounaim, directrice du travail de campagne sur l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Le monde ne doit pas garder le silence alors que le président Al Sissi bafoue le droit de manifester pacifiquement et le droit à la liberté d'expression des Égyptiens. Au lieu d’intensifier la répression, les autorités égyptiennes doivent relâcher immédiatement toutes les personnes qui sont détenues alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits à la liberté d'expression et de réunion, et permettre vendredi le déroulement d’autres manifestations. »
Amnesty International a rassemblé des informations sur au moins 59 arrestations opérées dans cinq villes à travers l’Égypte au cours des manifestations qui ont eu lieu dans la nuit des 20 et 21 septembre. Des organisations locales de défense des droits humains ont signalé que plusieurs centaines de manifestations avaient été recensées dans toute l’Égypte. Le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux a indiqué que 964 personnes ont été arrêtées dans le contexte des manifestations entre le 19 et le 24 septembre.
Le président Al Sissi a répondu aux questions des médias à New York hier, affirmant que ces manifestations étaient déclenchées par l’« islam politique », mais Amnesty International a découvert qu’en réalité les manifestants sont de tous âges, qu’il s’agit aussi bien d’hommes que de femmes, et qu’ils appartiennent à des milieux socioéconomiques et religieux très différents, y compris non politisés. Toutes les personnes arrêtées ont été accusées de charges similaires liées au « terrorisme ».
VIOLENCES POLICIÈRES
Cela faisait des années que l’on n’avait pas assisté à de telles scènes en Égypte : des foules de manifestants se sont rassemblées au Caire sur la célèbre place Tahrir, et aussi à Alexandrie, à Dumyat, à Mahala, et à Suez, scandant des slogans contre le régime du président al-Sissi et dénonçant la corruption et les arrestations. Les autorités ont rapidement réagi.
Amnesty International a analysé trois vidéos montrant des policiers qui frappent des manifestants en état d’arrestation, et effectuent des tirs de grenaille et de gaz lacrymogènes pour disperser des rassemblements de manifestants pacifiques.
L’une de ces vidéos montre des policiers en train de frapper un manifestant non armé, qu’ils traînent ensuite jusque dans un véhicule blindé, pendant qu’un autre policier ouvre le feu, avec des tirs de grenaille, sur des gens qui s’enfuient de véhicules.
Amnesty International a pu observer, en analysant des enregistrements vidéo vérifiés montrant les forces de sécurité égyptiennes, que les véhicules utilisés sont des véhicules blindés MIDS de fabrication française, et IVECO de fabrication italienne. Amnesty International a rassemblé des informations montrant que des MIDS français ont par le passé été utilisés pour réprimer des manifestations en Égypte.
« Ces manifestations ont fortement surpris les autorités, qui pensaient avoir définitivement intimidé les manifestants en recourant, au cours des six dernières années, à des méthodes brutales, notamment avec des arrestations arbitraires et l’utilisation d’une force excessive, y compris de la force meurtrière. Le fait que ces manifestants aient mis leur vie et leur liberté en danger pour protester contre le régime du président Al Sissi incite à penser que ses méthodes brutales ont attisé le mécontentement et la colère », a déclaré Najia Bounaim.
Vagues d’arrestations
Plusieurs centaines de personnes ont été incarcérées dans des camps des Forces centrales de sécurité, où elles n’ont accès ni à des avocats ni à leurs proches. Certaines ont par la suite été relâchées, mais au moins 274 d’entre elles ont été conduites devant le service du procureur général de la sûreté de l'État (SSSP), et au moins 146 devant des antennes locales du parquet au Caire, selon le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux et des avocats.
D’après des avocats, les procureurs ont interrogé les suspects au sujet de leur participation aux manifestations et leur ont dit qu’ils faisaient l’objet d’une enquête en raison d’accusations comprenant celles d’« aide à une organisation terroriste pour qu’elle atteigne ses objectifs », de « diffusion de fausses nouvelles », de « participation à des manifestations non autorisées » et d’« utilisation à mauvais escient des réseaux sociaux » dans le but de diffuser les informations venant d’un « groupe terroriste », ce terme étant utilisé pour désigner les Frères musulmans, et ils ont ensuite ordonné leur placement en détention pour 15 jours.
Arrestations de responsables politiques, de journalistes et de militants
Immédiatement après les manifestations, les forces de sécurité égyptiennes ont poursuivi leur campagne de répression, arrêtant des avocats, des journalistes, des militants et des responsables politiques.
