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[DÉCLARATION PUBLIQUE] Projet de loi « RPSI » sur les drones : insécurité pour les droits humains
Position d’Amnesty International sur l’article 8 du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure.
DÉCLARATION PUBLIQUE
Mardi 21 septembre 2021
Moins de quatre mois après la décision du Conseil constitutionnel de censurer la légalisation des drones de surveillance dans la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, l’Assemblée nationale a commencé à examiner un nouveau projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure, qui, dans son article 8 [1], introduit de nouveau un cadre juridique pour autoriser les autorités à recourir à des caméras aéroportées, notamment des drones, pour filmer la population.
L’article 8 comprend des améliorations par rapport à ce qui était prévu dans la proposition de loi “sécurité globale”. Ainsi, la durée de conservation des données par les autorités est réduite, et surtout, il interdit explicitement le traitement des images par des logiciels de reconnaissance faciale, une limite essentielle pour préserver les droits fondamentaux[2]. Cependant, il autorise largement le recours aux drones en délégant aux préfets le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de ces mesures très intrusives, et qui offrent moins de garanties que la vidéosurveillance classique.
Le fait de filmer les personnes est une forme de surveillance, qui peut porter atteinte au droit à la vie privée et peut entraver la liberté d’expression (les gens pouvant être moins enclins à agir et communiquer librement se sachant observés) et avoir un effet dissuasif sur le droit à la liberté de réunion pacifique. En France, des manifestants ont parfois reçu des contraventions après avoir été identifiés à l’aide de caméras de vidéosurveillance, et ce, pour des infractions problématiques au regard du droit international, notamment pour participation à des manifestations interdites alors que l’interdiction était abusive [3] : ce type de pratiques illustre comment le fait d’être filmé dans des manifestations peut aboutir à des sanctions, et aboutir ainsi à décourager les individus d’exercer ce droit.
En droit international, la surveillance peut être légale lorsqu’elle est nécessaire, ciblée, fondée sur des preuves suffisantes d’actes répréhensibles, et autorisée par une autorité strictement indépendante, comme un juge [4]. La surveillance doit donc répondre strictement aux critères de nécessité et de proportionnalité e par rapport aux objectifs visés pour ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux.
En France, à ce jour, les autorités peuvent recourir à de la captation vidéo via des caméras de surveillance fixes et par des « caméras piétons », caméras individuelles portées par les forces de l’ordre. Les autorités n’ont pas apporté d’analyse détaillée des résultats de ces deux types de surveillance pour justifier de leur utilité et pour justifier de la nécessité d’y ajouter la surveillance par des caméras aéroportés. De manière générale, la nécessité de recourir à ce type de surveillance n’est pas expliquée dans la présentation du projet de loi. Les cas d’utilisation sont définis de manière large, puisque l’article 8 prévoit qu’ils peuvent être déployés pour assurer la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à différentes infractions (allant des vols aux trafics d’armes ou d’êtres humains), mais aussi pour assurer la sécurité de tout rassemblement – y compris de manifestations revendicatives, pour lutter contre le terrorisme, pour réguler les flux de transport ou surveiller les frontières.
Selon le dispositif retenu dans l’article 8, le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité ainsi que le ciblage de la surveillance par drones (périmètre et délais) relèveront du préfet, qui délivrera des autorisations et devra garantir que ces principes sont respectés.
S’il est positif que ces conditions soient explicitement requises dans le projet de loi pour permettre la surveillance par drone, confier aux autorités préfectorales le respect des droits et libertés fondamentales, sans contrôle préalable d’un organe indépendant du pouvoir exécutif, soulève des inquiétudes au regard de certaines pratiques attentatoires des droits humains observées en France. Ainsi, un certain nombre de préfets a fait un usage extensif des « périmètres de protection » prévus dans la loi « sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme » (SILT) en justifiant certains d’entre eux par des considérations « générales et peu circonstanciées », selon le rapport sur le suivi des mesures SILT par le Sénat[5], qui déplore la motivation insuffisante de certains arrêtés préfectoraux. Le recours à des périmètres de protection trop larges a été rendu visible car il existait un contrôle parlementaire de la mise en œuvre des mesures de la loi SILT, contrôle qui n’existe pas s’agissant du déploiement des drones.
Par ailleurs, dans le cadre de leurs pouvoirs d’interdire des manifestations, des préfets ont pu prendre des interdictions générales ou trop larges, qui ne répondent pas aux critères de nécessité et de proportionnalité prévus en droit international, notamment pendant le mouvement des Gilets Jaunes [6].
