157 morts, 109 femmes violées. Treize ans après le massacre au stade de Conakry, certains responsables guinéens sont enfin jugés lors d’un procès historique. Un procès qui met également en lumière la banalisation des violences sexuelles dans un pays où les auteurs s’en tirent à bon compte en achetant leur impunité. Enquête.
Écrit par Louise Pluyaud
Pour notre magazine La Chronique #437, paru au mois d'avril 2023
Comme chaque matin, Conakry se réveille aux sons pétaradants des motos-taxis qui essaient de se frayer un chemin dans les embouteillages. D’immenses affiches défilent le long des routes. L’une d’elles interpelle les conducteurs qui patientent au feu rouge. Au premier plan, deux jeunes filles, aux ongles vernis et lèvres vermillon, immortalisent leur sourire par un selfie. Au second plan, une troisième se débat contre un homme qui tente de l’attirer chez lui. « Comme l’indique le message de notre affiche, le viol fait partie des souvenirs de beaucoup de mineurs guinéens », déplore Souleymane Sow, directeur d’Amnesty International Guinée. Le procès du 28 septembre est l’opportunité de sensibiliser et d’attirer l’attention de la société et des pouvoirs publics sur les faits de violences basées sur le genre. Un phénomène qui se banalise, comme le démontre un rapport d’Amnesty International présenté le 28 septembre 2022, date symbolique. L’ONG exhorte les autorités guinéennes à faciliter l’accès aux soins et à la justice pour les victimes.
Petits arrangements en famille
« Sur une moyenne de 30 consultations par jour, je reçois au minimum 12 personnes victimes d’agressions sexuelles. Et, de plus en plus, il s’agit de fillettes d’à peine 13 ans dont les lésions au niveau de l’appareil génital sont telles que leur système de reproduction est compromis », s’indigne le professeur Hassan Bah, chef du service de médecine légale du CHU Ignace Deen de Conakry. Des figures d’autorité – imams, enseignants, policiers, médecins, qui sont aussi des pères, oncles, voisins – se trouvent bien souvent impliquées dans ces affaires de violences sexuelles. Et ces dossiers s’empilent « puisque leurs auteurs jouissent d’une impunité ». En Guinée, le viol est puni par la loi de cinq à dix ans d’emprisonnement. Les peines prononcées contre les auteurs sont rarement proportionnelles à la gravité de leurs crimes. Et nombreux sont les violeurs présumés qui se baladent librement dans le même quartier qu’une plaignante.
Si vous parlez, la communauté vous prive subitement d’accès aux soins de santé, à l’école et même à la pompe à eau.
Hélène Kolkol Zogbélèmou, défenseuse des droits humains
Panneau d'affichage de la campagne d'Amnesty International contre les violences sexuelles faites aux femmes / © Thomas Morel-Fort
« La lutte pour la prévention des violences sexuelles doit obligatoirement passer par l’application des dispositions du Code pénal », insiste le professeur Bah. Mais avant de pouvoir porter plainte, encore faut-il que les victimes puissent se faire entendre dans une société conservatrice où les lois coutumières prennent fréquemment le pas sur les lois de la République. Comme le note le rapport d’Amnesty International, intitulé Que la honte change de camp, les affaires de viol ou d’inceste se règlent généralement en famille, en paiement d’un dédommagement, et sous l’égide du chef communautaire ou religieux. Le scandale est ainsi étouffé à cause de ces arrangements extrajudiciaires qui nuisent aux droits des victimes sur lesquelles retombe souvent la faute. Stigmatisées et isolées, ces dernières n’osent plus entamer de poursuites. Dans la région forestière de Nzérékoré, au sud-est de la Guinée, il existe même un « embargo » envers ceux qui dénoncent les agresseurs. « Si vous parlez, la communauté vous prive subitement d’accès aux soins de santé, à l’école et même à la pompe à eau. Vous finissez par quitter le village. Et l’agresseur, lui, est protégé », explique Hélène Kolkol Zogbélèmou, une défenseuse des droits humains citée dans le rapport.
