Le film “Un médecin pour la paix” dresse le portrait inspirant d’un Palestinien de Gaza brisé qui a choisi de répondre à la violence de la guerre par un engagement sans relâche pour la paix. Dans ce documentaire, la réalisatrice Tal Barda retrace la vie du docteur Izzeldin Abuelaish, dont la maison a été bombardée par l’armée israélienne. Tourné avant la reprise du conflit en octobre 2023, le message de paix porté dans ce documentaire, en salle le 23 avril, résonne aujourd’hui plus que jamais. Rencontre avec le principal protagoniste du film, le Dr Izzeldin Abuelaish.
Né dans le camp de réfugiés de Jabaliya en 1955, Izzeldin Abuelaish devient le premier médecin palestinien à officier dans un hôpital israélien. En 2009, sa vie bascule lorsqu’un bombardement israélien tue trois de ses filles et une nièce. De cette tragédie, naît le combat d’une vie pour la paix, la justice et la réconciliation. Nominé cinq fois pour le prix Nobel de la paix, il est surnommé le « Martin Luther King du Moyen-Orient », ayant consacré sa vie à utiliser la santé comme vecteur de paix.
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Quel est le message que vous souhaitiez faire passer à travers ce documentaire ?
Je suis ici parce que j’ai une responsabilité humaine. Pendant que je vous parle, je vois Gaza, ses rues, ses visages. Je suis ici pour porter leur message : pour ceux qui sont vivants, ceux qui ont été tués, ceux qui sont blessés, ceux qui ont faim, ceux qui n’ont pas de toit. J’aimerais que ce message touche les cœurs, pousse l’humanité à agir.
Amnesty International couvre ce qu’il se passe actuellement à Gaza. Vous avez agi, vous avez clairement parlé de « génocide ». J’aimerais que les dirigeants politiques passent des paroles aux actes, arrêtent d'être complices ou indifférents. L'indifférence, c'est une injustice. Le silence en temps d'injustice, c’est une injustice.
C’est pourquoi j’appelle le public à passer à l’action et à faire pression sur les dirigeants politiques.

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Avant de devenir un infatigable défenseur de la paix, vous avez personnellement incarné une possible coexistence entre Israéliens et Palestiniens. Quelle est votre vision de la paix ?
La paix n’est pas qu’un mot. C’est une façon de vivre. Vous la vivez, vous y croyez, vous vous battez pour elle. Je ne peux pas être en paix, si vous ne l’êtes pas vous-même. La paix est une relation entre deux parties et elle s’acquiert avec des valeurs telle que le respect, l’égalité, la liberté, la dignité, les droits, l’écoute mutuelle. La paix ne s'obtient jamais par la force : elle s’acquiert par choix. Elle ne sera jamais juste et bonne pour une seule partie : elle doit l’être pour les deux parties. Blaise Pascal disait « la justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique ».
On a besoin de moralité, d’humanité qui ne soit pas basée sur l’appartenance ethnique, la religion, la couleur de la peau, l’origine sociale ou le nom. Nous sommes interconnectés, interreliés, interdépendants dans ce monde.
Pensez-vous que la paix soit encore possible ?
Nous n’arrêtons pas de dire : « Plus jamais » ! Alors pourquoi l’histoire se répète ? Nous devons nous demander pourquoi nous n’arrivons pas à pacifier la situation. Pour cela, il est important de clairement définir la situation. Les Israéliens sont occupants, les Palestiniens sont occupés. Les Israéliens sont oppresseurs, les Palestiniens sont oppressés. Les Israéliens ont le pouvoir militaire et les Palestiniens sont massacrés, humiliés, leurs territoires sont confisqués.

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Face à l'expansion de la colonisation, la confiscation des territoires, la démolition de maisons, les arrestations, les interrogatoires, le monde est silencieux. Pas seulement silencieux, il est complice. L'impunité dont jouit Israël et le soutien de la plupart des pays occidentaux, notamment des Etats-Unis, expliquent pourquoi nous ne sommes pas en paix, et pourquoi l’histoire se répête.
Les nouvelles générations savent ce qu’il se passe au moment même où je vous parle. Les gens savent et n’acceptent pas. Des manifestations ont lieu partout et c’est important. C'est le moment de reprendre confiance dans la communauté internationale. Nous devons activer l’Etat de droit international. Personne ne doit être au-dessus des lois. Nous sommes tous responsables.
Le documentaire retrace également la bataille judiciaire que vous avez menée auprès des autorités israéliennes pour obtenir justice. Après votre combat perdu, croyez-vous toujours en la justice ?
Oui, je crois en la justice. Comme le dit ma fille Shada, nous n'avons pas d'espoir dans les tribunaux israéliens. Mais nous devons le faire. Nous sommes déterminés à obtenir justice, parce que la justice ne mourra jamais avec le temps. C’est l’héritage que je veux laisser à mes enfants. Ma fille Dalal veut garder mon nom de famille pour que ses enfants sachent ce qui s'est passé. Je dois me battre, avec les droits légaux, civilisés, éthiques et moraux. Mais ce n'est pas pour moi que je le fais. C'est pour le monde dans lequel nous vivons. Parce que la chose la plus importante dans notre vie, ce qui maintient nos relations dans notre monde, c’est l’état de droit. Personne n'est au-dessus des lois.
J’ai donc d’abord engagé les démarches auprès de tribunaux israéliens [Ndlr : après le bombardement de sa maison à Gaza]. Lors du procès à la Cour suprême israélienne, l’un des trois juges faisait partie des colons. Un colon qui viole les lois internationales pour vivre dans les territoires occupés de la Palestine. Un colon, pour juger un Palestinien. Que peut-on attendre d’eux ? Je leur ai dit clairement : si je ne trouve pas justice ici, je trouverai justice ailleurs.

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Benjamin Netanyahou est désormais un criminel de guerre, de même que Yoav Gallant [ndlr: ex-ministre israélien de la Défense]. Désormais, la seule manière d’obtenir justice, c’est à travers la Cour pénale internationale. Malgré le fait que certains pays européens, qui sont à l’origine de la CPI, n’y croient plus. Nous avons eu l'exemple récemment avec la Hongrie. Si la Cour pénale internationale et les Nations unies sont impuissantes, alors que reste-t-il ? Cela signifie que nous vivons dans une jungle. La loi est là pour protéger les faibles des puissants. Je crois en la justice. On a besoin des institutions qui la défendent.
Qu’est-ce qui vous motive à continuer à porter un message de paix aujourd’hui ?
Premièrement, le monde change de manière dynamique, rien n’est permanent. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, les leaders politiques d’aujourd’hui ne seront jamais là pour toujours. La plupart des défis auxquels notre monde fait face sont l'ignorance, l'arrogance et la colère. Mon espoir réside dans la prise de conscience du public, nous devons susciter une prise de conscience.
Deuxièmement, mon espoir. J'ai de l'espoir et je dois continuer à avancer. Je crois profondément au fait qu’ensemble, nous pouvons faire la différence. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de nos actions. C’est notre responsabilité. Il faut arrêter de penser que c’est loin de nous : nous sommes tous de potentielles victimes. C’est donc notre responsabilité d’agir, de s’unir et de rendre notre monde meilleur.
Rien n’est impossible. La seule chose qui est impossible, c’est de ramener mes filles. Il n’y a rien d’autre qu’on ne puisse atteindre. Nous devons continuer d’espérer, nous devons continuer de nous battre pour rendre ce monde meilleur, nous devons passer de la parole aux actes. Car c’est notre rôle et notre responsabilité.
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