Dans ce contexte, le fait que le PJL sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure délègue le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité aux préfets, sans autre contrôle préalable d’une autorité indépendante du pouvoir exécutif, en listant de manière large les possibilités de recours aux drones, crée une insécurité pour les droits humains car elle ne prémunit pas d’un usage abusif.
Cette situation est d’autant plus inquiétante dans le contexte des manifestations : le fait d’être filmé peut avoir un effet dissuasif et contribuer à entraver l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique. Selon l’Observation générale no 37 sur le droit de réunion pacifique (art. 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) : « Les décisions visant la collecte d’informations et de données personnelles sur les participants à des rassemblements pacifiques et celles concernant le partage ou la conservation de ces informations et données doivent faire l’objet d’un contrôle indépendant et transparent visant à en vérifier la compatibilité avec le Pacte. »[7]. Si des recours juridiques sont possibles à l’encontre des décisions des préfets, aucun contrôle systématique indépendant n’est à ce jour prévu concernant le recours aux drones de surveillance.
Cette situation est également inquiétante en ce que les drones autorisent une surveillance particulièrement intrusive et ne permettent pas la mise en place des mêmes garanties que pour les autres types de caméras. Ce sont des caméras qui se déplacent et qui peuvent filmer, même incidemment, l’intérieur des domiciles [8]. L’article 8 prévoit des garanties spécifiques au cas où l'intérieur ou l'entrée des domiciles seraient filmés par des drones - arrêt de la captation ou effacement des images au bout de 48 heures, sauf en cas de signalement à l'autorité judiciaire. En revanche, il ne prévoit pas que les lieux privés autres que les domiciles (bureaux, locaux professionnels, jardins privés ou restaurants...) soient protégés de la surveillance par drones. En outre, alors que l'information du public est garantie en cas de vidéosurveillance par des caméras fixes, dans le cas des drones, elle est prévue "sauf quand les circonstances l'interdisent ou que cette information rentrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis (art. L242-3 du code de la sécurité intérieure)”. Comme les drones se déplacent, il risque d'être souvent difficile de garantir cette information du public - contrairement au cas des caméras fixes où il est facile d'informer les personnes avec une signalisation accrochée à la caméra.
Recommandations :
Le gouvernement devrait, avant de légaliser l’usage des drones de surveillance :
Publier les informations permettant de justifier de la nécessité de recourir à ce type de vidéosurveillance, par rapport aux moyens déjà existants ;
S'assurer qu'un régime d'autorisation suffisamment indépendant est en place, en appliquant des critères précis, notamment sur la nécessité et la proportionnalité ;
Mettre en place un mécanisme de contrôle indépendant pour garantir que le déploiement des drones respecte les droits humains, notamment lorsqu'ils sont utilisés dans le cadre de rassemblements publics.
AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE – service Presse – Véronique Tardivel 01 53 38 65 41 / 06 76 94 37 05 – vtardivel@amnesty.fr
[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4387_projet-loi#D_Article_8
[2] Amnesty international s’oppose au recours à la reconnaissance faciale, qui constitue une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée, et porte également atteinte au droit de ne pas être discriminé
[3] Amnesty international, « Arrêté.e.s pour avoir manifesté : la loi comme arme de répression des manifestant.e.s pacifiques en France », septembre 2020 – cas des manifestant.e.s de Millau, p. 14 https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/1257b6a7-ef59-4468-a7a7-7b10bf49663c_Arretes_pour_avoir_manifeste_FR.pdf
[4] https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2015/03/easy-guide-to-mass-surveillance/
[5] Rapport d'information n° 348 (2019-2020) de M. Marc-Philippe DAUBRESSE, fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 février 2020 - http://www.senat.fr/rap/r19-348/r19-3484.html#toc67
[6] Amnesty international, « Arrêté.e.s pour avoir manifesté : la loi comme arme de répression des manifestant.e.s pacifiques en France », septembre 2020 – cas des manifestant.e.s de Millau, p. 14 https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/1257b6a7-ef59-4468-a7a7-7b10bf49663c_Arretes_pour_avoir_manifeste_FR.pdf
[7] Comité des droits de l’homme des Nations unies, Observation générale n° 37 relative à l'article 21 portant sur le droit de réunion pacifique, juillet 2020, para. 61
[8] Le cas est explicitement prévu par l’article 8 de la loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure : « Lorsque l’emploi de ces dispositifs conduit à visualiser ces lieux, l’enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu’une telle interruption n’a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l’intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante‑huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d’un signalement à l’autorité judiciaire, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. »
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