De nombreux éléments dignes de foi permettent de conclure à la responsabilité du commandant en chef des forces armées du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, et de douze autres personnes. Ils sont clairement identifiés dans les crimes contre l’humanité perpétrés lors des opérations de nettoyage ethnique menées contre la population rohingya du nord de l’État d'Arakan.
Notre nouvelle enquête examine, dans leurs détails les plus terrifiants, les modes opératoires qui caractérisent les violations perpétrées dans le cadre des « opérations de nettoyage » menées par l’armée après les attaques de l’ARSA.
Comprendre : Pourquoi le massacre des Rohingyas est un crime contre l'humanité ?
En outre, l'enquête identifie les unités ou les bataillons militaires précis qui sont impliqués dans nombre des pires atrocités commises. Selon les informations recueillies, les forces de sécurité du Myanmar se sont rendues coupables de neuf des onze types de crimes contre l’humanité décrits dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
L'enquête est fondée sur plus de 400 entretiens, ainsi que sur une masse considérable d’éléments venant à l’appui des propos recueillis, dont des images par satellite, des photographies et des vidéos, dont l’authenticité a été vérifiée, ainsi que des analyses médico-légales et balistiques réalisées par des experts.
Ceux qui ont du sang sur les mains, que l'on retrouve jusqu’au sommet de la chaîne de commandement avec le général Min Aung Hlaing en personne, doivent être contraints de rendre des comptes pour leur rôle dans la supervision ou la commission de crimes contre l’humanité et d’autres violations graves des droits humains sanctionnées par le droit international.
Une enquête minutieuse
Notre rapport constitue le compte rendu le plus complet sur la manière dont les forces armées du Myanmar ont contraint plus de 700 000 personnes – soit plus de 80 % de la population rohingya du nord de l’État d'Arakan – à se réfugier au Bangladesh, à partir du 25 août 2017.
Lire aussi : La crise des réfugiés rohingyas au Bangladesh
Des enfants rohingyas dans un hôpital au Bangladesh © Andrew Stanbridge
Notre enquête divulgue les noms de neuf subordonnés du commandant en chef de la Tatmadaw – l’armée du Myanmar – ainsi que de trois responsables de la police des frontières, accusés d’avoir joué un rôle majeur dans la campagne de nettoyage ethnique.
Elle apporte également des nouvelles informations concernant la hiérarchie militaire du Myanmar et le déploiement des troupes.
C’est également le rapport le plus détaillé à l’heure actuelle sur les exactions commises par l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (Arsa), avant et après le déclenchement par ce groupe armé d’attaques concertées contre des postes des forces de sécurité, le 25 août 2017.
Lire aussi : Quand un géant de la bière finance le massacre des rohingyas
Leur mission : « Tout détruire »
Le haut commandement militaire a placé en première ligne et au cœur des opérations menées dans le nord de l’État d'Arakan ses unités de combat les plus redoutables. Elles sont tristement connues pour les violations qu’elles avaient déjà commises ailleurs dans le pays.
Cette décision a eu des conséquences catastrophiques pour la population rohingya.
Dans certains villages rohingyas, les officiers à la tête des troupes déployées ont d’emblée clairement indiqué quelles étaient leurs intentions. Autour du 20 août 2017, cinq jours avant que la situation ne dégénère, un officier a ainsi rencontré à Chut Pyin, dans la municipalité de Rathedaung, les dirigeants de plusieurs villages rohingyas voisins.
Selon les témoignages de plusieurs personnes présentes lors de cette rencontre, cet officier aurait déclaré que ses hommes tireraient directement sur les habitants rohingyas, sans distinction, en cas d’actions de l’Arsa dans le secteur ou à la moindre « incartade » de la population locale.
Nous avons également pu nous procurer un enregistrement sonore d’une conversation téléphonique en birman entre un habitant rohingya d’Inn Din, dans la municipalité de Maungdaw, et un officier de l’armée du Myanmar en poste dans la région.
Nous avons l’ordre de brûler tout le village en cas de trouble. Au moindre problème, nous allons tout détruire.
Un officier de l'armée du Myanmar
Une vague de violence
La vague de violences qui a suivi a vu les forces de sécurité brûler totalement ou partiellement des centaines de villages rohingyas du nord de l’État d'Arakan. La quasi-totalité des villages de la municipalité de Maungdaw a notamment été détruite.
