À Blois, depuis un an et demi, Bernadette Michel abrite Malic Sangaré, un Ivoirien migrant de 17 ans.
Dans la maison à flanc de coteau sur les hauteurs de Blois, les lumières sont allumées tard dans la nuit en ce début d’automne. Dans le garage, des ombres prennent des mesures, calculent, imaginent. Il est question d’y aménager une chambre. Bernadette et Malic en ont discuté toute la soirée.
Elle, 67 ans, lunettes sans montures, cheveux tirant sur le blanc. Lui, 17 ans, survêtement bleu, grosse montre dorée en toc, passionné, beau garçon. Depuis un an et demi, la Blésoise héberge le mineur ivoirien.
Malic était censé rester une semaine, il n’est jamais reparti.
Quand il débarque dans sa vie, Bernadette vient de finir de rembourser sa maison. Elle s’installe doucement dans la retraite, avec ses photos, ses expos, ses séances d’ostéo, le rassemblement de neveux une fois par an, et puis la maladie, Parkinson, détectée en février 2016.
Celle qui a travaillé toute sa vie dans le social et vit seule depuis quelques années, accepte d’accueillir Malic temporairement. Le temps que sa situation se stabilise.
Je lui ai préparé son lit dans mon bureau. Le peu d’affaires qu’il avait tenait dans un petit sac
Bernadette Michel
Avant d’arriver chez Bernadette, il avait enchaîné les hébergements : d’abord dans un hôtel de Blois, temporairement mis à l’abri par le département puis dans un squat à Paris, et quelques nuits dans la rue, avant de trouver refuge dans le couloir de l’appartement d’un compatriote ivoirien.
Tous les matins, le même rituel
Le courant passe bien entre eux dès le départ, même si Malic est très réservé. L’ancienne éducatrice, qui a travaillé avec de nombreux enfants en souffrance, respecte ce silence.
Quelques semaines après son arrivée, elle trouve dans ses affaires un papier froissé. Une lettre de l’Aide sociale à l’enfance : Malic n'a pas été reconnu mineur.
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Malic et son avocate au tribunal d'Orléans © Raphaël Fournier
Depuis 1989, la loi stipule que les mineurs isolés étrangers ont les mêmes droits qu’un enfant français en danger.
Mais pas de reconnaissance de la minorité veut dire pas de prise en charge. C’est un choc. Bernadette ne doute pas de la minorité de ce garçon athlétique dont la sensibilité trahit le jeune âge. « Je n’existe pour personne », lui confie-t-il, et ces paroles lui déchirent le cœur.
Le premier hiver, il était au fond de la dépression... Il m’a même parlé de suicide. Il partait se promener au bord de la Loire, parfois tout un après-midi. J’avais peur qu’il se jette à l’eau.
Bernadette Michel
Elle ne se décourage pas.
À la mission locale de Blois, qui aide les jeunes à trouver une formation ou un emploi, on connaît bien « madame Michel ». Pas une semaine ne se passe sans qu’elle s’y rende, pour parler de Malic. Elle lui trouve un stage dans un restaurant, puis une place dans un CAP pour une formation en « cuisine collective ».
Seul hic, c’est à Vendôme à 35 kilomètres de Blois. Alors tous les matins, c’est le même rituel : lever à 5 h 20 pour que Bernadette puisse déposer Malic à la gare routière avant 6 h. Il y prend son petit café avant de monter dans le bus de 6 h 20. Le soir, il rentre aux alentours de 20 h.
Les journées sont longues mais il s’accroche.
Choisir ses batailles
Assis sur le canapé, la tête de Freedom, le vieux chien de la maison sur les genoux, il s’exprime avec un léger accent ivoirien. « Je suis le petit dernier de la famille. Au pays, on m’appelait même Bébé Malic. Je restais beaucoup avec ma mère, c’est pour ça que je sais cuisiner », explique Malic.
Le cari de poulet à la pâte d’arachide qu’il a préparé la veille réchauffe tout doucement sur la cuisinière.
Comme tous les migrants, Malic a mûri plus vite que les enfants de son âge
D’ailleurs ses copains l’appellent parfois « tonton ». « En cours, je fais la police. Je dis à mes camarades de se taire. On est là pour écouter, pas pour discuter », explique le jeune homme qui ne rigole pas avec ça.
Ses camarades l’ont élu délégué de classe alors qu’il n’était même pas candidat, belle preuve d’intégration pour ce jeune homme au parcours administratif compliqué.
Depuis plusieurs mois, il fait tout pour obtenir un permis de travail (un mineur étranger n’a pas le droit de travailler en France) ce qui lui permettrait de commencer un apprentissage, donc de faire des études tout en étant payé. « Je dois gagner de l’argent pour aider Bernadette, je suis grand ».
La retraitée est sur tous les fronts : papiers, démarches, préfecture, associations, lois, référés, jugements, et beaucoup de déceptions. Un soir de colère, elle explose :
C’est quoi le positif dans cette histoire ? C’est de se faire mettre des bâtons dans les roues par l’administration ? Si je n’étais pas là, il serait où Malic ? Dans la rue !
Bernadette Michel
Elle s’exaspère aussi de ne pas avoir de statut : « Je ne suis qu’ “hébergeante” ! Mais quand Malic passe trois jours à l’hôpital parce qu’il fait une crise de palu et que les médecins ne veulent pas le laisser sortir sans la signature de son garant, on fait comment ? Je signe des papiers et je n’ai pas le droit ! ».
Pour parer à cette situation, ils ont un temps pensé à une procédure d’adoption avant de changer leur fusil d’épaule et d’essayer de lui décrocher un permis de travail.
Les démarches sont tellement compliquées, il faut choisir ses batailles
Bernadette Michel
Et puis, il y a la question des finances. Bernadette paye tout : la nourriture, les transports à Paris pour récupérer le passeport au consulat et les week-ends pour les matchs de foot...
Début octobre, Bernadette a organisé une fête pour célébrer l’anniversaire de l’arrivée de Malic dans sa vie. Familles, amis et voisins ont bu du champagne, profitant du jardin aux derniers beaux jours de l’automne. Elle était fière. Sa vie n’est plus la même depuis Malic.
Fête surprise pour l'obtention du passeport de Malic © Raphaël Fournier
Autour d’elle, on le remarque. Elle est plus fatiguée, bien sûr. Plus engagée aussi. Quand elle a des coups de colère, ou de déprime, sa famille lui dit : « Personne ne t’a obligée à le prendre... ».
Sauf que Malic fait partie de sa vie maintenant. « Il m’appelle maman, ça m’a fait bizarre au début », confie-t-elle.
Le 12 janvier, la Chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel du Tribunal pour enfants d’Orléans a finalement reconnu la minorité de Malic.
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Une victoire importante pour eux deux. « Ma vie, elle va se faire ici », explique Malic un après-midi d’hiver, alors qu’il longe la Loire, entre deux checks avec les jeunes qu’il connaît.
Que ce soit dans le bureau, ou la future chambre du garage, le jeune Ivoirien va rester dans la vie de Bernadette. « Au moins jusqu’à mars, ses 18 ans. Mais j’espère encore après ».
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