Dans cette région stratégique, les escarmouches se poursuivent entre l'Inde et le Pakistan.
C’est une région « bénie des dieux » pour les Britanniques qui, du temps de leur splendeur coloniale, venaient y chercher la fraîcheur quand les grosses chaleurs plombaient les villes de la plaine. Une contrée baignée de lacs, de vergers de pommiers et d’amandiers. Un jardin d’Eden aux épines venimeuses, terrain d’une guerre ouverte entre deux frères ennemis, depuis soixante-dix ans.
Lors des négociations pour l’indépendance, les Britanniques imposent un découpage du territoire colonial à l’Inde, avec la création d’un nouvel État souverain pour les musulmans indiens. Ce sera le Pakistan. Cette partition, qui entre en vigueur le 15 août 1947, jette sur les routes plus de 12 millions de personnes – le plus grand déplacement de populations recensé dans l’histoire – entraînant massacres et représailles.
Les États princiers sous protectorat britannique sont alors invités à rejoindre l’un ou l’autre des deux pays. Le royaume du Cachemire est coincé entre les deux, sur les contreforts de l’Himalaya. La majorité de sa population est musulmane mais son élite intellectuelle et politique est hindoue.
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Le Cachemire choisit de faire partie de l’Inde. Toutefois sa position stratégique est convoitée : des fleuves y prennent leur source, la terre est fertile et, pour ne rien arranger, la Chine voisine en conteste la frontière nord-est.
Une ligne de cessez-le-feu
Dès 1948, le Pakistan désavoue le ralliement à l’Inde et ses troupes entrent au Cachemire pour en occuper un tiers. Une première guerre éclate. L’ONU parvient à négocier un cessez-le-feu en janvier 1949.
Pour éviter l’escalade, l’Inde promet un référendum d’autodétermination. Une ligne frontière dite « ligne de cessez-le-feu » divise désormais le Cachemire entre l’État fédéré indien du Jammu-et-Cachemire au sud, et l’Azad Kashmir et les Territoires du nord, administrés par le Pakistan. En 1950, l’Inde reconnaît un statut autonome spécifique au Cachemire dans sa Constitution et dote cet État d’une assemblée constituante.
Elle estime être en règle vis-à-vis des Nations unies. Mais les relations sont loin d’être apaisées.
Comme le Pakistan ne retire pas ses troupes du territoire cachemiri « occupé » et que l’Inde n’accorde pas le référendum d’autodétermination promis, une nouvelle guerre éclate en 1965. New Delhi obtient la reconnaissance officielle de la ligne de cessez-le-feu qui devient de facto la frontière entre les deux belligérants. Une troisième guerre va les diviser au sujet du Pakistan oriental qui fait sécession pour devenir le Bangladesh en 1971, avec le soutien de l’Inde.
L’Inde en sort victorieuse et en profite pour imposer ses conditions. Elle obtient l’engagement du Pakistan de ne pas internationaliser le conflit du Cachemire. Une manière pour New Delhi de se mettre à l’abri des regards et des sanctions internationales.
Enfermé dans des relations bilatérales, le Cachemire devient une terre oubliée.
Des populations en crise
Obsédés par ce conflit, qui mobilise une part importante de leurs effectifs militaires, les gouvernements de l’Inde et du Pakistan en ont négligé la population. Des millions de personnes vivent encore dans des camps de réfugiés, hier constitués de bâches, aujourd’hui « en dur » mais précaires.
Le long de l’ancienne ligne de cessez-le-feu, devenue Ligne de contrôle, court une clôture électrifiée de 550 kilomètres, construite par l’Inde, où les bombardements et les échanges de tirs sont monnaie courante. Les deux armées sont à portée de jumelles.
Un Mouvement de libération du Jammu-et-Cachemire, apparu dans les années 1980 pour réclamer l’indépendance, complexifie encore plus la situation. Constitué de militants cachemiris musulmans, il est soutenu par le Pakistan qui lui fournit un appui logistique et financier.
Ses militants sont considérés comme des « terroristes » par New Delhi. Depuis le début de l’insurrection armée, plus de 8 000 personnes ont « disparu », à la suite d’arrestations arbitraires et d’exécutions sommaires.
Les avocats qui osent s’engager aux côtés des familles de victimes sont menacés de mort, voire disparaissent à leur tour. L’armée bénéficie d’une immunité quasi totale et la population civile vit sous couvre-feu, dans la peur des forces de sécurité indiennes.
Depuis 2016, l’escalade de la violence est telle qu’elle alerte la diplomatie internationale. « Ce n'est pas la question du Cachemire qui est en jeu, c'est la stabilité de la région », observe un diplomate occidental qui s’inquiète de cette « situation inextricable » mais avoue que moins la communauté internationale « fera de bruit sur le Cachemire, moins il y aura de morts ».
Ce conflit, l’un des plus anciens du monde, aurait déjà fait 60 000 victimes. Et l’ONU se garde bien d’intervenir ou de blâmer l’un ou l’autre des belligérants. C’est donc un silence assourdissant qui règne sur ce paradis d’antan, suspendu aux caprices de deux puissances nucléaires.
- Juliette Vaume pour La Chronique d'Amnesty International France
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