Amnesty International a également rassemblé des informations sur l’arrestation de cinq journalistes. Sayed Abdellah, qui avait partagé des informations au sujet de la manifestation à Suez sur son compte Facebook, a été arrêté à son domicile le 22 septembre ; et Mohammed Ibrahim, fondateur du célèbre blog « Oxygen Egypt », a été arrêté pour avoir posté des vidéos portant sur les manifestations alors qu’il s’était rendu dans un poste de police du Caire, le 21 septembre, conformément aux conditions de sa mise à l’épreuve.
La militante et avocate spécialiste des droits humains Mahienour el Masry a été interceptée par des hommes en civil vers 19 heures le 22 septembre, et poussée dans une fourgonnette alors qu’elle venait de sortir d’un bâtiment du SSSP où elle était allée voir un avocat spécialiste des droits humains incarcéré, dont elle assurait la défense. Elle a par la suite été interrogée par un procureur du SSSP au sujet d’accusations infondées, étant notamment accusée d’avoir « aidé un groupe terroriste à atteindre ses objectifs » et de « diffusion de fausses nouvelles » dans le cadre d’une affaire remontant au moment où des manifestations ont eu lieu en mars 2019, et placée en détention dans l’attente d’une enquête.
Trois personnes au moins ont été arrêtées à leur domicile à Suez, notamment Rashad Mohammed Kamal, un dirigeant syndical qui a lui aussi participé aux manifestations. Les autorités ont également continué de procéder à des arrestations dans toute l’Égypte, et au moins sept dirigeants de parti et avocats ont été arrêtés en tout début de journée le 24 septembre.
Parmi les autres responsables politiques arrêtés, on peut citer Abed Aziz Husseini, vice-président du parti Karama, qui a été appréhendé à la suite d’une déclaration diffusée par son parti annonçant qu’il suspendait ses activités en réaction à la répression sans précédent exercée par les autorités, et AbdelNasser Ismail, vice-président du Parti de l'alliance socialiste populaire.
« Le président Al Sissi va être confronté à un choix décisif au cours des prochains jours. Le monde va observer sa réaction face aux manifestations et vérifier si sa politique de répression continue de s’intensifier ; les alliés internationaux de l’Égypte doivent faire clairement savoir aux autorités du pays que la répression brutale des dissidents pacifiques ne sera pas tolérée », a déclaré Najia Bounaim.
Censure des médias et interruption de l’Internet
Amnesty International a observé et vérifié des interruptions persistantes des réseaux de communication visant des contenus web et les plateformes de médias, par exemple BBC News, ainsi que des services web tels que des applications de communication comme Wire. L’accès à ces sites et services a été soit bloqué soit restreint, ce qui a compliqué les communications et l’accès à l’information. Amnesty a également été informée d’interruptions temporaires des services de WhatApp et de Signal.
« Il semble que les autorités essaient d’utiliser de nouvelles méthodes de perturbation des réseaux pour restreindre les possibilités d’accès à l’information, de communication sécurisée et d’organisation d’activités. Ils observent la façon dont les personnes s’adaptent pour mettre en place de nouvelles contre-mesures », a déclaré Ramy Raoof, expert en technologie à Amnesty Tech.
Le Conseil suprême de la régulation a confirmé que le site Internet de BBC News avait été bloqué en raison d’une couverture « inexacte » des manifestations. Le Service public de l’information égyptien a mis en garde les correspondants étrangers, leur indiquant qu’ils devaient « respecter les normes professionnelles internationalement reconnues concernant la couverture de la situation en Égypte et les informations diffusées ».
Complément d'information
Des manifestations dispersées ont tout d’abord eu lieu dans des villes de toute l’Égypte les 20 et 21 septembre, réclamant la démission du président Al Sissi. Les manifestations auraient été déclenchées par des allégations de corruption lancées par Mohamad Ali, chef d’entreprise et ancien sous-traitant de l’armée qui accuse des responsables de l’armée et le président d’avoir dilapidé l’argent public en se faisant construire de luxueuses propriétés.
La veille du début des manifestations, la police a arrêté le frère du cybermilitant basé aux États-Unis Wael Ghonim, Hazem, en raison de vidéos publiées par Wael Ghonim dans lesquelles il critique les autorités égyptiennes et le président Al Sissi. Les deux hommes ont par la suite été accusés d’« aide à des groupes terroristes » par le SSSP.
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