De milliers de Rohingyas ont été tués lors des opérations militaires. On ne connaîtra peut-être jamais le nombre exact de victimes. Certaines ont été ligotées et exécutées sommairement par balles ; d’autres ont été abattues pendant leur fuite ; d’autres encore ont été brûlées vives dans leurs maisons.
Lire notre dossier : Le sort des Rohingyas au Myanmar
Les membres des forces de sécurité se sont en outre livrés à des viols sur des femmes et des jeunes filles rohingyas, dans leur village ou alors qu’elles tentaient de gagner le Bangladesh. Certaines victimes de viol ont en outre assisté au meurtre de membres de leur famille. Dans au moins un village, les militaires se sont livrés à des viols, puis ont incendié les bâtiments dans lesquels se trouvaient leurs victimes.
Une femme montre son bébé blessé par les forces armées du Myanmar © Andrew Stanbridge
Aux mains de la police des frontières
Alors que les tensions se faisaient de plus en plus vives, dans les jours qui ont précédé le 25 août 2017 et ceux qui ont suivi, les forces de sécurité du Myanmar ont arrêté et placé en détention arbitraire des centaines de Rohingyas de sexe masculin, dans tout le nord de l’État d'Arakan.
Les personnes arrêtées ont souvent été rouées de coups au moment de leur interpellation, puis conduites sur des bases de la police des frontières, où elles sont restées pendant des jours, voire des semaines, en détention au secret.
Parmi les méthodes de torture dénoncées par des détenus remis par la suite en liberté, citons les passages à tabac, les brûlures, les simulacres de noyade, ainsi que le viol et d’autres violences sexuelles.
Pour obtenir leur libération, les détenus ont dû verser d’importants pots-de-vin et signer une déclaration, dans laquelle ils affirmaient ne pas avoir été maltraités.
Dix mois plus tard, les autorités du Myanmar n’avaient toujours pas indiqué les noms des personnes qui se trouvaient encore en détention, l’endroit où elles étaient et, le cas échéant, les faits qui leur étaient reprochés. Ces personnes étaient victimes de détention arbitraire au regard du droit international.
Responsabilité de la hiérarchie
Les éléments déployés sur le terrain opéraient normalement sous le contrôle étroit de haut gradés. Les unités de combat, responsables de l’immense majorité des crimes commis contre les Rohingyas, doivent rendre compte dans des conditions très strictes de leurs déplacements, de leurs interventions et de l’usage fait de leurs armes. La hiérarchie militaire a dû avoir connaissance de ces informations.
Or, elle s’est abstenue de faire usage de son autorité pour empêcher, faire cesser ou punir ces crimes. Elle a même cherché à en dissimuler l’écrasante majorité pendant la période qui a suivi. Il existe en outre suffisamment d’éléments pour demander qu’une enquête soit ouverte sur la participation directe présumée de certains haut gradés, voire de l’ensemble de la hiérarchie militaire
En outre, plusieurs haut responsables de l’armée, dont le général Min Aung Hlaing, se sont rendus en personne dans le nord de l’État d'Arakan, avant et pendant la campagne de nettoyage ethnique, afin de superviser une partie des opérations.
Nos recherches nous ont permis d’identifier treize personnes ayant joué un rôle décisif dans des crimes contre l’humanité. Nous demandons que tous les responsables soient traduits en justice.
Rendre des comptes
Face aux pressions internationales de plus en plus vives, les autorités du Myanmar ont annoncé le mois dernier la mise en place d’une Commission d’enquête indépendante, chargée d’examiner les soupçons de violations des droits humains.
Des réfugiés rohingyas arrivent par bateau du Myanmar © Andrew Stanbridge
Les investigations réalisées jusqu’à présent sous l’autorité du gouvernement ou de l’armée sur les atrocités perpétrées dans l’État d'Arakan n’ont servi qu’à mettre un voile sur la responsabilité des militaires.
La communauté internationale doit mettre enfin un terme à des années d’impunité et faire en sorte que ce chapitre sombre de l’histoire récente du Myanmar ne se reproduise jamais.
En attendant d’être parvenue à un consensus et d’avoir obtenu le soutien international nécessaire à la saisie de la Cour pénale internationale, la communauté internationale doit mettre en place, dans le cadre du Conseil des droits de l'homme de l’ONU, un mécanisme chargé de recueillir et de préserver les éléments destinés à une future procédure pénale.