Des enquêtes médicolégales nous permettent d’attester que de nombreux civils ont été tués lors de frappes aériennes. Des preuves alarmantes puisque, sous la présidence de Donald Trump, les frappes américaines en Somalie ont triplé.
Le bilan des victimes civiles constaté lors de quelques frappes seulement laisse à penser que le secret qui entoure le rôle des États-Unis dans la guerre en Somalie est en fait un écran de fumée censé leur garantir l’impunité.
En effet, nos conclusions contredisent directement la version de l’armée américaine qui se targue de zéro victime civile en Somalie. Cette assertion semble d’autant plus saugrenue que les États-Unis ont triplé leurs frappes aériennes dans le pays depuis 2016, dépassant le nombre de frappes en Libye et au Yémen réunis.
Les frappes se multiplient
Le nombre de frappes aériennes américaines en Somalie a connu une brusque augmentation après le 30 mars 2017, lorsque le président Donald Trump a signé un décret déclarant le sud de la Somalie « zone d’hostilités actives ».
Selon un général de brigade américain à la retraite, le décret a élargi l’éventail des cibles potentielles pour englober quasiment tout homme adulte vivant dans des villages favorables à Al Shabab (groupe armé islamiste) et aperçu à proximité de combattants avérés.
Un mandat aussi large favorise les homicides illégaux de civils.
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Les drones américains Reaper ont été utilisés lors des frappes aériennes analysées © CENTAF News Team
Des victimes civiles
Des preuves accablantes indiquent que 14 civils ont été tués et huit blessés lors de cinq frappes aériennes américaines susceptibles d’avoir bafoué le droit international humanitaire et de constituer, dans certains cas, des crimes de guerre.
Dans l’un des cas, une frappe aérienne de l’armée américaine dans des champs près du village de Darusalaam a tué trois paysans aux premières heures du 12 novembre 2017. Ils dormaient dehors, après avoir passé une bonne partie de la nuit à creuser des canaux d’irrigation.
Nous avons analysé des photos des corps. Deux des hommes étaient gravement défigurés. Un large fragment de bombe a transpercé le front du premier, faisant éclater son crâne ; ses avant-bras avaient été projetés vers l’arrière et quasiment arrachés, ne tenant plus que par un mince lambeau de peau.
Le visage, la gorge et la poitrine du second étaient parsemés de multiples fragments de munitions. Le troisième avait une large blessure au flanc et une petite contusion à la tête, juste au-dessus de l’œil droit.
Ces trois jeunes hommes ne s’attendaient pas à être tués par un avion et nous ne nous attendions pas à ce que le monde reste aussi silencieux.
Un paysan du village de Darusalaam
Des preuves accablantes
Comme dans de nombreux autres cas, les habitants ont identifié les victimes comme étant des civils et non des combattants d’Al Shabab.
Des photos des trois paysans morts et de la zone alentour ont permis à notre Service de vérification numérique de localiser précisément le lieu de la frappe.
Elles présentent également d’autres indices importants, tels que des images de terre éventrée et d’un cratère d’un mètre indiquant de puissants explosifs, ainsi que des fragments qui proviennent sans aucun doute d’une GBU-69/B, bombe guidée de petit diamètre.
Ce type d’engin ne peut être largué que depuis un AC-130 de l’armée de l’air américaine, un avion de combat le plus souvent utilisé en appui aérien rapproché et non pour des frappes isolées.
Alors qu’il n’avait pas été aperçu en Somalie depuis plus de 10 ans, la présence de cet appareil témoigne d’une escalade du conflit. Le Commandement des États-Unis pour l'Afrique (AFRICOM) n’a pas signalé l’utilisation d’AC-130, mais a confirmé avoir procédé à une frappe aérienne dans la région du Bas-Shabelle le 12 novembre 2017 vers trois heures du matin, affirmant avoir tué « plusieurs » miliciens.
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Trois agriculteurs, Ibrahim Siid Wehelow, Hassan Meyow Abkey et Ahmed Jeylani Sheekhow, ont été tués lors d'une frappe aérienne américaine près du village de Darusalaam en Somalie © SOMALIMEMO
Un bilan sans doute plus lourd
On sait que les forces américaines ont procédé à 76 autres frappes aériennes en Somalie pendant la période étudiée et à 24 frappes au cours des deux premiers mois de l’année 2019 : le bilan des victimes civiles pourrait donc être bien plus lourd.
Pour les Somaliens touchés par des frappes aériennes américaines, il n’existe guère, voire aucune, chance d’obtenir justice. Il leur est quasiment impossible de signaler que des membres de leur famille ou de leur village ont été tués ou blessés, étant donné le lieu de ces attaques et les risques qu’ils courraient en termes de sécurité.
Le gouvernement des États-Unis ne veille toujours pas à ce que des investigations soient menées sur toutes les allégations crédibles faisant état de victimes civiles, à ce que les responsables présumés de violations des droits humains aient à rendre des comptes et à ce que les victimes et leurs familles obtiennent des réparations.
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