C’est dans un silence assourdissant de l’Union européenne, que les réfugiés et migrants sont victimes de tortures et de violences de la part de la police croate.
Mise à jour du 15/06/2020 : la Commission européenne a réclamé à Zagreb une "enquête approfondie" sur ces accusations suit à notre rapport.
Dans la nuit du 26 au 27 mai, des migrants ont été attachés, frappés et torturés par des policiers croates. Non contents de les blesser, les policiers se sont moqués d’eux et ont étalé de la nourriture sur leurs têtes dans le but de les humilier.
Nous avons pu parler avec six de ces personnes ainsi qu'avec les médecins qui les ont soignées et des ONG témoins de leurs blessures. Certains individus, portant des uniformes noirs et des cagoules identiques à ceux utilisés par les forces spéciales de la police croate, ont tiré en l’air et frappé de façon répétée, à coups de pied, de matraque, de tiges métalliques et de crosse de pistolet des hommes qu’ils avaient au préalable immobilisés. Ils leur ont ensuite étalé du ketchup, de la mayonnaise et du sucre sur leurs cheveux et leurs visages ensanglantés.
Nous les avons suppliés d’arrêter et d’avoir pitié de nous. Ils nous avaient déjà ligotés et nous ne pouvions plus bouger : nous étions humiliés.
Amir, un migrant pakistanais
Des violences physiques et psychologiques
Ces dix hommes ont subi de graves blessures cette nuit-là. Tariq, âgé de 30 ans, a maintenant les deux bras et une jambe dans le plâtre. Il présente des coupures et des contusions sur le crâne et sur le visage et souffre d’intenses douleurs dans la poitrine. Tariq doit à présent utiliser un fauteuil roulant pour se déplacer, et il ne pourra pas retrouver sa liberté de mouvement avant plusieurs mois.
Alors que j’étais étendu sur le sol, ils m’ont frappé à la tête avec la crosse d’une arme à feu et j’ai commencé à saigner. […]J’ai passé le reste de la nuit à perdre connaissance et à revenir à moi.
Tariq, un migrant de trente ans
Après la torture, le renvoi
Après avoir subi sans interruption pendant presque cinq heures ces violences, les migrants ont été remis à la police des frontières croate, qui les a transportés à bord de deux fourgonnettes jusqu’à un endroit proche de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine. Là, les policiers leur ont ordonné de marcher.
Nous pouvions à peine nous tenir debout et encore moins marcher pendant plusieurs heures. Mais ils nous ont dit de partir. Ils nous ont dit de porter ceux qui ne pouvaient pas marcher.
Faisal, une des victimes
Certains de ces hommes ont finalement réussi à atteindre Miral, un centre d’accueil géré par l’Organisation internationale pour les migrations à Velika Kladusa, en Bosnie-Herzégovine, mais cinq d’entre eux, qui étaient trop faibles et ne pouvaient pas marcher, sont restés derrière et c’est une ONG œuvrant dans ce camp qui est finalement allée les chercher.
Impunité pour la police croate
Ces agissements, issus d’une longue série, mettent en évidence une montée des violences et des abus commis par la police croate. De nombreuses informations obtenues au cours des trois dernières années montrent que la police des frontières croate agresse régulièrement des hommes, des femmes et des adolescents qui tentent d’entrer dans le pays, et qu’elle détruit leurs biens, notamment leurs téléphones portables, avant de les renvoyer en Bosnie. Il arrive aussi que des policiers prennent leurs vêtements et leurs chaussures pour ensuite les forcer à marcher pendant des heures dans la neige et de traverser les eaux glaciales des rivières.
Le ministère croate de l’Intérieur a jusqu’à présent rejeté ces allégations, refusant de mener des enquêtes et efficientes sur les cas signalés, et d’amener ses agents à répondre de leurs actes. Conséquence ? Les renvois illégaux et les violences commises aux frontières se sont multipliés.
L’Union européenne détourne le regard
La Croatie continue de percevoir près de sept millions d’euros d’aide de l’UE pour assurer la sécurité de ses frontières. La majeure partie de cette somme est utilisée pour des infrastructures, pour l’équipement de la police des frontières et même pour payer les salaires de la police.
Une petite portion (300 000 euros) de cette somme que la Commission avait destinée à un mécanisme devant contrôler la conformité des mesures de surveillance des frontières avec les normes relatives aux droits fondamentaux et avec la législation de l’UE relative à l’asile, n’a représenté qu’un cache-misère. L’an dernier, la Commission a recommandé l’accession totale de la Croatie à l’espace Schengen, malgré les atteintes aux droits humains qui y étaient déjà fréquemment commises.
L’Union européenne ne peut pas continuer à se taire et à détourner délibérément le regard des violences et des autres abus commis par la police croate aux frontières du pays. Son silence sur cette question permet aux auteurs de ces abus de continuer d’agir de la sorte sans être inquiétés, et les y encourage même.
Nous n’attendons rien de moins que la condamnation de ces agissements et l’ouverture d’une enquête indépendante sur les abus signalés, ainsi que la mise en place d’un mécanisme efficient chargé de veiller à ce que les fonds de l’UE ne soient pas utilisés pour commettre des actes de torture et procéder à des renvois illégaux. Faute de mesures urgentes, les pratiques inhumaines de la Croatie en matière de migration vont faire de l’UE la complice de très graves violations des droits humains perpétrées à ses portes.
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