Asmaou Diallo, présidente de l'Association des victimes parents et amis du massacre du 28 septembre 2009 (Avipa). Son fils Aly, 33 ans, a été tué le 28 septembre 2009 / © Thomas Morel-Fort
#MeToo guinéen
« Que vont penser les gens ? C’est ce que mon fils s’est demandé, après avoir vu mon interview, à la télé. J’y racontais le viol que j’avais subi au stade le 28 septembre 2009 », se souvient Bintou*. « J’ai répondu à mon fils : Ton père m’a déjà abandonnée. Épaule-moi pour dire, avec moi “Plus jamais ça, en Guinée !” » Bintou le sait, l’union des voix fait la force. La présidente d’Avipa, Asmaou Diallo, en est aussi convaincue : « Si nous avons réussi à obtenir un procès, c’est avant tout parce que plusieurs femmes victimes de viol ont ensemble brisé la loi du silence ». Depuis le mouvement #Metoo, en Guinée comme partout ailleurs, la parole se libère. Une tragédie a ainsi provoqué une vague d’indignation au sein de l’opinion publique : en novembre 2021, M’Mah Sylla, 25 ans, est décédée après un viol commis par des médecins dans une clinique de Conakry.
Le président Alpha Condé avait alors promis que les coupables seraient arrêtés. Les associations féministes l’ont pris au mot. « Nous n’avons jamais cessé de lui rappeler ses engagements », insiste Kadiatou Konaté, cofondatrice du Club des jeunes filles leaders de Guinée. Cette activiste de 21 ans est l’une des porte-parole de la jeunesse guinéenne. Sur les plateaux télé, les réseaux sociaux ou lors d’événements, elle n’hésite pas à interpeller les politiques pour financer davantage la lutte contre les violences sexuelles, former les policiers, ouvrir des centres d’accueil pour les victimes… Car, elle le constate, « de plus en plus de filles et de femmes s’opposent à leur famille et vont porter plainte » malgré les obstacles. L’acharnement de ces femmes aura payé. Les présumés coupables ont été arrêtés et le 25 octobre 2022 s’est ouvert leur procès. Les Drs Patrice Lamah, Daniel Lamah, Célestin Millimono – qui est en fuite – et Sébory Cissé sont poursuivis pour « viol, avortement et meurtre » sur la personne de feu M’Mah Sylla. Ils nient les faits reprochés et ont plaidé « non coupables ».
Moussa Thiégboro Camara à la barre des accusés. La plupart des accusés sont de hauts cadres du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) / © Thomas Morel-Fort
Mais pour un viol jugé, combien restent impunis ? Combien ne font jamais l’objet de plainte et combien de victimes continuent d’être ostracisées pour avoir parlé ? En 2022, l’Office de protection du genre et des mœurs et la Brigade spéciale de protection des personnes vulnérables ont traité au moins 331 cas de viols. Et ce chiffre ne reflète, selon les ONG spécialisées, que la partie émergée de l’iceberg.
* le prénom a été modifié
Un procès historique
Le 31 juillet 2024, 8 personnes ont été condamnées pour crime contre l'humanité en Guinée dont l’ancien chef d’État Moussa Dadis Camara.
Ce procès a eu lieu 15 ans après le massacre du 28 septembre 2009 à Conakry où 156 personnes avaient été assassinées et 109 filles et femmes avaient été victimes de viols et de violences sexuelles. Cela rend enfin justice, vérité, et une forme de réparation aux victimes et à leurs familles.
Ce verdict historique pourra servir d’exemple dans le monde entier et en Guinée, où l’utilisation illégale d’armes à feu et l’utilisation excessive de la force lors de manifestations reste monnaie courante et où les crimes sexuels restent largement impunis.
Ce procès restera dans l'histoire comme le premier en Afrique où un État investigue, poursuit et juge les plus hauts responsables de crimes qui étaient sous l’examen de la Cour Pénale Internationale.
Découvrez La Chronique sans plus tarder : recevez un numéro "découverte" gratuit
Ecrivez-nous à l'adresse chronique@amnesty.fr en indiquant votre adresse postale et recevez gratuitement votre premier numéro dans votre boîte aux lettres !